Dangereux poker menteur sur la Grèce

Par Robert Jules  |   |  1051  mots
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L'option d'une sortie de la Grèce de la zone euro s'est imposée comme une solution pour la crise européenne non seulement pour nombre de commentateurs mais aussi de responsables politiques dans une sorte de dangereuse prophétie auto-réalisatrice. Un compromis réaliste avec les Grecs serait toutefois moins dommageable pour l'ensemble de l'UE. Ce sera l'enjeu du conseil européen informel de mercredi.

Difficile de se faire une opinion ces derniers jours sur la Grèce et la zone euro. Même si à l'issue du sommet du G8, le communiqué souligne que la Grèce ne doit pas quitter la zone euro, l'option de sa sortie est clairement actée pour certains « gourous », comme Nouriel Roubini, envisagée comme une possibilité par le ministre des Finances allemand Wolfgang Schaüble ou la directrice du FMI Christine Lagarde. Même dans les couloirs de la BCE, on évoque une telle idée, qui paraissait pourtant taboue voici encore quelques semaines. Par ailleurs, le monde des affaires prend les devants, certaines entreprises opérant en Grèce pressant leurs juristes d'inclure des clauses en cas d'un hypothétique retour de la drachme. Ne serait-on pas en train d'assister à une prophétie autoréalisatrice ?

La responsabilité du Pasok et de la Nouvelle Démocratie

C'est peut-être Laurent Fabius, nouveau locataire du Quai d'Orsay, qui a le mieux résumé la situation. Celui qui fut l'un des fers de lance du « non » à la constitution européenne en 2005 « ne veut pas donner de leçons aux Grecs » mais leur conseille toutefois que « s'ils veulent rester dans l'euro, ce qui est je crois une majorité d'entre eux, ils (les Grecs) ne peuvent pas se prononcer pour des formations qui de fait les feraient sortir de l'euro ».

Cette litote du nouveau ministre français des Affaires étrangères élude le véritable problème. En effet, les deux formations qui ont souscrit au mémorandum européen en échange d'une aide du FMI et de Bruxelles, le Pasok et la Nouvelle Démocratie, sont celles là même qui dominent la vie politique du pays depuis la chute de la dictature des colonels en 1974. Ce sont même deux familles, les Papandreou et les Caramanlis, qui ont institué le clientélisme comme forme administrative et la corruption généralisée comme morale de l'Etat. Rappelons-nous la gabegie financière que fut l'organisation des Jeux Olympiques d'Athènes. La fraude fiscale n'a cessé d'exister comme sport national durant toutes ces années. La mise en place d'une administration efficace dans un milieu qui n'y a aucun intérêt ne peut se faire en quelques mois, ou même en deux ans. On peut donc s'interroger sur le réalisme des bailleurs de fonds internationaux et leur connaissance des réalités locales.

Les erreurs d'appréciation de Bruxelles

Ensuite l'électeur grec s'interroge : comment se fait-il qu'un tel régime corrompu et clientéliste n'ai pas été à un moment ou un autre sanctionné par Bruxelles ? Pourquoi une telle complaisance ? Irresponsabilité bureaucratique ou complicité active, difficile de répondre, puisque aucune enquête n'a été diligentée pour déterminer les responsabilités dans la falsification des données des finances publiques de la Grèce, après la révélation en octobre 2009. Et son acceptation sans problèmes des services de Bruxelles.

Pour ce même électeur grec, ce sont aussi les socialistes et les conservateurs qui sont responsables de la situation actuelle par une gestion calamiteuse avant 2009 et... après, car non seulement elle ne s'est pas améliorée depuis l'application des mesures de rigueur mais a même empiré. Sans compter aussi la gestion de la crise de « Merkozy », qui ont piloté cette lente dégradation de la situation en ne parvenant jamais à clairement prendre la mesure de la gravité du problème mais cherchant à gagner du temps en s'inscrivant dans des solutions de court terme. Il est vrai que jusqu'à 2009, la Grèce qui consacrait une partie de ses dépenses à la Défense avait pour principaux fournisseurs l'Allemagne et la France.

Fiction volontariste

Pire, les marchés financiers, autrement dit les prêteurs internationaux, se sont aperçus que le projet de zone de monnaie commune qui leur avait été « vendu » initialement - à quelques différences près, les dettes des différents pays étaient garanties - relevait davantage de la fiction volontariste que de la solidarité attendue dans la crise.

S'il s'agit à quelques semaines de la tenue de nouvelles élections en république hellénique de dramatiser la situation afin d'en mesurer l'enjeu essentiel, pourquoi pas ? Mais ce jeu est dangereux. D'abord dans leur majorité, les Grecs veulent rester dans l'euro. Quel que soit le résultat du vote, il faudra donc que Bruxelles signifie la sortie d'un membre. Comme l'indique bien Maurice de Boisséson chez Octofinances : « Expulser un pays de l'euro est à la fois très facile à faire et très difficile à décider. Pour le faire, il suffit que la BCE ne finance plus les banques du pays. Mais c'est difficile à décider, car c'est contraire aux règles de la BCE, qui doit traiter toutes les banques européennes de la même façon ; c'est donc faire craindre la même chose ailleurs, une contagion qui peut emporter la moitié des banques européennes. »

Un sens plus profond

Outre ce risque de contagion qui reste pendante, pousser la Grèce hors de l'euro aurait un sens beaucoup plus profond qu'une simple décision technique qui aurait pour vertu de résoudre la crise de la dette. D'abord, parce que les opinions publiques des autres pays en difficulté - Espagne, Italie, Portugal - pourraient à leur tour penser que ce qui est arrivé aux uns pourrait arriver aux autres. Ensuite pour l'ensemble des pays européens, ce projet politique d'Union tant vanté pour assurer la paix sur le continent serait de facto mort dans sa philosophie. Ne pas avoir été capable de trouver une solution à un pays qui ne représente rappelons-le qu'à peine 3% du PIB de la zone euro s'avèrerait un cuisant échec.

Enfin, à moins d'une semaine d'un référendum en Irlande, ce serait envoyer un signal dangereux à l'ensemble des Européens, déjà aux prises avec un scepticisme ambiant qui se mesure dans la montée électorale de partis extrêmistes à chaque consultation quelque soit le pays concerné.

Si les Grecs doivent continuer à faire des efforts et des réformes, il reste aussi nécessaire que Bruxelles et le FMI envoient des signaux positifs via un compromis réaliste sur l'assouplissement des conditions de l'aide. Ce sera l'enjeu du conseil informel européen de mercredi.