En Suisse, l'argent propre bouscule les banquiers

Berne force la place financière à accélérer sa mutation en renonçant à l'argent non déclaré. Dans la confusion, les banques improvisent des stratégies. Enquête sur un virage que le lobby bancaire n'a plus la force de combattre. Un article de notre partenaire Le Temps.
Copyright Reuters

Le compte à rebours a commencé. Déjà pris à la gorge par les coups de boutoir américains et européens contre le secret bancaire, les banquiers suisses ont désormais six mois pour se préparer au virage de "l'argent propre. Cette nouvelle stratégie, que le Conseil fédéral veut concrétiser d'ici à septembre, vise à mettre un terme à la tradition quasi centenaire d'accueil de fonds non déclarés par la place financière helvétique.

La rupture est venue le 22 février, sous la forme d'une "note de discussion" du gouvernement. Elle marque une nouvelle étape: non seulement les banques ne ­devront plus accepter de fonds non déclarés - des signaux en ce sens ont été donnés depuis 2009 déjà -, mais il faudra aussi régler le cas de ceux qui ont été déposés chez elles dans le passé.

Pour cette situation "plus délicate", précise le document, "il faut déterminer les mesures que doit prendre l'établissement [...]." Une mesure possible est l'interruption de la relation d'affaires. Et si le client veut transférer son argent ailleurs, "l'établissement doit s'assurer que les capitaux quittent effectivement la Suisse".

Pour l'instant, note un banquier zurichois au fait de ces questions, accepter de l'argent non déclaré n'est pas illégal, ni même contraire à la Convention de diligence, cet accord volontaire censé régir le comportement des établissements financiers. Mais le discours que ces derniers tiennent aux clients a changé. "Le message, c'est: si vous voulez rester chez nous, vous devrez vous régulariser", commente l'avocat genevois Carlo Lombardini.

Dans les banques, "l'argent propre" est devenu le sujet de préoccupation principal. "On en parle entre nous, on essaie de savoir comment s'y prennent les autres", explique une banquière romande.

Certaines déclarations de Berne accroissent la nervosité ambiante. Ainsi, dans une interview publiée le 25 janvier par ­Finanz und Wirtschaft , Urs Zulauf, le juriste en chef de la Finma, l'autorité de régulation financière, affirmait que son institution avait, depuis deux ans, mis en garde les banques contre l'acceptation de fonds non déclarés, une pratique "irresponsable et grossièrement négligente" selon lui.

"C'est faux, la Finma n'a jamais dit qu'il ne fallait plus accepter cet argent, accuse la banquière précitée. La seule règle en vigueur jusqu'ici, c'était l'interdiction du péché de gourmandise, c'est-à-dire le fait de baser son business model sur l'argent non déclaré."

Aujourd'hui, la Finma se fait plus pressante. Et le lobby bancaire, hier puissant, est trop divisé pour résister. "Le plus incroyable c'est que l'on a décidé de ne plus se battre pour le secret bancaire au niveau des organisations professionnelles, confiait récemment un banquier genevois bien placé dans les associations de la branche. Les grandes banques ont abdiqué. Quant aux banques privées, elles ne se sentent pas capables et assez fortes pour se lancer dans une bagarre politique, elles qui ont toujours préféré la discrétion. Cet abandon avant d'avoir envisagé de se battre m'a surpris, déçu, mais tout le monde s'y résigne."

Pour les clients, commente un autre professionnel, "l'argent propre n'est que le énième coup contre le secret bancaire, mais certains sont véritablement paralysés par la peur. Ils craignent que leur banque puisse, au final, renseigner les autorités de leur pays".

Dans cette atmosphère de débandade, des questions pressantes restent sans réponse. «A-t-on le droit, aujourd'hui, de prendre un client français non déclaré chassé d'un autre établissement?» se demande un praticien.

En l'absence de règles précises, les banques adoptent des attitudes divergentes. L'an dernier, la France a obligé tous ses ressortissants siégeant dans des trusts (structure paravent utilisée en gestion de fortune) à s'annoncer aux autorités. Selon une source informée, Credit Suisse a alors décidé de contraindre les clients dont les fonds n'étaient pas déclarés à quitter la banque, sans leur permettre de rouvrir un compte à leur nom après avoir dissous leurs trusts. Il en aurait résulté une hémorragie de fonds de quelque 800 millions de francs. Chez UBS, en revanche, les Français auraient pu ouvrir de nouveaux comptes.

Interrogé par Le Temps, Credit Suisse précise que la banque «poursuit une politique de conformité fiscale» et «a agi de façon à ce que ses clients soient en conformité fiscale». De son côté, UBS précise qu'elle "ne fournit aucun soutien aux activités de clients visant à contourner le fisc".

Même si aucune ne communique sur le sujet, de plus en plus de banques remettent aux clients des récapitulatifs de leurs avoirs pour les inciter à se déclarer. «Nous mettons le client en situation de faire face à ses obligations fiscales», commente un banquier dont l'établissement a introduit cette pratique.

Mais de tels procédés ne répondent pas au problème le plus délicat que pose «l'argent propre». Quels sont les indices qui permettent au banquier de soupçonner que son client trompe le fisc - avec pour conséquence de devoir rompre la relation avec lui, voire, à terme, le dénoncer aux autorités en vertu de futures normes internationales faisant de l'évasion fiscale un "crime préalable" de blanchiment? "Il ne faut pas qu'on aille trop loin", s'inquiète un haut fonctionnaire, car des critères trop stricts menaceraient des secteurs vitaux comme le négoce de matières premières. Celui-ci manie de très grosses sommes, utilise des structures offshore et des circuits financiers compliqués - autant de signes considérés comme des marqueurs potentiels d'évasion fiscale par les autorités américaines, notamment.

Les banquiers les moins pessimistes pensent que la place financière peut survivre sans secret bancaire. A condition de jouer un autre atout: sa capacité à gérer des fortunes réparties dans plusieurs pays, appartenant à de grandes familles ou des hommes d'affaires internationaux.

Encore faudra-t-il que le régime d'auto-déclaration qui va se mettre en place dans le cadre de "l'argent propre" ne soit pas trop contraignant. Si le client doit attester qu'il est en règle avec les fiscs de tous les Etats d'où proviennent ses revenus, son gérant de fortune devra-t-il vérifier qu'il dit vrai? Ce serait effroyablement long, coûteux et complexe à mettre en œuvre, s'inquiètent les banquiers.

Dernier point: les clients auront-ils encore un intérêt à rester en Suisse dans ces conditions? Certains en doutent, à moins que les tarifs de la gestion de fortune privée ne chutent drastiquement. Car, pour l'instant, rappelle Carlo Lombardini, "ces services sont plus chers en Suisse que dans toutes les places financières concurrentes".

Retrouvez cet article sur le site de notre partenaire Le Temps

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 16
à écrit le 19/03/2012 à 23:12
Signaler
Très bien, si cela est vrai toutefois. Seuls ceux qui ont des choses à se reprocher ont à craindre de la transparence. Et l'exil fiscal coute très cher à l'état français : à cause des éxilés fiscaux, les autres français doivent payer leurs impôts plu...

le 20/03/2012 à 18:08
Signaler
Cela ne changera rien: les exilés fiscaux auront leur argent en Asie ou chez les Anglo-Saxons plutôt que chez nos voisins

le 20/03/2012 à 19:16
Signaler
En Asie il faut avoir confiance ... car en cas de problème ... la distance la culture et la langue ....

le 23/03/2012 à 21:50
Signaler
ET il y a des pourris partout même en Asie ... pour récupérer son pognon dans ce cas la cela risque d'être très très très difficile ..... quelle juridiction vous défendra? a quel prix ? avec quel taux de réussite ?

à écrit le 19/03/2012 à 12:02
Signaler
Il est temps de faire du menage . Les banques Suisses ne peuvent plus se cacher derriere le secret bancaire pour gerer des comptes d'origine douteuse . C'est un nettoyage salutaire et indispensable . Quant aux clients qui ont triche , tant pis pour e...

le 19/03/2012 à 17:43
Signaler
Ce n'est pas l'impot dont il est question mais le montant exubérant de celui ci. Trop d'impot tue l'impot, et les collectivistes au pouvoir n'ont font toujours la leçon sur la façon on devrait le dépenser pour soi disant des services publics de plus ...

le 19/03/2012 à 20:56
Signaler
Eheh .... même les Suisses cèdent ... Alors Libre , tu vas aller ou ? Au fait les Suisses ont en place une règle qui permet aux exilés fiscaux étrangers de payer des impôts en Suisses faibles ... et même beaucoup plus faibles que les Suisses travaill...

le 20/03/2012 à 18:07
Signaler
Cela va juste permettre aux banques présentes en Suisse dont des filiales de banques française d'organiser leur réseau de filiales à Singapour et à Hong Kong et l'argent des fraudeurs restera dans la même banque mais localisé dans une filaile asiatiq...

à écrit le 19/03/2012 à 10:53
Signaler
Decidement la Suisse est bien faible en ce moment, elle qui avait parfaitement résiste à Hitler....Ou est leur légendaire indépendance? À genoux devant l' Europe et les USA ? Cela fera la fortune de Hong-Kong ou Singapour....

le 19/03/2012 à 12:30
Signaler
@ Bouchy: C'est déjà le cas, Singapour et Hong Kong surtout, débouché bancaire naturel de la Chine, se taillent la part du lion parmi les nouvelles fortunes asiatiques. Ces places sont aussi beaucoup plus opaques et moins coopératives que ne le croie...

le 19/03/2012 à 14:27
Signaler
la resistance a Hitler est un mythe. La suisse n avait pas ete envahie car le jeux n en valiat pas la chandelle Les suisses autorisaeint le transit du reich sur leur territoire, leur permettait de faire des operations financieres (par exemple chat de...

le 20/03/2012 à 18:03
Signaler
@suisse: Dans votre explication, vous vous contredisez: Vous écrivez "La résistance à Hitler est un mythe" et ensuite vous expliquez que Hitler n'a pas attaqué la Suisse parce que trop cher en hommes et risque de destreuction d'infrastrucuture... Don...

le 21/03/2012 à 2:20
Signaler
c'est en effet a hong kong et Singapour que ca se passe...Ces derniers annees de plus en plus de banques ont ouvert une branche la-bas...donc bien des gros comptes ont du etre transferes... Mais il y l'uruguay aussi...et le panama...etc Et les gens...

le 23/03/2012 à 21:52
Signaler
Et plus risqué ... si le pognon disparait vous avez des avocats qui parlent le mandarin vous ?

à écrit le 19/03/2012 à 10:23
Signaler
C'est amusant cette capacité qu'ont les pays à se tirer des balles dans le pied.

à écrit le 19/03/2012 à 10:00
Signaler
Et bientôt l'Euro en Suisse...ca va être la cerise sur le gâteau. Je sens qu'ils vont déchanter les voisins dans quelques temps.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.