Merkollande est mal parti (e)

Par Romaric Godin  |   |  1513  mots
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La renégociation du nouveau traité budgétaire européen annoncée par François Hollande semble vouée à l'échec. Mais Angela Merkel devra accepter un compromis pour sauver, au moins officiellement, le couple franco-allemand.

C'est un dialogue de sourd. D'un côté, François Hollande ne manque pas une occasion d'affirmer qu'il ira à Berlin au lendemain de son arrivée à l'Elysée pour « affirmer le choix du peuple français » et demander une renégociation du traité de stabilité signé le 2 mars par 25 pays de l'UE. En face, Angela Merkel affiche sa fermeté sur un traité qui n'est pas négociable, parce qu'il fait partie d'un tout dans l'esprit du gouvernement allemand.

L'esprit du traité n'est pas compatible avec la relance

Ce traité, rappelons-le, impose aux pays en crise une cure d'austérité pour redresser rapidement leur compétitivité. Pendant cette cure - et seulement à cette condition - Berlin accepte, via le Mécanisme européen de stabilité (MES), le successeur du FESF, d'aider ces pays à faire face à leurs dettes. Ajouter un plan de relance à cette construction n'a aucun sens du point de vue allemand : cela revient à financer les déficits des uns par les excédents des autres et donc à rééquilibrer par le bas la compétitivité, ce dont Berlin ne veut pas. Et surtout, dans une logique ordolibérale, la récession a une fonction : celle de « dégonfler » la croissance artificielle créée par les dépenses publiques. Si vous "réduisez" cette récession, vous réduisez les incitations aux réformes visant à restaurer la compétitivité.

Risque intérieur allemand

Cette restauration de la compétitivité dans les pays touchés par la crise de la dette est une priorité pour Berlin, car c'est pour le gouvernement allemand une façon de s'assurer qu'il ne deviendra pas la vache à lait de l'Europe. C'est aussi, du point de vue d'Angela Merkel, une position pro-européenne. « Le scepticisme vis-à-vis de l'Europe a fortement progressé dans l'opinion allemande dans le sillage de la crise grecque », rappelle ainsi Ursula Münch, directrice de l'institut d'études politiques de Tutzing, en Bavière qui affirme que dans ces conditions « le gouvernement fédéral allemand ne peut pas se permettre d'accepter une nouvelle négociation du traité ». Le risque, affirme la politologue allemande, serait en effet de voir « ce scepticisme encore grandir ».

Le PS français confiant

Jean-Marc Ayrault, député de Loire-Atlantique, président du groupe PS à l'Assemblée nationale et « conseiller spécial » du candidat socialiste n'en démort pourtant pas. Contacté par la Tribune, il affirme que « l'Allemagne bougera dans son propre intérêt ». Il ne veut donc pas envisager l'option d'un « nein » pur et simple de Berlin à l'initiative de François Hollande. Les arguments de Jean-Marc Ayrault risquent cependant de s'affronter aux réalités de l'Europe d'aujourd'hui. Passons sur celui, flatteur pour les Français, mais peu crédible d'un président « fort du mandat du suffrage universel » sommant Angela Merkel de renégocier. La chancelière peut également se prévaloir du « suffrage universel » et la position de la France sur les marchés ne lui permet sans doute pas de jouer la carte de sa « grandeur » qui, du reste, irrite tant à l'étranger.

Besoin allemand de croissance ?


Le deuxième argument de Jean-Marc Ayrault est plus convaincant. « L'Allemagne aussi connaît la crise, ses prévisions de croissance sont faibles et elle connaîtra également les conséquences des politiques d'austérité », affirme-t-il. En effet, la mauvaise enquête PMI allemande de mercredi montre que l'activité est loin d'être au beau fixe outre-Rhin. Mais les récentes perspectives des grands instituts ont souligné le 19 avril qu'ils « attendaient que les forces qui poussent l'économie allemande vont s'accélérer au cours des années 2012 et 2013 malgré la faiblesse du reste de l'économie de la zone euro ».

En 2013, l'Allemagne pourrait revenir à 2 % de croissance. De plus en plus, la croissance allemande dépend non plus de ses voisins que de la conjoncture en Asie. C'est de là que vient l'impulsion capable de porter l'économie allemande. Le fort découplage entre la croissance européenne et la croissance allemande au cours de ces deux dernières années ne s'explique pas autrement. Quant au gouvernement fédéral, il n'a pas de raison de s'inquiéter. On a appris cette semaine que, malgré le ralentissement économique, les recettes fiscales restaient à des niveaux record. Berlin n'a donc pas besoin de relance keynésienne.

Alliance européenne pour la croissance ?

Jean-Marc Ayrault avance également l'idée d'une initiative conjointe pour la croissance avec des pays européens qui y seraient favorables. « Je pense en particulier à l'Italie qui sent la nécessité de stimuler la croissance en plus de ses efforts budgétaires », affirme le maire de Nantes. Il aurait pu citer les v?ux de Mario Draghi, président de la BCE, pour un pacte de croissance. Mais il ne faut pas s'y méprendre : tout le monde est pour stimuler la croissance. Angela Merkel aussi. Elle pense simplement que l'assainissement budgétaire est le seul moyen de créer les conditions de cette dernière.

Et mercredi, elle a, tout comme François Hollande, soutenu l'idée de Mario Draghi, mais en précisant qu'elle ne voulait pas de « programme de conjoncture», mais de « réformes structurelles» pour renforcer la croissance. Les deux Mario n'ont du reste pas la même conception que le PS français de la relance. En janvier, Mario Monti avait signé avec onze pays de l'UE une initiative pour la croissance qui demandait des mesures libérales vigoureuses en Europe. Pas vraiment le programme de François Hollande.

L'appui du SPD ?

Jean-Marc Ayrault espère enfin que le SPD allemand pourra faire céder Angela Merkel. Le traité n'est en effet pas encore ratifié par le Bundesrat et le Bundestag et il faut pour ce faire une majorité des deux-tiers, donc les voix sociales-démocrates. Or, souligne avec raison le maire de Nantes, « le SPD demande un volet de croissance. » Mais Ursula Münch ne croit pas que le SPD aille jusqu'à bloquer le processus de ratification. « Le risque en termes de politique intérieur serait trop grand », estime-t-elle. D'autant, fait-elle remarquer, que « le SPD ne semble pas actuellement en mesure de diriger le prochain gouvernement après les élections de 2013 puisqu'on se dirige vers une « grande coalition » dominée par la CDU ». Il ne doit donc pas aller vers une rupture avec la CDU. Du coup, le SPD devra faire preuve d'un esprit de compromis et ne devrait pas aller jusqu'à refuser de ratifier. Ursula Münch souligne du reste qu'un nouveau traité, avec de la croissance, n'est pas plus assuré d'avoir la majorité des deux-tiers.

Vers un compromis

On le voit, malgré ses ambitions affichées, François Hollande n'aura sans doute pas de marge de man?uvre pour imposer ses vues à Angela Merkel. Il n'y aura pas de renégociation du traité. Mais ceci ne signifie pas que la chancelière ne fera pas de geste, comme elle a su en faire tant pour Nicolas Sarkozy. « La politique de la chancelière est pragmatique, elle veut atteindre des objectifs précis et est prête pour cela à faire des compromis », rappelle Ursula Münch qui ne croit pas que la chancelière ira jusqu'au conflit ouvert avec Paris. Ce compromis pourrait prendre l'aspect d'une « initiative pour la croissance » indépendante du traité. C'est ce qu'a évoqué le ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle mardi. Et Jean-Marc Ayrault ne ferme pas la porte à ce compromis : « nous n'en sommes pas à discuter de la forme, mais nous n'accepterons pas de simples déclarations de bonnes intentions », affirme-t-il.

De même François Hollande, dans sa conférence de presse de mercredi, a ouvert la voie à « un autre traité», en parallèle au traité budgétaire. Certes, l'Allemagne n'a pas beaucoup à offrir, mais elle devrait pouvoir accepter quelques grandes politiques d'investissement européens financées sur le budget de l'Union, pas sur le sien (l'objectif d'équilibre budgétaire a été avancé de deux ans outre-Rhin) . Elle pourrait aussi accepter de favoriser la relance salariale chez elle, comme le récent accord dans la fonction publique l'a montré. Pas de quoi changer l'essentiel, mais ceci aurait l'avantage de permettre au nouveau président français de sortir du guêpier où il s'est lui-même jeté la tête haute et au couple franco-allemand de renaître des cendres de la campagne présidentielles françaises.

 

 

Le rôle de la BCE : l'autre blocage avec Berlin

Dans sa conférence de presse de mercredi, le candidat socialiste a réaffirmé sa volonté de "lier" MES et BCE. Même si ce lien n'est pas explicité, il sera refusé par Berlin qui y verrait un accroc à l'indépendance de la banque centrale. Il faudrait du reste renégocier le traité sur le MES signé le 2 février dernier. Quant à la volonté de faire de la BCE un "prêteur en denrier ressort des Etats", l'Allemagne ne voudra pas en entendre parler : ce serait, d son point de vue, encourager les mauvais élèves de la zone euro à persévérer dans leurs erreurs.