Les Allemands, eux aussi, font face à leur moment de vérité dans la crise de l'euro

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  1273  mots
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A quelques jours d'un référendum en Irlande et à quelques semaines d'élections cruciales en Grèce, le conseil européen qui s'ouvre mercredi à Bruxelles va devoir faire le constat que la solution à la crise européenne qui dure depuis 2 ans et demi passe nécessite une nouvelle approche. Or le pays qu'un tel changement interrogerait le plus sérieusement est l'Allemagne, qui doit aussi se poser la question de ce que elle veut faire avec la zone euro.

A la veille des élections grecques, le message des dirigeants européens à Athènes est en substance : « Si vous voulez rester dans la zone euro, très chers, mettez vous en ligne avec le programme de vos créanciers et arrêtez de prétendre en changer les règles vous-mêmes, fusse au nom du suffrage populaire. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre... ». Soit.

Mais les Grecs ne sont pas les seuls à faire face à un choix historique. A leur manière, différente, les Allemands aussi doivent répondre à la question du prix auquel il est possible de conserver l'euro tel qu'il est. Pour ces derniers, la nécessité ne s'avance pas sous la forme d'un mémorandum cosigné par le FMI, la BCE et la Commission européenne. Elle se présente sous les traits d'une réalité économique et financière de plus en plus dégradée.

Tous les dogmes déjoués

Avec deux ans de recul, il est clair que les instruments mis en place jusqu'à présent ont permis d'éviter le pire - ce qui est beaucoup - mais pas de sortir de l'ornière de la crise financière, ni de marginaliser ceux qui persistent à anticiper un éclatement de la zone euro, ni d'écarter le risque d'un nouveau krach financier provoqué par une vente massive et précipitée des actifs au cas où un pan du secteur bancaire venait à sombrer à nouveau.

Ces plus de deux années de stress ont déjoué tous les dogmes. Il n'y a ni solution purement monétariste, ni solution purement keynésienne à la crise. Il y a une palette d'instruments à utiliser de façon pragmatique pour éteindre le feu là où il reprend. En jouant principalement sur le levier de la consolidation budgétaire et de la solvabilité à long terme, conformément aux demandes allemandes et à l'esprit dans lequel a été conçue et acceptée par tous l'union monétaire, on se prive d'instruments clés.

Stopper la transmission des destte privées au secteur public

La crise a levé les tabous. Il y a toujours une crise bancaire en Europe, une bulle de crédit privé qui se manifeste violemment en Espagne sous la forme de dizaines de milliards d'euros de créances pourries qu'il faudra bien un jour ou l'autre passer par pertes et profits. Cette bulle alimente la crise du souverain. Ce cercle vicieux annoncé dès 2009, puis dénoncé par de nombreux économistes ne peut être brisé que par une intervention européenne directe sur le secteur bancaire. C'est ce à quoi travaille la Banque d'Italie. C'est le sens d'un récent discours du gouverneur de la Banque d'Irlande. Stopper la transmission des dettes privées au secteur public au niveau national en apportant une réponse européenne solidaire à la crise bancaire est devenue une urgence. A défaut d'y répondre, le risque d'un bank run augmente avec les effets systémiques que l'on peut imaginer.

Il y a toujours en Europe un problème structurel sur le marché obligataire qui fonctionne désormais comme une machine à détruire la monnaie unique. Les limites de la solidarité dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité (MES) sont trop étroites, car elles ne dissuadent pas ceux qui spéculent sur un défaut souverain de prendre en otage l'ensemble du marché. Ce sont des limites inspirées du traité européen, il est vrai. Mais il est devenu clair qu'elles menacent à présent de tuer l'union monétaire qu'elles étaient sensées protéger. Ici aussi, nécessité fait loi.

Le cercle vicieux du surendettement

Il y a encore un problème macro-économique. Rien ne permet de dire que la stratégie suivie va réellement permettre de réduire les écarts de compétitivité. Si, au contraire, le manque de croissance faisait basculer les pays dans un cercle vicieux de surendettement, ils ne feraient qu'augmenter, en plus de les pousser à sortir de l'union monétaire. Il faut donc un dosage différent de la consolidation budgétaire et de ce qu'il faut bien appeler une politique de la demande. Ce chantier là a été timidement ouvert ces dernières semaines avec le débat sur la croissance. Mais il demanderait à être prolongé par une réflexion sur l'étalement de l'amortissement des dettes souveraines. Encore un débat porté par les milieux académiques que Berlin ne veut pas ouvrir pour l'instant.

Il y a enfin et de plus en plus un problème monétaire. Pour sortir du trou, les ajustements réels ne suffiront pas, il faut aussi « tricher » en quelque sorte avec la valeur. Or on ne peut compter sur la déflation des facteurs de production pour regagner de la compétitivité que jusqu'à un certain point. Il faut aussi un peu d'inflation, pour corriger « artificiellement », si l'on veut, les écarts de compétitivité. Il faut accepter de prendre un peu aux rentiers pour soulager ceux qui sont endettés. Il faut utiliser la monnaie comme un outil au lieu de la protéger comme le Saint Graal ou de lui dénier toute dimension politique à l'instar des monétaristes. Là aussi, Berlin a montré des signes d'assouplissement depuis que Wolfgang Schaüble a admis que des augmentations de salaires Outre-Rhin étaient nécessaires.

Aller au delà de l'approche essentiellement comptable

Sur tous ces sujets : union bancaire, gestion plus commune et à plus long terme des dettes, ajustements nominaux, non seulement l'Allemagne mais les autres pays de la zone euro sont placés devant leurs responsabilités. A défaut d'ouvrir ces autres canaux de réponse à la crise et d'en tirer les conséquences politiques, ils doivent se préparer à renoncer à l'union monétaire. Ne pas aller de l'avant et s'en tenir à l'approche essentiellement comptable retenue jusqu'à présent, serait plier devant une puissance simplement parce qu'elle est puissance et non parce qu'elle est raison. Cela s'est déjà fait dans l'histoire, avec des résultats désastreux. Cette stratégie serait, cette fois-ci, tout aussi voué à l'échec.

Vers un rétablissement du serpent monétaire?

Si le nouveau président français a un rôle à jouer, c'est de faire comprendre cela à la chancelière. Son prédécesseur a tenté de le faire. Il a échoué. Peut-être parce que la réalité était moins saisissante. Peut-être parce qu'il ne s'est pas montré assez convaincant. Certainement, parce qu'il a inspiré à Angela Merkel insuffisamment de confiance et qu'il n'était pas en mesure de lui apporter des gains politiques suffisants. C'est ici que François Hollande peut tenter de faire la différence.

Il pourrait avoir à faire face à des choix stratégiques difficiles dans les mois à venir si, comme c'est prévisible, l'horizon tardait à se dégager. Irait-il jusqu'à prendre au mot ceux qui appellent à une grande zone « neuro », une zone réservée aux pays du Nord de l'Europe ? Si l'Allemagne n'accepte pas de desserrer le verrou monétaire, irait-il jusqu'à menacer, lui, de le faire ? Si l'Allemagne impose la déflation au nom de la compétitivité et au risque de faire éclater la zone euro, irait-il jusqu'à dresser la menace d'une dévaluation, autrement dit le rétablissement du serpent monétaire auquel la monnaie unique avait permis de mettre fin ?

Le pari n'est pas sans risque. Mais il aurait le mérite de faire comprendre à Berlin ce qu'il y a à perdre. Pour que les Grecs ne soient pas les seuls à se demander ce qu'il leur en coûterait de sortir de l'euro.