En Allemagne, le débat sur l'immigration européenne se durcit

Par Romaric Godin  |   |  1227  mots
Un bus à Sofia (Bulgarie), en partance pour l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni
Outre-Rhin, la volonté européenne d'assouplir les règles d'attribution de la prestation "Hartz IV" a relancé le débat sur l'immigration interne à l'Union européenne. Une situation dangereuse pour l'Europe.

En 2013 - et pour la troisième année consécutive -, l'Allemagne a gagné des habitants, inversant ainsi les pertes enregistrées entre 2002 et 2011. Une hausse due uniquement à un solde migratoire positif de 400.000 personnes qui a pu compenser un solde naturel (différence entre naissances et décès) toujours négatif de plus de 200.000 personnes. Au premier semestre 2013, près de 61 % des nouvelles personnes arrivées en Allemagne étaient des migrants issus de l'Union européenne.

Les Allemands craignent « l'immigration de la pauvreté »

Cette situation ne plaît pas à tout le monde. Si les Allemands, selon un sondage publié par ARD, la première chaîne publique, approuvent à 68 % l'immigration de personnels qualifiés, ils sont 70 % à vouloir expulser les migrants issus de l'UE qui ne peuvent trouver un travail en Allemagne. Certains partis politiques tentent donc logiquement de profiter de la crainte d'une « immigration de la pauvreté » (Armutswanderung) qui n'aurait pour seul but que de profiter des prestations sociales allemandes.

La CSU contre l'ouverture des frontières aux Roumains et Bulgares

Le parti conservateur bavarois, la CSU, sœur politique de la CDU d'Angela Merkel, tente d'agiter ce chiffon rouge depuis des semaines. L'ouverture du marché du travail allemand aux Bulgares et aux Roumains le 1er janvier dernier lui en a donné l'occasion. La CSU n'a cessé de réclamer une révision un durcissement des règles d'attribution des prestations sociales aux migrants européens, ce qui a provoqué des frictions au sein de la « grande coalition. »

La plainte d'une Roumaine relance le débat

Et voilà que la Commission européenne relance le débat en jetant de l'huile sur le feu. Vendredi, la Süddeutsche Zeitung, révèle en effet une contribution de Bruxelles devant la Cour européenne de Luxembourg dans une affaire qui oppose l'Allemagne à une Roumaine de 24 ans. Cette dernière habite depuis 2010 à Leipzig, dans l'est du pays. Sans travail, avec un enfant à charge, elle a déposé une demande de prestation « Hartz IV », qui lui a été refusée.

Qu'est-ce que l'allocation « Hartz IV » ?

Cette allocation « Hartz IV », du nom de l'ancien DRH de Volkswagen qui a inspiré la loi qui l'a créé, a été mise en place dans le cadre des réformes Schröder. Il a vocation à offrir une prestation minimale aux demandeurs d'emplois qui n'ont pas ou n'ont plus droit aux prestations classiques de l'assurance chômage (Arbeitlosengeld I), c'est une « assurance chômage bis » (Arbeitlosengeld II). En échange de cette prestation et de la prise en charge par les communes des frais d'hébergement et de chauffage, la personne doit se tenir disponible « à tout moment » pour le marché de l'emploi allemand. Pour un adulte vivant seul avec un enfant, la prestation peut s'élever à 618 euros, en plus du paiement quasi intégral du loyer et du chauffage.

Les règles en vigueur actuellement outre-Rhin

La règle actuelle est la suivante outre-Rhin. Pendant trois mois, aucun citoyen européen ne peut prétendre à une aide sociale en Allemagne (mais elle peut continuer à toucher une éventuelle assurance chômage de son pays d'origine.) Au bout de cinq ans de résidence, un migrant de l'UE peut prétendre à toutes les prestations sociales, comme tout citoyen allemand. Entretemps, il doit avoir travaillé en Allemagne et donc avoir cotisé pour pouvoir demander d'abord son assurance-chômage, puis, après un an, la prestation « Hartz IV. » La Roumaine de 24 ans n'avait jamais travaillé en Allemagne, le Jobcenter de Leipzig a donc refusé sa demande.

La Commission contre l'automatisme allemand

Que dit la commission européenne ? Selon la Süddeutsche Zeitung, Bruxelles conteste le refus automatique de la prestation Hartz IV aux migrants de l'UE qui n'ont pas travaillé. La Commission demande que « chaque cas soit examiné individuellement. » Une annonce qui a déclenché l'ire de la CSU qui, il est vrai, n'en demandait pas tant, alors que le débat sur l'ouverture du marché du travail aux Bulgares et aux Roumains commençait à se tasser.

Les politiques allemands vent debout

Le parti bavarois qui se laisse volontiers tenter par un certain euroscepticisme n'a pas tardé à lancer une offensive contre Bruxelles. En laissant croire, par un raccourci rapide, que Bruxelles voulait ouvrir grand les portes de l'Allemagne sociale.  « La Commission agit souvent sans connaître les réalités de la vie », a déclaré Horst Seehofer, le ministre président bavarois leader du parti. Ce qui est nouveau, c'est que la CDU est venue à l'appui de ces critiques. Volker Kauder, le leader du groupe CDU/CSU au Bundestag, proche d'Angela Merkel a jugé la position de Bruxelles inacceptable. Le vice-président de la CDU Armin Laschet a, à son tour, proclamé que l'UE n'est pas une « union sociale. »

Ce qui est frappant, c'est que ce discours a été repris par la presse qui dénonce l'attitude de Bruxelles. Même la Süddeutsche Zeitung, pourtant réputée peu favorable à la CSU, a mis en garde contre une immigration de masse de Roumains et de Bulgares venant en Allemagne pour toucher les prestations Hartz IV. Les Sociaux-démocrates sont aussi fort mal à l'aise. Et le président SPD du parlement européen, Martin Schulz, candidat officiel de son parti aux élections européennes pour la présidence de la Commission, a invité Bruxelles à ne pas force la main de l'Allemagne sur ce sujet.

Bruxelles persiste et signe

Ce lundi, Bruxelles a confirmé sa position par la publication d'un « manuel » sur l'application des droits sociaux aux migrants de l'UE. Chaque demande doit donc être examinée en profondeur, même si le requérant n'a pas travaillé dans le pays. Selon le Commissaire aux Affaires sociale, le Hongrois Laszlo Andor, la situation familiale ou la durée de l'établissement dans le pays doit pouvoir permettre d'accorder des prestations. C'est donc un nouveau rejet de l'automatisme allemand.

Enjeu politique

Lazslo Andor a beau dénoncé un débat « trop émotionnel » et « commandé par le calendrier politique », il a réussi à fédérer autour de ce sujet et contre elle une grande partie de l'opinion publique allemande. CDU et CSU vont chercher à profiter de l'occasion. En se dressant contre la Commission sur ce sujet, la droite allemande peut, avant les élections européennes, mobiliser une partie de l'électorat tenter par le vote eurosceptique, que ce soit à gauche avec Die Linke ou à droite avec le parti anti-euro Alternative für Deutschland (AfD). C'est une occasion à ne pas manquer car si la CDU et la CSU progressent fortement aux élections européennes au détriment d'une SPD mal à l'aise sur le sujet, alors elle verra sa position encore se renforcer au sein de la grande coalition.

Vers un durcissement général ?

Reste une constatation : alors que David Cameron au Royaume-Uni veut durcir l'attribution des aides sociales aux ressortissants européens, l'Allemagne pourrait lui emboîter le pas. Le risque, c'est que l'UE se divise progressivement - au moment où elle doit trouver de plus en plus de position communes -  politiquement entre pays pauvres et pays riches, entre pays d'émigration et pays d'immigration. Le risque, ce serait aussi de renforcer l'axe Londres-Berlin qui a si bien fonctionné sur la question du budget européen. En voulant agir au mauvais moment, la Commission aura peut-être ouvert une nouvelle brèche au sein d'une Europe déjà mal en point.