Le plan allemand pour relancer la construction européenne

Par Romaric Godin et Robert Jules  |   |  1234  mots
Copyright Reuters (Crédits : Thomson Reuters 2011)
Après le semi-échec du dernier Conseil européen, Angela Merkel reprend l'offensive. Selon un document de travail du gouvernement allemand que s'est procuré le journal britannique The Daily Telegraph (liens dans l'article ci-dessous), l'Allemagne plaide pour plus de fédéralisme et un durcissement de l'application de Maastricht.

Berlin souhaite accélérer l'intégration budgétaire des pays de la zone euro par un transfert de souveraineté au niveau européen, seul susceptible d'imposer une discipline nécessaire à la relance du projet européen, et éviter un "remake" de la crise grecque et ses conséquences.

Le journal britannique The Daily Telegraph a obtenu et mis en ligne sur son site vendredi un document de travail du gouvernement allemand sur l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro particulièrement précis sur le cap qu'entend fixer Berlin pour l'avenir de l'Europe.

Si pour les pays du Nord dits vertueux les effets devraient être limités, en revanche c'est une véritable remise en cause de la gestion politique et économique pour des pays comme la France ou l'Italie.

Ce document liste en effet les moyens dont devra se doter l'Europe pour "ancrer fermement et définitivement une solide culture budgétaire". Selon les auteurs de ce rapport, c'est là le seul moyen d'établir une "véritable union de la stabilité" capable de mettre fin à la crise actuelle. Car c'est par la création d'une "politique budgétaire et économique intégrée" que la zone euro pourra à "long terme devenir stable financièrement et économiquement viable".

Le rapport préconise une "procédure à plusieurs niveaux" pour parvenir à cet objectif. Il s'agit d'abord de "l'automatisation des sanctions" contre les pays qui affichent des déficits excessifs. Jusqu'à maintenant la France et l'Italie se sont toujours fermement opposées à cette automaticité.

Concrètement, cela signifie que la Commission pourrait appliquer une sanction à un pays sans en référer au conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone. Le rapport enfonce même le clou en suggérant le recours aux sanctions financières comme "arme préventive" afin de pouvoir régler les problèmes "à la racine". Ainsi, lorsque les écarts au pacte de stabilité et de croissance deviennent "durables", le document défend la possibilité d'une plainte devant la Cour de justice européenne par la commission ou même par un pays membre.

Est ensuite évoquée la possibilité d'un "commissaire de stabilité" pour les pays qui sont dans ce cas. Le document met toutefois en garde contre son "automaticité" dans la mesure où une telle procédure pourrait être en désaccord avec la constitution allemande et "l'autonomie budgétaire du Bundestag". Les auteurs du rapport estiment que ce commissaire pourrait ainsi "décider directement" de l'utilisation des fonds structurels européens.

L'Allemagne irait même plus loin en préconisant, selon ce document, une "réduction de souveraineté automatique" pour les pays qui, à partir de 2013, demanderont l'aide du mécanisme européen de stabilité (MES). Ainsi l'Union européenne, sur proposition du MES, devrait détenir un "droit de veto" sur le budget adopté par le parlement national lorsque "celui-ci" contredit "de façon éclatante" les "bases de la consolidation budgétaire". Et si ce pays ne peut pas remplir les objectifs fixés par le MES, des mesures budgétaires, comme des réductions de dépenses ou de nouvelles recettes, pourront être "imposées". Enfin, le rapport estime en "dernier recours" qu'il doit être possible "d'imposer des mesures administratives". Les auteurs demandent également ici de "regarder avec attention" la constitutionnalité allemande de ces mesures. Ils estiment qu'elle devrait être acceptable dans la mesure où elle concerne "les autres pays européens" et que les programmes du MES devront être approuvés à l'unanimité.

Dernière pierre angulaire de ce rapport : la mise en place d'une "faillite ordonnée des Etats" dans le cadre du MES. On est donc loin du seul cas grec, comme évoqué aujourd'hui. Outre Rhin, le gouvernement n'a jamais caché qu'il considérait comme tout à fait logique que les investisseurs privés assument leurs part de risques. C'est une idée que défendait l'année dernière la chancelière allemande face à la France et à Jean-Claude Trichet lorsqu'il était gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE).

Si malgré toutes ces nouvelles procédures, la situation demeure désespérée pour un Etat alors la faillite doit s'accompagner d'un plan de soutien bancaire prévoyant la recapitalisation des banques fragilisées afin d'assurer la stabilité du système financier, indique le document.

Quant au calendrier, les "jalons" de toute cette réforme devront être posés dans "les prochains jours ou les prochaines semaines", même si'il faut en passer par une modification des traités européens existants. Par souci de clarté, le texte recommande du reste d'intégrer les modifications du MES. Pour cela, conformément à l'article 48 du traité de l'UE, le rapport recommande la "procédure simplifiée" de révision par la convocation "rapide" d'une "Convention" formée de représentants des parlements nationaux, des gouvernements, de la Commission et du parlement européen. Elle pourra valider ces réformes qui devront être ratifiées par les pays membres. Le rapport préconise une ratification limitée aux pays membres de la zone euro et précise explicitement qu'ainsi le Royaume-Uni pourrait ne pas être concerné. De facto, l'un des poids lourds de l'UE, pourrait se retrouver totalement isolé. Pour finir, le document précise qu'une fois "l'union de la stabilité" réalisée devra débuter "le débat sur la voie à choisir pour parvenir à l'union politique".

Ce texte de travail s'inscrit clairement dans une prise d'initiative de l'Allemagne pour sortir de la crise de la dette, après le semi-échec du dernier conseil européen dramatisé par le président français, avant le sommet du G20. Depuis son intervention lundi au congrès de la CDU, Angela Merkel a adopté un discours plus offensif et a défendu une action rapide dans la voie d'une Union plus intégrée. Avec un tel texte, la République fédérale explicite donc son leadership de fait. Elle a compris, surtout depuis l'extension de la défiance des investisseurs contre les autres pays notés AAA de la zone euro et en l'absence d'initiatives de Paris désormais focalisée sur le risque de perte de sa notation et dans un contexte de campagne présidentielle, qu'elle ne pouvait demeurer dans l'expectative et l'attentisme.

Ces propositions traduisent sa vision de la nécessité de durcir Maastricht et de s'engager vers une Europe plus fédérale pour sauver l'euro. On notera cependant qu'elles n'indiquent pas, pour le moment, la possibilité d'exclure un membre de l'Union économique et monétaire, comme la chancelière l'avait jadis évoqué et comme le réclament certains politiques et économistes outre-Rhin. Mais le document suggère que ceux qui ne voudront pas respecter les règles pourront sortir s'ils le désirent. En effet, pour les pays touchés par la crise qui vont devoir accepter le principe d'une souveraineté limitée en cas de recours au MES, cela risque d'être politiquement difficile à admettre, en particulier pour les opinions publiques. Mais un refus de leur part rendrait nécessairement leur présence dans la zone euro impossible. Peut-être les auteurs de ce plan y voient-il là un moyen d'exclure les mauvais élèves les plus récalcitrants. C'est à prendre ou à laisser.

Version allemande du document ici et traduction en anglais par le think tank Open Europe ici.