Pourquoi la corruption n'est pas près de disparaître en Chine

Par Propos recueillis par Robert Jules  |   |  806  mots
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Les autorités de Pékin affichent leur volonté de lutter contre la corruption, qui exaspère de plus en plus les Chinois. Cette pratique est pourtant inhérente au fonctionnement du pouvoir centralisé exercé par le parti communiste. Les explications du sinologue Guilhem Fabre.

La chute récente du ministre des Chemins de fer, Liu Zhijun, montre que la corruption en Chine reste plus que jamais d'actualité, pourquoi ?

Même si ce n'est pas un problème spécifique à la Chine, le phénomène y est favorisé par deux aspects : les opportunités offertes par une croissance économique et l'impunité juridique. Il faut rappeler que si l'on prend comme critère de comparaison la parité de pouvoir d'achat (qui dépend du coût de la vie dans le pays donné) la Chine a déjà dépassé les Etats-Unis. Même en terme de PIB par tête, le rapport n'est pas de 1 à 6 comme le soutient encore le Fonds monétaire international mais davantage de 1 à 4. Cette richesse dépend directement d'un système où le pouvoir est concentré au sein du Parti communiste. La justice étant à ses ordres, l'impunité est assurée. Sur l'ensemble de la population chinoise, soit plus de 1,3 milliard d'habitants, on compte quelque 70 millions membres du parti communiste, et selon une enquête de Cap Gemini environ 450.000 millionnaires en dollars. Le parti donne accès à toute une série de rentes. Cette oligarchie politico-économique, où le monde des affaires est lié au pouvoir, relève d'une organisation clanique. C'est d'ailleurs une caractéristique historique, le peuple en chinois se traduit "les cent vieilles familles". Pour la majorité des gens ordinaires, le seul recours est un système de pétition, sans grand effet, qui n'est qu'un cache-misère de justice.

Quels sont les domaines qui favorisent cette corruption ?

Il y a l'immobilier. La Chine connaît une forte urbanisation, qui est passée de 20% au début des années 1990, fin de l'ère Deng Xiaoping, à 40% aujourd'hui. Cela se fait aux dépends des paysans expropriés pour des montants dérisoires par les pouvoirs régionaux en collusion avec les promoteurs immobiliers. Il faut rappeler que la valeur du capital foncier est largement supérieure à celle du capital industriel. En effet, les 2/3 des terres en Chine sont montagneuses, la population est concentrée sur 20% du territoire.

Pourtant, on assiste de temps à autre à l'éclatement de certaines affaires ?

Le pouvoir central se doit de réagir contre cette corruption en faisant des exemples, avec à la clé des condamnations lourdes. Si l'on prend le cas du ministre des Chemins de fer, Liu Zhijun, il faut rappeler qu'il était à la tête d'un secteur où en 2011 l'investissement s'élèvera à l'équivalent de 100 milliards de dollars. Au total, le ferroviaire correspond à environ un sixième du montant du plan de relance que Pékin a décidé pour répondre à la crise financière mondiale. Or cette manne donne lieu à une multitude de contrats qui favorisent la corruption. Sans compter les critiques qui ont été adressées à ce programme de train à grande vitesse. Pas moins de 8.300 km de lignes à grande vitesse ont été installées fin 2010, mais les billets pour accéder à ces TGV sont trop onéreux pour la population. Parallèlement, le jeune frère de Liu Zhijun a été condamné à mort avec suspension d'exécution il y a quelques années pour le détournement de fonds publics et l'embauche d'un tueur professionnel pour faire taire certaines révélations qui le compromettaient.

Quel est le rôle de la mafia ?

Important. L'exemple le plus frappant est celui d'une des plus importantes villes, Chongqing. Entre 2002 et 2009, il y a eu 500 homicides, liés au contrôle mafieux sur les jeux, la prostitution, l'immobilier, les investissements... Le Parti communiste a décidé d'y mettre fin. Bo Xilai, son secrétaire à Chongqing, s'y est attelé. Cela a donné lieu à plusieurs procès retentissants où 40 responsables locaux ont été condamnés, notamment l'équivalent du procureur local, lié au crime organisé, qui a été exécuté. Bo Xilai fait partie de la génération montante qui a l'ambition de faire une carrière politique. C'est un proche de Xi Jinping, l'actuel vice-président qui devrait accéder à la présidence en 2013. Il est intéressant de noter que le membre du bureau politique en charge de la lutte contre la corruption, He Guoqiang, était lui-même secrétaire du PCC à Chongqing entre 1999 et 2002...

Le système peut-il changer ?

Non, car il est viable, tant qu'il y a de la croissance économique, clé de la mobilité sociale. Même si le peuple ne touche qu'une petite partie de cette richesse, accaparée comme chez nous par une petite oligarchie, la dynamique existe. Et la classe moyenne est conservatrice. Toutefois, de nouveaux facteurs de perturbation apparaissent, comme l'inflation, en particulier sur les produits alimentaires, dont le coût représente plus de 30% des dépenses des citadins. C'est un facteur de mécontentement. Et puis certains opposants en Chine ont soutenu ce qui s'est passé en Egypte...