Obama veut réduire les inégalités : mais le peut-il vraiment ?

Par Ivan Best  |   |  963  mots
Le président américain fait de la lutte contre les inégalités la priorité. Mais son arsenal paraît bien sous-dimensionné

Dans son discours sur l'état de l'Union, Barack Obama a fait de la réduction des inégalités une priorité absolue. Il met en avant, notamment, la hausse du salaire minimum de quelque 40%, qu'il entend défendre. Le salaire minimum passerait ainsi à 10,10 dollars de l'heure, contre 7,25 dollars actuellement (certains Etats imposent déjà un niveau supérieur, mais qui reste inférieur à 10 dollars). Un bond important, à l'évidence. Mais pourra-t-il imposer cette mesure au Congrès ? Tout au plus peut-il faire en sorte que les entreprises ayant des contrats avec l'administration suivent cette règle.

 Des inégalités record

Et même, dans l'hypothèse -peu probable- où une majorité se dégagerait en ce sens, cela suffirait-il à réduire sensiblement les inégalités aux Etats-Unis ? C'est peu probable. Les inégalités n'ont quasiment jamais été aussi fortes.

Qu'on en juge : selon les statistiques de source fiscale, compilées par le spécialiste des inégalités aux Etats-Unis, le Français Emmanuel Saez, professeur à l'université de Berkeley, le revenu moyen de la plupart des Américains (hormis les 10% les plus aisés) a baissé, en terme réels -une fois l'inflation défalquée- entre 2002 et 2010. La chute a atteint 9,5%. Et il a stagné pour la moitié inférieure des 10% de ménages les plus aisés.

En revanche, pour les 5% d'Américains les plus à l'aise, le revenu a augmenté de 9,4% sur la période. Mieux -ou pire ?-, s'agissant de la fraction des 1% les plus riches, la hausse a atteint 15,2% au cours des années 2000. Elle a même été de 48,9% pour la petite minorité la plus aisée (0,01% de la population).

 La quasi totalité de la hausse des revenus réservée à 1% des ménages

Ce creusement des inégalités serait-il dû aux excès d'avant la crise ? Aurait-il pris fin après 2009 ? Pas du tout. Au contraire… Entre 2009 et 2012, le revenu de l'immense majorité (90% des ménages) a reculé, en termes réels, de 1,8%. Mais pour les 10% les plus riches, c'est une hausse de 15% qui a été enregistrée. Elle a même atteint 19,8% pour les 5% en haut de la hiérarchie des revenus, et 31,5% pour la catégorie au sommet (1% des foyers). Quant l'élite (0,1% des ménages), elle a enregistré une progression de 44,8% sur ces trois années là!

Pour l'ensemble des Américains, la hausse des revenus a donc globalement dépassé les 4% sur cette période 2009-2012. Mais elle est allée intégralement ou presque (95%) dans la poche d'une infime minorité (1% les plus riches). Du jamais vu, même au temps de la bulle financière ou des années 2000 : jamais cette minorité n'avait accaparé plus de 65% de la hausse des revenus.

Un sujet macro-économique

Il s'agit d'un sujet aux retombées macro-économiques : quand 10% des ménages encaissent des 50% des revenus -pour la première fois, en 2012-, c'est toute la question de l'accès à la consommation pour les autres qui est posée.

Le rebond de la Bourse a contribué, bien sûr, à ce creusement des inégalités après 2009 puisque ces calculs intègrent les gains en capital. Mais, à exclure les plus-values sur titres du calcul, la donne ne change pas réellement. Pour le fameux « fractile » des 1% les plus aisés, le revenu réel a bondi de 19% entre 2009 et 2012. Et 29% pour la petite minorité (0,1% des ménages) la plus aisée.

 Une hausse du salaire minimum peut-elle changer la donne?

Une augmentation du salaire minimum, même élevée, pourrait-elle changer cette situation ? Tout se passe au sein des 10% de ménages les plus aisés. A l'évidence, un changement, très hypothétique, en bas de la hiérarchie salariale, ne ferait pas bouger les lignes. Quant à l'idée évoquée par Obama de bons du Trésor réservés aux pauvres afin de préparer leur retraite, cela suppose que les Américains les moins bien rémunérés aient les moyens d'épargner…

 Des causes profondes

Ce creusement des inégalités tient à des causes profondes, comme l'effondrement de pans entiers de l'industrie - qui employait des salariés dits moyens. Le modèle actuel est celui de salariés employés dans les multiples services à faible valeur ajoutée, tandis que 10% de la population, au sommet de la hiérarchie sociale, est occupé à des tâches de conception (l'exemple de la Silicon Valley est évidemment éclairant).

La révolution du gaz de schiste, qui réduit drastiquement les coûts de production de l'industrie américaine, et va la doper à l'avenir, pourrait-elle changer la donne ? Cela reste bien incertain.

Les logiques financières prédominent

Pour un économiste tel que Michel Aglietta, c'est tout le système économique mis en place à partir des années 1980, qui donne la prééminence aux logiques financières, qui est en cause. Les décideurs économiques ne sont plus dans l'optique des années antérieures, qui était le développement de l'entreprise, et l'enrichissement progressif de ses salariés (ce qu'on a appelé le modèle fordiste), lesquels constituent un débouché pour l'industrie.

Aujourd'hui, aux États-Unis, la part des salaires dans la valeur ajoutée ne cesse de reculer (de 62% en 2007, elle est tombée à 59% en 2012).

En outre, ce gâteau qui se réduit est partagé de moins en moins équitablement. Outre le fait que les décideurs se satisfont de ce système, qui leur assure une hausse constante de leur niveau de vie -ils auront donc toutes les peines à soutenir l'administration Obama dans sa lutte contre les inégalités-, le président américain est peu armé pour mettre fin aux inégalités. Même s'il en avait la farouche volonté.