Pourquoi l'Allemagne peut encore remettre en cause le plan de sauvetage de l'euro

Par Romaric Godin, à Francfort  |   |  926  mots
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Deux rapports dévoilés outre-Rhin insistent sur la perte de souveraineté budgétaire du Bundestag dans le cadre du mécanisme de stabilité de l'euro qui devra entrer en vigueur en 2013. Le texte pourrait échouer à Karlsruhe devant la cour constitutionnelle.

L'Allemagne est encore loin d'accepter entièrement la création du mécanisme européen de stabilité. Certes, la chancelière Angela Merkel a donné son accord et elle dispose en théorie d'une majorité confortable au Bundestag. Mais l'affaire n'est pas si simple. La popularité chancelante de la coalition au pouvoir à Berlin, les réticences persistantes de la population et l'épée de Damoclès de la cour constitutionnelle de Karlsruhe représentent des obstacles bien délicats à franchir pour le gouvernement fédéral. Deux rapports viennent de le rappeler et de donner un sérieux avertissement à Angela Merkel.

La constitution allemande interdit à Berlin de signer un chèque en blanc à Bruxelles

Le message de ces deux rapports, le premier de la cour fédérale des comptes, le second des services scientifiques du Bundestag, peut se résumer en un mot : l'Allemagne risque, avec ce nouveau mécanisme, de signer un chèque en blanc à l'Europe, ce qui est inconstitutionnel. Les deux documents s'inquiètent du mécanisme lié au risque de défaut de l'ESM si le fonctionnement de ce dernier est calqué sur celui de son prédécesseur l'EFSF.

En ce cas, en effet, c'est le conseil d'administration de l'entité européenne, formé des représentants des pays membres, qui décide de son renflouement. Or, souligne le rapport parlementaire dévoilé ce mercredi par le quotidien économique allemand Handelsblatt, "un contrôle par les législateurs nationaux ou la participation de ces derniers à la décision n'est pas prévu". Et le rapport de poursuivre : "Au final, cette procédure placerait l'Allemagne dans la position de devoir accepter des obligations, sans pouvoir déterminer de façon autonome la hauteur de ses engagements et leurs conditions". Du coup, "le législateur national se verrait limiter son pouvoir de décision sur l'endettement de l'Etat". Même constatation de la cour des comptes qui insiste sur le fait que cette décision de renflouer l'ESM pourrait être prise à la majorité simple, c'est-à-dire même contre l'avis du représentant allemand.

Et que se passera-t-il si une nouvelle crise oblige les Etats européens à dépenser plus que prévu ?

Cette analyse pose deux problèmes. Le premier est d'ordre budgétaire. La cour des comptes met en garde contre le montant des sommes mises à la disposition de l'ESM par l'Allemagne. Officiellement, il s'agira de 22 milliards d'euros de numéraire et de 168 milliards d'euros de garanties. Des sommes que la Cour juge déjà considérables : "Cela représente jusqu'à deux tiers des revenus fiscaux de la Fédération" souligne-t-elle. Mais elle met en garde. En théorie, la constitution du fonds en numéraire de l'ESM, 80 milliards d'euros au total, durera cinq ans à partir de sa création en 2013. Mais que se passera-t-il s'il y a durant cette période une crise qui oblige l'ESM à intervenir au-delà de ses capacités alors constituées ? "Si le capital en numéraire ne suffit pas, s'inquiète la cour des comptes, du capital supplémentaire sera automatiquement transféré depuis les Etats membres". Et la Cour de prévenir Angela Merkel : s'il faut payer les garanties accordées, alors le gouvernement devra faire son deuil de la règle constitutionnelle qui, à partir de 2016, limite à 0,35 % du PIB le déficit budgétaire de l'Etat fédéral.


L'ESM posera donc un second problème, constitutionnel celui-là. D'autant que l'absence de contrôle budgétaire par le parlement pourrait attirer l'attention de la Cour de Karlsruhe. Cette dernière avait, en effet, indiqué, lors de sa décision sur le Traité de Lisbonne le 30 juin 2009 que "le transfert de compétence vers l'UE est conditionné à la souveraineté constitutionnelle de l'Allemagne". La Cour constitutionnelle avait même explicitement précisé que la "constitution n'autorise pas les organes d'Etat allemands à transférer des droits souverains qui pourraient donner lieu de façon autonome à de concessions ultérieures" (voir le document original en allemand). Voilà qui ressemble étrangement au cas de l'ESM. En cas de plainte à Karlsruhe, nul doute que ce mécanisme européen pourrait donc être remis en cause.

Si les parlementaires ont leur mot à dire, les marchés risquent de ne plus avoir confiance

Du coup, la cour des comptes invite le Parlement à poser ses conditions et à réclamer le droit de donner son feu vert à tout paiement supplémentaire ou non prévu. Mais cela reviendrait à placer l'ESM sous la dépendance du Bundestag ou, si le système est élargi à l'ensemble de l'Europe, des parlements des grands Etats. Une telle incertitude nuirait à la confiance que se propose justement de rétablir le mécanisme. Le SPD a déjà déposé une motion pour réclamer le "respect du droit du parlement" par le gouvernement. Et au sein de la coalition, les dents commencent à grincer. Selon le Handelsblatt, le président CDU du Bundestag Norbert Lammert aurait écrit à Angela Merkel pour réclamer plus de transparence sur sa politique européenne et ses conséquences.

Pour la chancelière, l'affaire est délicate. Céder aux exigences des parlementaires reviendrait à fragiliser l'accord européen sur l'ESM. Mais les ignorer pourrait conduire à des difficultés dans l'adoption de la loi, d'autant que le Bundesrat est désormais sans majorité fixe. Et, au final, le risque serait de voir le texte rejeté à Karlsruhe, ce qui pourrait également dans ce cas déclencher une nouvelle crise européenne. Bref, Angela Merkel pourrait bien être perdante à tous les coups. Et l'Europe avec elle.