Libye : Sarkozy veut la part du lion

Par Frank-Paul Weber  |   |  643  mots
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Dans les coulisses de la Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle de jeudi à l'Elysée, les négociateurs se sont démenés pour gagner les bonnes grâces du Conseil national de transition.

Une soixantaine de pays ou institutions devaient jeudi soir, lors de « la Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle » à l'Elysée, asseoir la légitimité du Conseil National de Transition (CNT) libyen et s'engager à débloquer les fonds du pays pour sa reconstruction.

Mais derrière cette unanimité de façade, la bataille pour s'arroger une grande part du gâteau des affaires libyennes fait rage. Et ce conflit de velours entre grandes puissances économiques des États-Unis à la Chine en passant par la France ou l'Allemagne fera aussi des perdants et des gagnants. Les vainqueurs militaires la France et la Grande Bretagne notamment veulent aussi l'être côté contrats et investissements de la « nouvelle Libye ».

Le quotidien « Libération » publiait ainsi jeudi le fac-similé d'une lettre du CNT du 3 avril dernier - dont il reste à prouver l'authenticité - dans laquelle les rebelles libyens évoquent « un accord sur le pétrole passé avec la France en échange de la reconnaissance de notre Conseil (...) attribuant 35 % du total du pétrole brut aux Français ».

Il n'en reste pas moins que le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, n'a pas démenti ce courrier. « Je n'ai pas connaissance de cette lettre (...), d'accord formel » a-t-il dit jeudi aux micros de RTL. Il a toutefois précisé qu'il lui «parait assez logique et assez juste [que] pour la reconstruction de la Libye, le Conseil de Transition s'adresse de manière préférentielle à ceux qui l'ont soutenu ». Le CNT est en effet assez clair : «le peuple libyen sait qui a soutenu sa bataille de liberté et qui ne l'a pas fait. En tenir compte est non seulement inévitable mais aussi juste » déclarait la semaine dernière Abdul Hafiz Ghoga, porte-parole et numéro deux du CNT.

Les entreprises françaises peuvent donc nourrir de légitimes espoirs de percer en Libye. Elles devraient tirer leur épingle du jeu de la reconstruction tout comme leurs homologues américaines comme les pétroliers ConocoPhillips ou Marathon Oil Corp. associés à la compagnie nationale libyenne (NOC) ou britanniques à l'instar de BP (revenu en Libye à la faveur d'un accord en 2007 négocié sous les auspices de Tony Blair et du colonel Kadhafi).

Côté perdants, ou craignant de l'être, se trouvent l'Italie, l'Allemagne ou la Russie, voire la Chine. Les Italiens sont les plus à cran, non seulement car le fonds souverain libyen (voir ci-contre) dispose d'importantes participations dans des firmes du pays (la banque Unicredit, Finmeccanica). Rome était en effet avant le conflit le principal partenaire commercial de Tripoli, en particulier, son premier fournisseur, loin devant la Chine et l'Allemagne, avec 21 % des importations libyennes étiquetées « made in Italy ». Les firmes françaises arrivaient elles à peine à 4 % de l'import de Tripoli. Silvio Berlusconi plaidait jeudi, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, que « l'Italie a été un des pays les plus engagés dans la mission en Libye », alors qu'à la veille de l'intervention il agitait l'idée d'une initiative avec l'Allemagne pour bloquer les velléités militaires franco-britanniques. Du coup le géant pétrolier italien contrôlé par l'État, l'ENI, fait le forcing pour sauver ses vastes accords en Libye : son chef, Paolo Scaroni vient de signer un mémorandum avec le CNT en ce sens.

Ses alliés russes de Gazprom ne sont pas mieux positionnés en raison de l'opposition de Moscou à l'intervention en Libye. « Nos firmes ne vont pas être autorisées à travailler dans la nouvelle Libye » estime Aram Shegunts, directeur général du Conseil des affaires Russie-Libye. Le grand contrat obtenu par les chemins de fer russes (RZhD) d'une valeur de 2,2 milliards d'euros semble ainsi en péril. La reconnaissance du CNT par Moscou jeudi, à quelques heures de la Conférence « des amis de la Libye », pourrait ne pas suffire à inverser la tendance...