BCE : Mario Draghi baisse les taux, mais s'accroche à l'austérité

Par Romaric Godin  |   |  1056  mots
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Le président de la BCE se dit optimiste sur la "transmission" de son assouplissement monétaire, mais exige des Etats qu'ils poursuivent leurs efforts de désendettement. Mais Mario Draghi se dit prêt "à agir si nécessaire".

La BCE a finalement abaissé ses taux ce jeudi. Le taux principal de refinancement, son taux directeur, a été réduit d'un quart de point, de 0,75 % à 0,5 %. Parallèlement, le taux marginal de refinancement, qui permet aux banques d'obtenir de l'argent au-jour-le-jour, a été réduit d'un demi-point à 1 %. En revanche, la BCE a renoncé à entrer dans l'inconnu d'un taux de dépôt négatif. Elle a maintenu à 0 % la rémunération des dépôts auprès d'elle.


Optimisme sur l'effet de cette baisse des taux

L'objectif de ce mouvement est de redonner du dynamisme à l'économie européenne. Dans sa conférence de presse tenue à Bratislava, le président de la BCE a reconnu que « le sentiment de faiblesse de l'économie s'était encore renforcé au cours du printemps. » La dégradation du climat des affaires est en effet patente dans la zone euro, y compris dans les pays dit « du c?ur » de la zone, comme la France et l'Allemagne. Par ailleurs, les chiffres de l'emploi sont de plus en plus préoccupants. Le président de la BCE a donc insisté sur le fait qu'il pensait que cette baisse des taux serait bénéfique « à tous les pays de la zone euro. » Sous entendu également à l'Allemagne où cette décision est déjà très critiquée. Pour Mario Draghi, le n?ud de la récession européenne, c'est le manque de confiance. « La demande est faible sur l'investissement en raison des incertitudes macro-économiques », a martelé le président de la BCE.


Opérations de refinancement prolongées

Pour renforcer l'effet psychologique de cette baisse des taux, la BCE l'a accompagné de la décision de mener ses opérations principales de refinancement, celles qui sont donc désormais réalisées à un taux de 0,5 % avec une « distribution complète » jusqu'au 8 juillet 2014. Autrement dit, il n'y aura pas  de limite à ces opérations jusqu'à cette date. Les banques pourront obtenir les liquidités qu'elles souhaitent au taux directeur. De plus, la BCE a décidé de mener chaque mois jusqu'en juillet 2014 des opérations de refinancement à long terme d'une maturité de trois mois au même taux de 0,5 %. « La combinaison de ces mesures devrait permettre une bonne transmission de la baisse des taux au marché monétaire », a estimé Mario Draghi qui a prévenu les banques qu'elles « n'avaient plus d'excuses pour ne pas prêter. »


Une action contre la fragmentation

Reste évidemment la question de la "transmission" de la politique monétaire de la BCE. C'est le n?ud gordien évoqué par beaucoup d'observateurs : à quoi bon réduire les taux si les pays périphériques ne peuvent pas en bénéficier puisque les banques ne prêtent pas aux PME dans ces pays, par peur du risque ? Mario Draghi s'est voulu rassurant. Il a cherché à démontrer que la transmission de sa politique monétaire se faisait mieux. « La fragmentation du marché n'est pas résorbée, mais l'on observe une amélioration », a-t-il résumé.

Néanmoins, le président de la BCE a annoncé la mise en place d'une commission avec la banque européenne d'investissement pour examiner la possibilité de la création de titres sécurisés par des actifs (Asset Backed Securities ou ABS, un des titres qui ont sombré avec la crise des subprimes) issus de PME européennes. Autrement dit, la BCE envisage de créer des titres regroupant des créances aux entreprises et, peut-être, de les accepter comme collatéraux ou même de pouvoir les racheter. Ceci était une voie évoquée par certains pour favoriser le financement des PME des Etats périphériques.

Stratégie d'évitement

Mais cette mesure demeure une mesure non conventionnelle devant laquelle le président de la BCE semble fortement hésiter. A toutes les demandes de précisions, il a indiqué que la route était encore longue avant de trouver une démarche acceptable. Il a cependant laissé entendre que la BEI et la commission pourraient garantir ces ABS. Mais ce terme d'ABS sonne bien mal aux oreilles des financiers tant il rappelle les subprimes et, comme l'a rappelé Mario Draghi, « le marché des ABS est mort et ne renaîtra pas avant longtemps. » Bref, sur ce sujet, la BCE semble surtout vouloir gagner du temps pour ne rien faire. Sa stratégie pourrait être d'attendre la reprise afin de déclarer inutile une telle réflexion. On voit que le conseil des gouverneurs n'est pas encore prêt à se lancer dans ce type d'opérations.

Ne pas relâcher l'austérité

On se contentera donc de la baisse des taux. Mais là encore, sous condition : celle de la poursuite de l'austérité budgétaire. Mario Draghi s'est montré très ferme sur ce sujet. Il a répété le credo selon lequel un assouplissement de l'austérité conduirait à une perte de confiance des agents économiques et a appelé les Etats à poursuivre les réformes et les efforts. « Le prix de plus de temps pour consolider le budget ne doit pas être un renoncement aux objectifs de réformes structurelles », a martelé l'Italien. Ce message se voulait là aussi rassurant pour l'Allemagne et montre combien la BCE, en dépit de son indépendance, est sous la pression de la première économie européenne. L'ennui, c'est qu'il existe un risque que l'austérité, loin d'être le garant du retour de la croissance, est l'obstacle qui mine, actuellement, le retour à la confiance des agents économiques. Ce que la BCE ne peut cependant croire.

"Ouvert" à un taux de dépôt négatif

il faut néanmoins reconnaître que Mario Draghi a prévu l'inefficience de ces mesures et l'option d'une austérité pesant toujours sur la demande intérieure. Il n'a cessé de dire que la BCE restait "prête à agir", y compris concernant une éventuelle nouvelle baisse des taux ou le passage à un taux de dépôt négatif. Sur ce point, il a même affirmé qu'il était "ouvert" à cette option. Bref, le message était que la BCE veille, malgré tout. Et il a été plutôt entendu : l'euro a reculé de 1,3218 dollar à la mi-journée à 1,3051 vers 17 heures. Parallèlement, le marché des dettes souveraines connaissait une détente générale.