Budget européen : Berlin décidera de la future Europe

Par Romaric Godin  |   |  1052  mots
Copyright Reuters
Dans les négociations européennes, le poids de Berlin sera décisif. La tentation d'une alliance avec Londres sur la délicate négociation sur la dotation budgétaire (2014-2020) de l'UE ne doit pas être écartée. Elle définirait cependant une toute nouvelle Europe.

Revoici donc les discussions sur le budget européen. Le délai que s?étaient accordé les dirigeants européens, faute de mieux, en novembre a expiré. Sans qu?il n?ait servi à rien. Mais ceci devient un leitmotiv de la politique européenne, qu?il s?agisse de la crise européenne, de la défense ou du budget : on se contente de gagner du temps pour, en réalité, mieux en perdre puisque le délai consenti ne sert nullement à dégager une solution, mais à dégager un compromis qui permettra de gagner à nouveau du temps.

Un délai pour rien

Aussi ce délai n?aura-t-il que bien peu servi à rapprocher les positions des uns et des autres sur la question budgétaire. David Cameron, le Premier ministre britannique, réclame toujours une réduction des dépenses. L?annonce d?un possible référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l?Union européenne (UE) n?a certes pas émoussé sa détermination. Bien au contraire : il met ses partenaires face à ses responsabilités. Veulent-ils maintenir Londres dans l?Europe ? Ou, plus prosaïquement, empêcher un précédent fâcheux de se produire ? Alors, ils devront céder aux exigences du locataire du 10, Downing Street. En face, France et Italie restent déterminées à ne pas céder sur ce que souhaiteraient atteindre les Britanniques, les Danois ou les Autrichiens : la PAC et les fonds de cohésion. Au point que François Hollande et Mario Monti ont clairement indiqué qu?on était encore loin d?un accord.

Berlin à la clé

Bref, la guerre de positions se poursuit. Encore une fois, la clé de la situation se trouvera à Berlin. Seule la chancelière est capable de faire pencher la balance d?un côté ou de l?autre ou bien de forger un compromis. L?Allemagne avait tancé à l?automne David Cameron sur son chantage au « Brexit » avant de s?allier objectivement avec Londres pour bloquer les prétentions franco-italiennes. En réalité, l?incertitude concernant les négociations sur le budget européen révèle surtout l?incertitude de la position allemande.

Proximité germano-britannique

En réalité, l?Allemagne a une position très proche de celle de Londres. Officiellement, elle réclame de limiter à 1 % du PIB européen les dépenses, soit à 960 milliards d?euros pour la période 2014-2020. Londres voudrait un peu moins encore, mais les objectifs sont les mêmes. Il s?agit d?appliquer les recettes actuellement en ?uvre dans la zone euro aux institutions européennes. « A une époque où les déficits nationaux affichent des chiffres élevés, et où beaucoup de pays réduisent leurs dépenses, celles de l?Union européenne doivent l?être de même », analyse l?institut IW de Cologne, proche du patronat allemand.

L?Europe, zone de compétition interne

David Cameron et Angela Merkel sont en réalité d?accord sur un point : l?Union européenne ne doit pas soutenir des secteurs non concurrentiels et ne doit pas devenir une « union de transferts. » Réduire la PAC (politique agricole commune) qui subventionne une agriculture non compétitive et entamer les fonds de cohésion qui aident aux développements de certaines régions par des transferts sont donc deux objectifs sur lesquels les gouvernements britannique et allemand peuvent se mettre d?accord. L?Europe deviendrait alors une vraie zone où jouerait pleinement la concurrence. Si l?agriculture française veut survivre, elle devra s?adapter par une industrialisation accrue. Ce qu?a fait l?agriculture allemande, par exemple. Evidemment, ceci aura un coût social. Mais ne nous dit-on pas justement que les politiques d?ajustements budgétaires des pays du sud de la zone euro sont indispensables malgré leur coût social ?

Nouvelle architecture

Si Berlin décide de s?allier sur un dossier aussi important à Londres, c?est une nouvelle architecture de l?Union européenne qui sera alors établie. La fonction de l?administration bruxelloise sera alors exclusivement de s?assurer que la compétition se déroule sans accroc et que les dépenses publiques sont limitées dans les Etats membres pour ne pas nuire à cette compétition. Le « fédéralisme » tant vanté par certains comme « l?unique solution à la crise » serait donc un fédéralisme sans solidarité, ou avec une solidarité a minima. Ce serait un fédéralisme budgétaire qui permettrait simplement de conserver les avantages des uns, par exemple des Britanniques dans la finance ou des Allemands dans les biens d?équipement. En réalité, ce ne serait donc pas une fédération. Même si, en Allemagne, la solidarité interne ne va pas toujours de soi?

Dosage

Evidemment, l?occasion est alléchante pour Angela Merkel de se débarrasser du poids de cette PAC qui agace depuis toujours les gouvernements allemands, mais que l?on tolérait au nom de la sacro-sainte « amitié franco-allemande. » Reste à savoir si Berlin signera l?arrêt de mort de cette dernière en soutenant Londres. Ce ne sera sans doute pas le cas, car, en Europe, les décisions sont rarement tranchées. Sans compter qu?Angela Merkel va hésiter à mettre Mario Monti en difficulté avant les élections des 25 et 26 février prochain. Il y aura sans doute, in fine, un compromis. Mais tout sera dans le dosage. Si l?on a plus de potion anglaise que de potion française dans le mélange final, ce sera un signe clair de la future orientation allemande. On notera, en tout cas, qu?un allié proche de l?Allemagne comme les Pays-Bas a récemment, par la voix de son Premier ministre Mark Rutte, pris des positions très proches de celles de David Cameron en réclamant plus de « flexibilité » dans l?Union européenne et dans l?adhésion à l?UE.

Ce qui est certain, c?est que ce qui sortira de ces négociations ouvrira la voie à l?Europe de demain. Et si le duo Berlin-Londres pèse plus lourd que le « couple » franco-allemand, alors l?espoir d?une Europe « fédérale » ne sera plus qu?une utopie. Tant pis pour ceux qui ont cru qu?Angela Merkel était une « fédéraliste »?