Télé-réalité : "la rue des allocations sociales" fait scandale au Royaume-Uni

Par latribune.fr  |   |  686  mots
L'émission est produite par la la chaîne privée Channel 4.
Une rue de Birmingham a été rebaptisée "rue des allocations sociales" le temps d'un reality show britannique qui stigmatise les bénéficiaires de l'Etat-providence. Cette émission suscite de nombreuses controverses, d'autant plus que le pays est en plein débat sur la réforme du système des aides sociales qui vont encore être fortement réduites.

Le 8 janvier, la chaîne privée britannique Channel 4 a diffusé le premier épisode de "Benefits Street" (rue des allocations sociales). Une émission de télé-réalité qui suit la vie des habitants d'une rue de Birmingham, deuxième ville du Royaume-Uni où le taux de chômage culmine à 16,5%, soit deux fois plus que le taux national. Tout un programme.

Et l'émission a fait un carton avec 7 millions de téléspectateurs. Dans ce "reality show" d'un genre nouveau, on voit par exemple un homme qui explique comment voler des vêtements dans des magasins. Ou encore un couple qui confesse, en riant, avoir été pris en flagrant délit de frauder le système des allocations sociales. Mais aussi des gens qui vont et viennent avec des canettes de bière dans la rue. En revanche, les habitants de Turner Street qui travaillent, eux, n'ont pas eu droit de cité dans l'émission.

La Toile s'enflamme

Le programme a immédiatement suscité des commentaires d'une violence inouïe sur la Toile. "Voir cette racaille dans Benefits Street me rend dingue. Allez bosser, bande de chiens", lance @sasharabella sur Twitter. "Quelle pourriture de voyous. Une balle coûte environ 30 pence, donc avec un billet de 20 livres (NDLR, 24 euros), on pourrait se débarrasser de la rue et avoir encore de la monnaie en poche", se déchaîne @garryturner4 sur le même réseau social.

A l'inverse, plus de 20.000 personnes écœurées par l'émission ont signé une pétition exigeant son interruption. Des protagonistes du reality show se disent pour leur part trahis par Channel 4. "Ils nous ont dit qu'ils voulaient saisir l'état d'esprit de la rue Turner et montrer le positif, mais la seule chose qu'ils ont faite est montrer le négatif", s'insurge sur la BBC Dean Oakes, qui apparaît dans le premier épisode.

Des tabloïds jettent régulièrement en pâture les noms de fraudeurs présumés

La chaîne se défend en estimant qu'"aucune émission sur le sujet ne satisfera tout le monde". "Le tollé qu'elle a suscité me conforte dans l'idée de la nécessité absolue de proposer des programmes sur le sujet. Eviter la réalité quotidienne ou l'édulcorer serait un manquement à notre devoir", a jugé le patron des documentaires à Channel 4, Nick Mirsky, dans une tribune au journal The Guardian.

Le moment choisi pour diffuser cette émission n'est pas anodin : le Premier ministre conservateur David Cameron a engagé une vaste réforme de l'Etat-providence, et des tabloïds jettent régulièrement en pâture les noms de fraudeurs présumés.

En 2011, l'Etat britannique a dépensé 7.641 euros par habitant sous forme de prestations sociales

En début d'année, le ministre des Finances, George Osborne, a annoncé une nouvelle baisse colossale des aides sociales : 12 milliards de livres (14,5 milliards d'euros) entre 2015 et 2017. "Où est la justice pour le travailleur qui s'en va au travail tôt le matin alors qu'il fait encore nuit et voit les rideaux fermés de son voisin qui se la coule douce grâce aux allocations ?", avait-il lancé en octobre.

L'Etat britannique a dépensé 7.641 euros par habitant sous forme de prestations sociales en 2011, selon les dernières statistiques comparatives d'Eurostat. Soit à peine plus que la moyenne européenne, qui se situe à 7.290 euros, et loin du Luxembourg, le pays le plus généreux avec 18.136 euros, ou encore du Danemark (14.785 euros) ou de la France (10.300 euros).

"Pas un seul bénéficiaire classique dans l'émission"

La présidente de la commission parlementaire chargée du travail, Anne Begg, membre de l'opposition travailliste, a accusé Channel 4 de se focaliser sur "des cas extrêmes", à partir desquels "les gens extrapolent". "Il n'y avait pas un seul bénéficiaire classique dans l'émission", a-t-elle dénoncé.

John Bird, fondateur du journal Big Issue vendu par les sans-abri, estime lui que l'émission reflète la réalité. "Dépendre des aides sociales est abrutissant", explique-t-il dans le Daily Mail, accusant le système d"encourager de façon perverse à la paresse."