Allemagne : la vraie nature du flirt financier entre partis politiques et entreprises

Par Romaric Godin  |   |  1394  mots
Angela Merkel, au salon de Francfort, dans une BMW.
L'affaire du don d'argent de BMW à la CDU révèle que l’Allemagne est moins stricte concernant les dons des particuliers et des entreprises aux partis politiques que la France. Mais cela ne crée par pour autant une réelle confusion.

La publication des « dons » de 690.000 euros de la famille Quandt, actionnaire de BMW, à la CDU d'Angela Merkel a mis, au-delà de la polémique, l'accent sur une spécificité du financement des partis outre-Rhin : les dons des personnes physiques et morales aux partis politiques peuvent être très généreux.

La loi française, plus restrictive

A première vue, la loi fédérale allemande sur les partis actuellement en vigueur, qui date de 1994 et qui a été réformée en 2011, est beaucoup plus libérale que la loi française. En France, le financement des partis politiques par les dons est extrêmement encadré. Les dons sont limités aux personnes physiques et plafonnés à un maximum de 7.500 euros par an et par personnes.

Concrètement, la famille Peugeot ne pourrait donc pas légalement faire un don de 690.000 euros au PS ou à l'UMP. En Allemagne, ces restrictions n'existent pas. « Les partis sont autorisés à accepter des dons », affirme l'article 25-1 de la loi qui pose cependant quelques cadres. Car plusieurs scandales ont en effet secoué le pays dans les années 1980 et 1990 et ont amené le législateur à durcir les règles.

Quelques interdictions

Première restriction : les dons en liquide sont limités à 1.000 euros, ce qui n'est pas qu'anecdotique dans un pays où l'usage du numéraire est plus répandu qu'en France, par exemple. Deuxième restriction : les dons des entreprises et organismes publics, ainsi que d'autres fondations politiques, religieuses ou d'associations à buts non lucratifs sont interdits.

Ceci empêche le financement par l'Etat d'un parti politique, mais aussi le système de financement parallèle, via des fondations ou, selon un système très prisé en France, via des « micropartis » , utilisés comme source de financement pour des formations plus importantes.

Des limites sont néanmoins fixées

En dehors de ces deux exceptions, les dons des personnes morales - y compris des entreprises - et physiques sont acceptés sans limites. A condition toutefois que la somme versée ne dépasse pas 50 % du patrimoine du donateur et que le don « ne soit pas attribué en contrepartie d'un avantage politique ou économique » (article 25-2, paragraphe 7).

C'est précisément ce que dénoncent les accusateurs d'Angela Merkel qui estiment que le don de la famille Quandt a été versé pour assurer la « ligne dure » de la chancelière dans le débat sur les quotas d'émission de CO2 en Europe.

La transparence est exigée

Dernière spécificité allemande : l'enregistrement des dons est très encadré. Surtout, les partis doivent, dans leur rapport de financement annuel, publier le nom et l'adresse des donateurs et le montant des dons en cas de versement de plus de 10.000 euros. Si le don dépasse 50.000 euros, il est publié rapidement sur le site du Bundestag.

C'est ainsi qu'ont été connu mardi 15 octobre les dons de la famille Quandt à la CDU versé le 10 octobre. Ces obligations de transparence et de procédure ont été prises après le scandale de la « caisse noire » de la CDU (alors sous la direction de Helmut Kohl) qui a éclaté en 1999 et qui avait forcé Wolfgang Schäuble à quitter son poste de secrétaire général du parti pour laisser la place à une certaine… Angela Merkel.

Daimler a, en avril, donné 100.000 euros à la CDU et à la SPD.

Progressivement, la part des dons directs des entreprises dans les budgets des partis a reculé. En réalité, ces dons sont devenus très occasionnels. Les entreprises passent souvent par leurs fédération de branche pour financer les partis, mais surtout par des personnes privées, souvent les dirigeants ou les actionnaires.

Selon le dernier rapport de financement des partis du Bundestag, la sœur bavaroise de la CDU, la CSU, est le parti qui reçoit le plus de dons de personnes morales parmi les partis représentés alors au Bundestag en 2011 (2,3 millions d'euros, soit 6,16 % de son budget total). Néanmoins, souvent, les entreprises s'efforcent de donner des sommes égales aux deux grands partis « pour soutenir la démocratie. »

Ainsi, selon le Bundestag, Daimler a, en avril, donné 100.000 euros à la CDU et à la SPD. Globalement, les dons de toutes sortes ne représentent plus qu'une proportion limitée du budget des partis : de 6,33 % pour les Verts, jusqu'à 15,85 % pour la CSU. Cette proportion est plus forte pour les partis non représentés au Bundestag dont les ressources sont, par ailleurs, plus limitées.

Une hiérarchie politique respectée. Ou presque…

Les partis de l'Union (CDU et CSU) d'Angela Merkel demeurent cependant les partis préférés des donateurs. En 2011, la CDU a reçu près de 21,7 millions d'euros de dons et la CSU 5,9 millions, soit près de la moitié de l'ensemble des dons versés aux partis politiques représentés au Parlement. Rien d'étonnant à ce la en théorie puisqu'il s'agit du premier parti d'Allemagne.

Du reste, la hiérarchie des dons reçus respecte la hiérarchie politique issue des élections de 2009 : SPD (12 millions d'euros), FDP (6,5 millions d'euros) et Verts (4,8 millions d'euros). Seule exception : le parti de gauche Die Linke qui n'a reçu que 1,93 millions d'euros de dons en 2011 alors qu'en 2009, il avait fait un score plus important que les Verts. Mais Die Linke ne reçoit pas de dons d'entreprise ou de fédération patronale, à la différence des quatre autres partis qui disposent de députés.

La CDU favorisée ?

En réalité, la CDU et la CSU ont toujours été les bénéficiaires privilégiés des donateurs. En 2008, malgré un nombre de députés égaux à la SPD, elles avaient collectés 54 % de l'ensemble des dons. La raison en est simple : ces deux partis sont identifiés comme les meilleurs défenseurs des intérêts des plus fortunés, notamment sur le plan fiscal.

Les projets d'alourdissement de l'impôt pour les plus grosses fortunes de la SPD et des Verts n'a pas encouragé les donateurs. Un coup d'œil sur les donateurs de la CDU le confirme : la banque Berenberg a donné 100.000 euros à la CDU en juin, la fédération de la chimie 100.000 euros en juillet, celle de l'industrie électro-mécanique 60.000 euros en août… Pendant ce temps, la SPD n'a rien touché.

La faveur dont bénéficie la CDU auprès du patronat n'est du reste pas un mystère. Angela Merkel défend la compétitivité des entreprises et ne s'en cache pas. Si elle a pu effaroucher par sa « défense de l'euro » une partie du patronat anti-européenne (comme l'ex patron des patrons Hans-Olaf Henkel, proche du parti eurosceptique AfD), elle bénéficie d'une cote remarquable auprès des riches allemands.

Deux jours avant les élections du 22 septembre, la famille Tengelmann, magnat de la distribution outre-Rhin, s'était offert une page de publicité dans la presse pour appeler, par des voies détournées, à voter en faveur d'Angela Merkel. Une sorte de publicité électorale parallèle qui ne tombait pas sous le coup de la loi, malgré les cris d'orfraies de la gauche. On comprend donc combien les Sociaux-démocrates aujourd'hui, par ailleurs engagés dans une difficile discussion de coalition avec la CDU et la CSU, ont intérêt à s'offusquer d'un système dont ils ne profitent pas autant que la droite…

Un parti maoïste fort riche

Reste que l'importance des dons n'est pas forcément synonyme de succès politique. Ainsi, le très confidentiel parti marxiste-léniniste d'Allemagne (MLPD), d'obédience maoïste, bénéficie d'un flux continu de généreux donateurs. Entre 2005 et 2008, un certain Michael May, ancien mineur de Moers, près de Duisbourg, devenu riche à millions après le décès de sa mère, a donné 2,5 millions d'euros au parti maoïste.

Juste avant les élections, un autre particulier, un certain Lüder Möller, de Lübeck, a versé 110.000 euros dans les caisses du MLPD qui a, grâce à ce matelas financier, pu se permettre - cas rare pour les très petits partis comme lui en Allemagne - de présenter un candidat dans chaque circonscription du pays le 22 septembre. Mais il a, malgré tout,  se contenter de 24.219 voix, soit 0,0056 % des suffrages. L'argent ne fait pas toujours le bonheur des partis…