Déficit : un délai supplémentaire pour Paris ? Tout sauf une défaite d'Angela Merkel !

Par Romaric Godin  |   |  1013  mots
Copyright Reuters
Le gouvernement allemand ne commente pas la décision de la commission de laisser jusqu'en 2015 à Paris pour atteindre un déficit de 3 % du PIB. En réalité, la nouvelle n'est pas mauvaise pour Berlin.

L'assouplissement des conditions de retour aux 3 % du PIB de déficit public pour la France pourrait apparaître comme une défaite de l'Allemagne. Depuis des semaines, la politique de François Hollande est critiquée outre-Rhin par des membres des deux partis conservateurs et du parti libéral, tous trois au pouvoir à Berlin. Le chef du groupe CDU-CSU au Bundestag, Michael Fuchs, reprochait au gouvernement français de ne pas « avoir commencé à réduire ses dépenses », tandis que le député chrétien-démocrate, Norbert Barthle, estimait que l'Europe ne devrait pas accorder « plus d'un an de plus » au gouvernement français pour parvenir à ses objectifs.

Accueil frais de la décision à Berlin

Repousser à 2015 le retour à un déficit de 3 % serait donc un échec pour la stratégie de Berlin. Comme, plus largement, les coups de canif réguliers des institutions européennes au dogme du « tout austérité » et de la priorité donnée à la consolidation budgétaire. Un dogme dont Angela Merkel et Wolfgang Schäuble se sont faits les champions, du moins devant leur électorat.

La baisse des taux de la BCE, les délais accordés à l'Espagne et au Portugal, l'assouplissement des conditions des prêts accordés à l'Irlande et au Portugal sont autant de petites défaites encaissées par une Allemagne dont les dirigeants ne cessent de dire qu'il n'existe pas de contradiction entre l'austérité et la croissance. A Berlin, vendredi, on prenait acte, un peu froidement de la recommandation de la Commission. Le porte-parole du gouvernement fédéral, Stefan Seibert, n'a pas commenté cette décision et a simplement rappelé que les traités « autorisaient des délais pour permettre à un déficit de revenir sous les 3 % du PIB. » Avant d'ajouter qu'il fallait poursuivre la consolidation budgétaire en Europe. « Nous partons du principe que la commission est aussi consciente de cette responsabilité. »

Un atout électoral

Mais, à y regarder de plus près, cette décision de la commission n'est pas réellement une défaite pour Berlin. Le camp conservateur allemand peut, au contraire, y voir une confirmation de l'échec du « socialisme » de François Hollande. Et, en cette période de campagne électorale, ceci n'a pas de prix. Les Sociaux-démocrates se sont en effet revendiqués d'un rapprochement avec Paris dans la politique européenne et dans la stratégie de lutte contre la crise. Les Verts eux-mêmes qui ont annoncé mercredi un programme de hausse massive d'impôts ne peuvent dissimuler une certaine parenté avec Paris.

Conservateurs et Libéraux vont donc pouvoir prouver par les faits que cette politique « de gauche » ne fonctionne pas et qu'elle ne débouche que sur des déficits plus lourds et une croissance plus faible. Si les Allemands ne veulent pas partager les difficultés de la malheureuse France, ils devront voter CDU, CSU ou FDP. Tel est le message que passera le camp conservateur. Plus que jamais, François Hollande va pouvoir être la tête de Turc de la droite allemande. En jouant sur son opposition quasi-ouverte avec le président français, Angela Merkel pourra se présenter comme la seule capable de défendre en Europe la vertu budgétaire et les contribuables allemands. D'où la fraîche réception officielle de la nouvelle par le gouvernement.

Un moindre mal

Plus généralement, l'adoucissement de l'austérité par un report des dates de retour sous les 3 % est un moindre mal pour l'Allemagne. Il est, pour elle, bien moins dangereux de céder sur ce point que de devoir monter une aide européenne à l'Espagne ou, pire encore, à la France ou à l'Italie. Dans ce cas, l'Allemagne se retrouverait seule à payer et, il faut le dire, en serait, en réalité, incapable. Or, le risque n'est pas nul si la récession s'accélère dans ces pays qu'ils doivent finalement en appeler à la solidarité européenne. Il est donc plus sage de faire lever le pied à ces pays. Angela Merkel se veut la protectrice des contribuables allemands.

Là encore, elle pourra expliquer que ce report ne coûte rien à l'Allemagne. Et que c'est un risque qui s'éloigne pour le pays. En passant, la chancelière peut aussi ainsi montrer à la frange pro-européenne de son électorat (qui reste majoritaire) qu'elle n'est pas si rigide qu'on le dit et qu'elle sait faire preuve de solidarité. Et prouver que, contrairement à ce que dit le PS français, elle n'est ni "intranisgeante" ni "égoïste".

Assouplissement des conditions, mais l'austérité demeure

L'essentiel pour Berlin, c'est que le discours officiel demeure le même : la consolidation budgétaire doit rester la priorité. Or, sur ce point, rien n'a changé. Jeudi, Mario Draghi, tout en abaissant les taux de la BCE, a été des plus fermes sur l'austérité et a pris parti dans le débat théorique en cours pour la poursuite des efforts budgétaires. Ce vendredi matin, Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires monétaires et économiques, a encore insisté, tout en accordant ces délais à l'Espagne et à la France, sur les « efforts » encore à faire par ces pays.

Du reste, Berlin n'a pas de raison de considérer que ces décisions de Bruxelles comme une défaite de sa théorie selon laquelle il n'existe pas de contradiction entre austérité et croissance. L'objectif de 3 % en 2014 pour Paris était irréaliste, à moins de presser l'économie avec violence. Avec un objectif de 3 % du PIB de déficit en 2015 après 4,2 % en 2014, on ne peut dire que la politique d'austérité sera abandonnée par Paris. De plus, comme l'a rappelé jeudi Mario Draghi, « les délais ne doivent pas être utilisés pour faire des concessions sur l'objectif, celui des réformes structurelles. » Autrement dit, le prix de ce délai supplémentaire, ce sera la mise en place de réformes. Berlin pourra toujours s'en prévaloir pour prouver son influence sur le destin européen. En réalité, malgré ses concessions, le pouvoir en Europe demeure encore bien outre-Rhin.