Crise de nerf à l'européenne entre les cantons suisses

Par Romaric Godin  |   |  687  mots
Davos, canton des Grisons. Copyright Reuters
La péréquation régionale est très contestée cette année. Les cantons "payeurs" veulent payer moins pour les autres, alors que se profile un choc fiscal lié à la pression de l'UE.

On a peine à imaginer une telle scène dans la zone euro. Dimanche, dans le journal populaire hebdomadaire Sonntagsblick (www.sonntagsblick.ch) le conseiller national (député) du canton de Berne, Rudolf Joder, du parti populiste de l'UDC, a réclamé moins de transferts financiers des cantons « riches » vers son canton. « L'argent de la péréquation ne résout pas les problèmes de Berne », a-t-il affirmé avant d'annoncer le lancement d'une initiative en vue d'une votation (un référendum). Son ambition : fixer un niveau maximal de pression fiscale dans la constitution cantonale afin que le gouvernement bernois ne puisse plus bénéficier autant d'une péréquation qui, selon l'article 135 de la constitution fédérale doit « maintenir la compétitivité fiscale à l'échelle nationale et internationale. »


Une péréquation complexe


Berne est le canton le plus peuplé de Suisse, mais c'est loin d'être le plus riche. Selon les données des Statistiques fédérales, qui datent de 2005 (les données régionales ont cessé d'être publiées après cette date), le canton de Berne a un revenu par habitant inférieur de 16 % à la moyenne fédérale. A l'inverse, des cantons comme Zoug, Zurich ou Bâle-Ville affichent des revenus par habitants supérieurs de 27, 16 et 114 % à la moyenne nationale. Berne est donc logiquement le premier bénéficiaire de la péréquation avec 1,2 milliards de francs suisses transférés des neuf cantons « payeurs » vers ses caisses l'an prochain. On retrouvera ici (en allemand) le détail du calcul de cette péréquation.


La révolte de Zoug


Cette annonce provocatrice de Rudolf Joder réjouit profondément les cantons « payeurs » alors que la péréquation n'a jamais été aussi contestée dans la confédération. Le canton de Zoug, devenu le symbole des cantons qui, grâce à des taux d'imposition très bas, ont pu attirer le siège de nombreuses multinationales, est un des principaux payeurs. En 2013, il devra verser au titre de la péréquation 2499 francs suisses par habitant, soit quatre fois plus que Bâle-Ville ou Genève. Inacceptable pour le parti libéral de Zoug, qui a lancé une pétition pour limiter à 2000 francs par habitant le montant maximal de la contribution des cantons. Une pétition qui, selon le Tages-Anzeiger de Zurich aurait déjà reçu 4.000 signatures, ce qui est remarquable dans un canton de 26.000 habitants. Et le leader libéral zougois, Jürg Strub, de pester avec des accents pas inconnus aux oreilles habitués à la crise de la zone euro : « avec notre argent, les autres cantons ne font pas leurs devoirs, Lucerne fait du dumping fiscal, Berne et le Valais paient les retraites anticipées de leurs fonctionnaires. »


Difficile arbitrage fiscal sous la pression de l'UE


En réalité, si la péréquation de 2013 est si délicate et pose tant de problèmes dans un pays où, à la différence de l'Allemagne, elle est souvent bien acceptée, c'est qu'une autre négociation, parallèle, rend tout le monde nerveux en Suisse. Depuis le 21 septembre a débuté des négociations entre la Confédération et les cantons pour satisfaire l'exigence de Bruxelles de supprimer le régime fiscal préférentiel des multinationales. Ce régime permet aux cantons d'appliquer des taux d'imposition faibles pour les sociétés étrangères. A Genève, il est de 11 % contre 24 % pour les sociétés locales. L'UE n'en veut plus, mais comment faire ?


La solution la plus évidente, unifier les taux d'imposition, conduirait à des manques à gagner considérables pour les cantons de Vaud, Genève, Zurich et Bâle-Ville. Selon la Neue Zürcher Zeitung, le mouvement pourrait coûter un milliard de francs à Genève et 400 millions à Zurich. Ce serait un véritable choc fiscal pour les cantons « payeurs » qui pourraient réclamer des compensations sur la péréquation fédérale, ce qui fait trembler les 16 cantons qui reçoivent de l'argent de leurs congénères. Mais qui justifie sans doute l'appel à la rigueur de Rudolf Joder.