La Chine débat de sa croissance "sanglante"

Par Emilie Torgemen, correspondante à Shanghai  |   |  495  mots
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A la suite de la collision de trains le 23 juillet dernier à Wenzhou, qui a fait 40 morts, les critiques fusent même dans les médias officiels. Certains dénoncent la croissance qui se fait au dépend des vies humaines, ce qu'ils appellent le "PIB sanglant".

"PIB sanglant". Cette expression fait désormais florès en Chine sur la Toile et dans le langage courant. La formule-choc est une réaction au grave accident ferroviaire qui a fait 40 morts et au moins 200 blessés le 23 juillet près de la ville de Wenzhou (sud-est de la Chine).

Avec cette nouvelle catastrophe, Pékin est accusé d'avoir tout sacrifié pour sa foudroyante croissance économique (soit une progression du produit intérieur brut [PIB] en rythme annuel de 9,5% entre avril et juin). Les trains rapides chinois - ce sont deux d'entre eux qui se sont téléscopés -, qui devaient faire la fierté du pays, sont devenus le symbole de la gestion d'un parti communiste chinois qui n'accorde aucun prix à la vie humaine.

Même le Quotidien du Peuple contrôlé par le pouvoir a repris l'expression dans un éditorial : "la Chine voulait le développement mais pas un PIB sanglant" le 28 juillet. Mais cette surprenante critique venue des médias officiels n'a pas duré : une semaine plus tard, le Global Times mettait en garde contre les "extrémistes" qui dénoncent le "soit-disant PIB sanglant", détruisant l'image de la Chine sur Internet.

L'accident de Wenzhou est le dernier d'une série de désastres à l'instar du lait contaminé, de la pollution aux métaux lourds et de l'effondrement des constructions de mauvaises qualité.

Les seules mines ont coûté la vie à 2.500 travailleurs en 2010. Dans l'accident de Wenzhou, c'est la classe moyenne, soutien naturel du pouvoir et plus grand bénéficiaire de la croissance, qui est touchée. Ceci explique sûrement en partie la peur de Pékin, qui vient d'annoncer ce mercredi une suspension des nouveaux projets ferroviaires.

"La tragédie de Wenzhou pourrait pousser le gouvernement à ralentir sa croissance dans les années à avenir, lui laissant plus de temps pour régler les problèmes créés par sa croissance artificiellement rapide", explique un récent rapport de Citigroup.

"PIB sanglant ou bon PIB ? C'est une mauvaise question", estime Dai Xingyin, économiste à l'université Fudan de Shanghai. "En Chine, le PIB est une religion, c'est une erreur, il faut déplacer notre attention vers un filet social pour tous, la croissance n'est plus liée à l'amélioration de la vie du peuple chinois" ajoute-t-il Cet économiste estime que Pékin, cherchant à accomplir des "miracles", oublie d'assurer le "minimum" nécessaire (compétences techniques, gestion fiable, système légal solide) pas assez sensationnel.

Ce débat  - somme toute bien contrôlé par le pouvoir - sur les limites du développement économique n'est pas près de faiblir. Un exemple : les autorités du Henan (centre) sont en train d'accélérer le plus important déplacement de population de l'histoire pour creuser un canal d'acheminement des eaux du Sud vers le Nord. Près de 200.000 personnes vont devoir quitter leurs maisons dans les deux procahines années au lieu des trois ans initialement prévus.