"L'Europe doit se financer en partie par ses propres ressources"

Par Propos recueillis par Sylvain Rolland  |   |  1162  mots
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Alors que le projet de budget européen 2014-2020, débattu depuis fin juin, subit les foudres des Etats membres, Alain Lamassoure, député du Parti populaire européen (droite) et président de la commission des budgets au parlement de Strasbourg, défend l'augmentation du budget et en appelle à une remise en question des politiques européennes, dont la Pac.

Le projet de budget 2014-2020 prévoit 1.083,3 milliards d'euros de dépenses, soit 1,11% du PIB européen. Cette hausse de 5% par rapport au budget 2007-2013 irrite beaucoup certains pays comme la France, l'Allemagne, la Finlande ou le Royaume-Uni, qui exigent un gel des dépenses...

1,11% du PIB européen, c'est tout de même très peu, surtout pour une institution telle que l'Union européenne. Certains pays s'en plaignent, mais il faut rappeler que Margaret Thatcher avait accepté dans les années 1980 que le budget puisse représenter jusqu'à 1,24% du PIB ! Cette hausse arrive après plusieurs années d'austérité budgétaire, et si elle est votée, elle ne sera pas pénalisante pour les Etats ruinés par la crise car pour la première fois, le budget sera financé en partie par des ressources fiscales qui se substitueront à la contribution des Etats membres. L'Europe doit se financer en partie par ses propres ressources. La Commission européenne a retenu deux axes de financement : le prélèvement d'un point de TVA directement pour le budget européen, et une taxe sur les transactions financières. C'est une nouveauté, mais ce n'est pas révolutionnaire, puisqu'il s'agit de revenir à ce qui est prévu par les traités mais qui ne fonctionne plus depuis 20 ans. L'enjeu du budget européen est d'encourager le retour de la croissance pour que l'Europe remporte les Jeux Olympiques de la compétitivité. L'athlète européen est malade mais il faut en faire un sportif olympique d'ici 2020.

Ces propositions de financement propre sont contestées, notamment l'idée d'une taxe sur les transactions financières...

Ce ne sont pas les gouvernements mais les places financières qui hurlent, notamment la City à Londres. Aux dernières nouvelles, ce n'est pas la City qui décide en Grande-Bretagne ! Cette taxe est une idée conjointe de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et David Cameron. Nicolas Sarkozy voulait même en faire l'un des sujets principaux du G20, mais les réticences internationales sont trop fortes. Du coup, la Commission propose de faire de l'Europe un laboratoire sur cette question, pour montrer qu'une telle taxe peut fonctionner. D'autant plus qu'il ne s'agit pas de taxer les profits des banques, donc il n'y a aucun risque de délocalisation. C'est une question complexe, très technique, dont les modalités restent à définir. Mais il y a une réelle volonté politique.


L'augmentation du budget vient de l'ajout d'une enveloppe de 58,3 milliards d'euros. A quoi est-elle destinée ?

Il s'agit de financer certains programmes très importants comme le Fonds européen de développement (FED), qui coûte 30 milliards d'euros et sert à financer une aide technique et financière aux pays africains et aux pays et territoires d'outre-mer, ou la réserve d'aide d'urgence de 2,5 milliards d'euros en cas de catastrophe climatique ou humanitaire. Cette enveloppe finance aussi des programmes pour lesquels certains gouvernements ne veulent pas payer car ils jugent que cela les concernent peu, comme le projet de réacteur nucléaire Iter, très important pour un pays comme la France mais moins pour l'Italie ou la Grèce, ou le grand programme d'observation de la terre par satellite (GMES).

Ce projet de budget propose des réorientations fortes, notamment sur la Politique agricole commune (Pac), qui représente un tiers du budget européen. Or, Nicolas Sarkozy s'est engagé à ce que la Pac ne baisse pas d'un centime...

Le montant de la Pac continuera d'être très important et devrait toujours représenter environ 30% du budget européen. Mais la Pac doit absolument être réformée pour s'adapter à la modernité. La question n'est pas de maintenir le budget à l'euro près mais de savoir quelle politique agricole la France et l'Europe ont besoin. Dans un contexte de tensions permanentes sur les prix des produits alimentaires, d'augmentation de la demande et de ralentissement de la productivité, il faut que la Pac puisse garantir le niveau de vie des agriculteurs, stabiliser les marchés, accroître la productivité et soutenir la lutte contre le changement climatique. Car la situation a profondément changé par rapport à la bonne vieille Pac d'il y a cinquante ans. Aujourd'hui, les agriculteurs n'ont plus besoin d'être protégés de la baisse des prix -car ils augmentent fortement- mais du marché. Ils ont besoin de mécanismes fondés par exemple sur le principe de l'assurance, pour mettre de l'argent de côté les bonnes années de manière à se couvrir les mauvaises années. Jacques Chirac était tout fier d'avoir réussi à maintenir le budget de la Pac au même niveau pour la période 2008-2013, mais la seule année où les agriculteurs ont vraiment souffert, c'était en 2009 avec la crise du lait. Et la Pac s'était révélée inadaptée.

La France va donc devoir assouplir sa position sur la Pac. Qu'en est-il du fameux "rabais britannique" en vigueur depuis 1984, et qui rembourse au Royaume-Uni une partie de sa contribution ?

Le "chèque anglais" est archaïque, c'est une survivance d'une époque révolue que rien ne justifie, et tout le monde le sait, y compris les Anglais. Mme Thatcher avait obtenu ce rabais dans les années 1980 en instaurant un rapport de force politique, mais cette position n'est plus justifiable. Ils vont devoir y renoncer au moins en partie, et la solution à ce problème sans aller au combat réside dans la création de ressources propres pour le budget européen, ce qui permet de facto de diminuer les contributions nationales et donc d'élargir ce rabais à tous les pays.

Le budget européen doit être adopté par consensus. Comment comptez-vous y arriver sans vider le projet de sa substance ?

Chacun doit faire des efforts, mais au final tout le monde y gagne car ces propositions sont intelligentes, audacieuses, réalistes et raisonnables. Il ne s'agit pas de bouleverser les équilibres traditionnels mais d'adapter les politiques communes aux enjeux de l'avenir. Les négociations seront longues et douloureuses car les esprits sont tournés vers les problèmes immédiats tels les incendies de la dette publique et des déficits dans la zone euro, mais il s'agit de voir plus loin, de préparer le lendemain de crise. C'est pour cela que je défends la mise en place d'une conférence financière européenne qui pourrait se tenir à l'automne. L'objectif est de poursuivre le débat sur le budget en associant les parlements nationaux, et donc sortir du huis clos des ministres des Finances. Le principe a été retenu par le Parlement et soutenu par Nicolas Sarkozy, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, et le Premier ministre polonais. Au final, je ne pense pas que nous aurons un accord avant 2013, c'est-à-dire après les élections présidentielles françaises de 2012 et les élections allemandes en 2013.