La BCE détient la clé de l'avenir de Chypre

Par Romaric Godin  |   |  753  mots
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Les banques chypriotes pourront-elles encore bénéficier de la liquidité de la BCE via le programme ELA ? De la réponse à cette question dépend l'avenir de l'île méditerranéenne.

Un ?il à Moscou et un ?il à Francfort. C?est à ce strabisme que les Chypriotes sont désormais condamnés. L?attitude de la banque centrale européenne est désormais cruciale alors que le plan de « sauvetage » européen a été rejeté. La seule façon de faire fonctionner le système financier chypriote est le système connu sous l?acronyme ELA, pour Emergency Liquidity Assistance (assistance d?urgence à la liquidité).

Qu'est-ce que l'ELA  ?

Ce mécanisme permet aux banques centrales nationales d?accorder une aide d?urgence temporaire aux banques traversant une crise de liquidité et qui sont incapables de lever des fonds sur le marché interbancaire. En théorie, la gestion de ce dispositif est laissée aux banques centrales nationales. Sauf que, pour éviter des excès, la BCE dispose d?une possibilité de « débrancher » le système. L?institution de Francfort peut ainsi décider d?interdire à certaines banques centrales de recourir à l?ELA : il faut pour cela dégager une majorité des deux tiers au conseil des gouverneurs.

Majorité des deux-tiers pour couper l'ELA

Ce conseil est formé des 17 gouverneurs des banques centrales nationales et des six membres du directoire. Il faudrait que 15 de ses membres décident de fermer le robinet de l?ELA pour que les banques chypriotes soient de fait en cessation de paiement et que s?effondre immédiatement le système financier de l?île. Si on peut imaginer que les « faucons » de la BCE (Allemagne, Pays-Bas, Finlande et Luxembourg) votent pour cette mesure radicale, on est encore loin du compte. Mario Draghi et le directoire hésiteront sans doute à couper le dernier lien qui relie Chypre à la zone euro. Une fois l?ELA débranchée, le pays vivra une crise financière aiguë dont la seule sortie possible sera le contrôle des flux financiers et l?émission d?une nouvelle monnaie pour permettre la poursuite de la vie économique. Or, un des dogmes de la BCE, c?est que l?euro doit être irréversible.

Les banques de Chypre déjà inéligibles à l'ELA ?

Juste après le vote du parlement chypriote, la BCE a « réaffirmé son engagement à fournir autant de liquidité que nécessaire dans le cadre des règles existantes. » Or, ces « règles existantes » posent problème. Selon une étude de la Deutsche Bank, les banques chypriotes ne sont déjà plus éligibles au programme ELA dans la mesure où celui-ci concerne des établissements intrinsèquement sains, c?est-à-dire pouvant in fine rembourser les fonds avancés. Sans accord sur le plan européen de « sauvetage » permettant leur recapitalisation, les banques chypriotes sont de fait déjà en faillite. Seuls le jour férié dans l?île ce mercredi et la décision de fermer les banques jusqu?à la fin de la semaine - voire jusqu'à mardi selon la banque centrale chypriote - ont permis de suspendre cet état de fait.

Dans une interview accordée à Die Zeit, un membre du directoire de la BCE, Jörg Asmussen a, du reste, répété que la BCE ne pouvait prêter de l?argent qu?à des banques solvables. La ministre autrichienne des Finances Maria Fekter a prévenu également que « la BCE ne financera pas indéfiniment les banques de Chypre. » Bref, comme l?estime le think tank Open Europe, l?issue du vote de la BCE sur l?ELA « pourrait certainement aller dans les deux sens. »

Bluff

Il pourrait évidemment aussi y avoir un peu de bluff dans cette affaire. La BCE pourrait vouloir faire monter la pression sur le parlement chypriote. Dans les négociations avec l?Europe, cette « stratégie de la tension », comme le nomme la Deutsche Bank, vise à faire céder les Chypriotes en leur promettant, s?ils s?entêtent, le chaos financier. Mais le temps passe vite. Les banques devront bien finir par rouvrir. Et si les déposants se ruent aux guichets et que les établissements se voient couper le robinet de l?ELA, la situation deviendra vite intenable. Mais, comme le souligne le think tank britannique Open Europe, « la crise a montré jusqu?ici que les règles de la BCE étaient très malléables. » On pourrait donc trouver des arrangements. Les banques grecques, tout aussi insolvables potentiellement que les banques chypriotes, ont toujours pu bénéficier de l?ELA. Une chose est cependant certaine : l?avenir de Chypre et de la zone euro sontégalement entre les mains de la BCE.