La querelle fiscale germano-suisse rebondit

Par Romaric Godin  |   |  947  mots
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Berne a lancé trois mandats d'arrêt contre des inspecteurs des impôts allemands qui avaient acheté en 2010 un CD contenant des données sur les évadés fiscaux. Outre-Rhin, la réaction a été prudente à droite mais très violente à gauche.

Le ton monte à nouveau entre Berne et Berlin. Alors qu'en fin de semaine passée, les Länder dirigés par la gauche menaçaient de faire échouer la ratification de l'accord fiscal avec la Suisse, le procureur fédéral helvétique Michael Lauber a annoncé ce week-end qu'il avait lancé des mandats d'arrêt contre trois inspecteurs des impôts allemands.

Accusations
Que reproche-t-il à ces fonctionnaires de l'Etat de Rhénanie du Nord Westphalie ? "Complicité d'espionnage économique" et "rupture du secret bancaire". Concrètement, l'affaire remonte à 2010 lorsque ces inspecteurs réputés outre-Rhin pour leur lutte contre la criminalité financière ont reçu une proposition d'un mystérieux informateur leur proposant un CD avec des informations sur des évadés fiscaux allemands ayant déposé leurs fortunes chez Crédit Suisse dans la Confédération. Après moult atermoiements, Berlin a autorisé l'achat de ces CD. Mais la collection et la vente de ces données sont évidemment considérés comme des délits en Suisse.

Pas de mandat international
Aucun mandat d'arrêt international n'a pour le moment été déposé par Berne. Les trois inspecteurs peuvent donc aller et venir comme bon leur semble du moment qu'ils ne franchissent pas la frontière de la Confédération. A priori, s'ils respectent cette condition, ils peuvent dormir en paix : l'Allemagne n'extrade pas ses ressortissants vers des pays non membres de l'UE et la cour constitutionnelle de Karlsruhe avait déjà jugé que l'achat de ces CD n'était pas illégal en République fédérale. La demande d'aide de Berne à Berlin a donc peu de chance d'être suivie d'effet.

Fureur de la gauche allemande
L'essentiel n'est sans doute pas ici. Cette annonce a en effet déclenché des réactions violentes à gauche en Allemagne où l'on fait évidemment le lien avec l'accord fiscal. "C'est une tentative d'intimidation, mais la Suisse se trompe lourdement", a tonné le ministre rhénan des Finances SPD Norbert Walter-Borjans qui a ajouté que "les criminels ne sont pas nos inspecteurs, mais les évadés fiscaux". Le quotidien de centre-gauche munichois Süddeutsche Zeitung évoque un comportement helvétique "démesuré, inapproprié et stupide" et donne le ton de la presse allemande. Le patron du SPD, Sigmar Gabriel a, du reste, annoncé qu'il était désormais absolument hors de question que les Länder dirigés par la gauche acceptent l'accord fiscal avec Berne.

Compréhension à droite
La droite allemande a, elle, jugé avec plus de mesure la décision suisse. Le FDP libéral a même justifié la procédure suisse en rappelant que les données collectées par l'Etat allemand étaient issues d'un vol. Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des Finances, membre de la CDU d'Angela Merkel, a ainsi fait part de sa "compréhension" pour la procédure suisse. "La Suisse n'est pas une république bananière, c'est un Etat de droit et cela n'a pas de sens de se jeter les uns sur les autres ni n'a pas de sens de se jeter les uns contre les autres », a-t-il martelé. Il semble que le ministre tente de sauver l'accord fiscal qu'il défend depuis longtemps, malgré cette nouvelle péripétie. C'est, du reste, le point de vue de la droite allemande. L'éditorialiste du quotidien conservateur FAZ lundi expliquait ainsi que si l'accord avait été appliqué avant 2010, il n'y aurait pas eu de mise en cause des inspecteurs des impôts allemands.

Débat de politique intérieure
En réalité, outre-Rhin, la question des relations fiscales avec la Suisse est moins un problème de relation germano-helvétique qu'un problème de politique intérieure. Le SPD a fait de la lutte contre l'évasion fiscale son cheval de bataille, parce qu'elle y voit un sujet populaire et qui la distingue clairement de la CDU et du FDP. Dès 2009, le ministre des Finances d'alors, le social-démocrate Peer Steinbrück, actuellement favori pour le poste de chancelier en 2013, avait annoncé, à propos des questions fiscales, qu'il renverrait les "Indiens dans leur réserve" en parlant des Suisses, ce qui avait provoqué un incident diplomatique. Alors que deux campagnes électorales régionales ont lieu en Allemagne, dans des Länder où la gauche part favorite, le SPD mène une ligne dure face à l'accord fiscal. Et il ne pouvait espérer une telle bévue de la part des Suisses...

L'accord fiscal "Rubik"

Pour régler les différends fiscaux avec ses voisins, la Confédération a proposé un accord permettant de sauver son secret bacanire tout en satisfaisant aux demandes des fiscs étrangers. Cet accord proposé par l'association des banques étrangères en Suisse a été baptisé par ses concepteurs "Rubik" en référence au jeu de cube célèbre en voguedans les années 1980. Son principe est d'imposer au taux unique de 26,4 % les sommes déposées en Suisse. Pour les sommes déjà déposées dans les banques helvétiques, le taux d'imposition irait de 19 à 34 %. Dans le cas de l'Allemagne, la Suisse a accepté de releverces taux de 21 à 41 %. L'argent est collecté par la Confédération et reversé à l'Etat concerné sans dévoiler le nom des personnes déposantes.

Le Royaume-Uni et l'Allemagne ont signé cet accord, mais seul Londres l'a ratifié. Pour le moment, la France, à qui l'accord Rubik a été proposé, n'a pas donné suite. Les critiques contre cet accord porte sur le taux d'imposition trop faible, sur l'anonymat des déposants et sur le transfert tardif des informations concernant les éventuels versements des déposants depuis la Suisse vers d'autres paradis fiscaux.