Y a-t-il un modèle britannique pour la France ?

Par Romaric Godin  |   |  1338  mots
La croissance britannique atteindrait 2,7 % cette année, contre 2 % en Allemagne et 1 % en France.
De plus en plus de voix s'expriment pour que l'on regarde outre-Manche. Mais le modèle britannique n'est pas forcément celui que l'on croit.

Le Royaume-Uni peut-il être un modèle pour la France ? La question mérite sans doute d'être posée, alors que le projet de budget du gouvernement de David Cameron, présenté mercredi 19 mars, repose désormais sur une hypothèse de croissance de 2,7 % contre 2,4 % envisagés en décembre dernier. C'est nettement mieux même que l'Allemagne dont les élites françaises tressent à l'envie les louanges, et qui, au mieux, peut espérer frôler cette année les 2 %. Et ceci a été obtenu en réduisant les dépenses publiques et le déficit public. Alors, faut-il se tourner vers l'exemple britannique ? Et comment ?

L'austérité en action…

L'erreur consisterait à simplement s'arrêter, comme le font de nombreux observateurs français, que sur un versant de la politique britannique : l'austérité. Londres a en effet réduit sensiblement ses dépenses publiques depuis l'arrivée au pouvoir de David Cameron. Le déficit a été réduit de 11 % du PIB à 6,6 % cette année. Notons néanmoins que cet effort corrige la forte hausse des dépenses enregistrées dans les dernières années du mandat travailliste et que, comme l'on peut le remarquer, le déficit britannique demeure plus élevés outre-manche qu'en France. En revanche, si le poids de la dette publique continue d'augmenter au Royaume-Uni, elle devrait rester à 93,4 % inférieure à celle de la France (96,1 %), compte tenu de la bonne dynamique de croissance.

La réduction des dépenses publiques n'est cependant pas le seul moteur du retour à la croissance du Royaume-Uni. Certes, elle permet au gouvernement de baisser certaines taxes et notamment l'imposition sur les sociétés dont le taux devrait passer à 20 % l'an prochain contre 28 % en 2010. Mais la croissance britannique, c'est surtout la croissance de la consommation. Et si la consommation est repartie si rapidement, c'est parce que le marché du travail a bien résisté à la crise. Le taux de chômage a certes beaucoup monté en 2008 et 2009 dans le sillage de la crise financière, mais depuis 2010, il s'est stabilisé entre 7 % et 8 %.

… mais pas seulement

La raison en est simple : l'austérité britannique a été compensée par des mesures monétaires fortes prises par la Banque d'Angleterre (BoE) qui n'a pas lésiné sur les moyens pour soutenir l'économie pendant que l'Etat réduisait ses dépenses et s'est fixé des objectifs d'emploi. Un programme de prêts aux PME et aux acquéreurs de logements a été mis en place. Entre janvier 2010 et aujourd'hui, le bilan de la Banque d'Angleterre a augmenté de 70 %. Celui de la BCE a grossi de 14 % ! Ceci a un moment pesé sur la livre et compensé une partie des effets néfastes de l'austérité. C'est un point important : l'austérité britannique a été équilibrée par la politique monétaire. Cela n'a jamais été le cas en zone euro. Défendre le modèle britannique pour la France ne peut donc se limiter à une défense de l'austérité. Il faudrait aussi s'accompagner d'une politique monétaire plus agressive et pour une politique de changes autonome. C'est à ce prix que le Royaume-Uni est sorti en trombe de la crise.

Le projet de société de David Cameron

L'austérité à la britannique a également une autre facette : celle d'un projet de société plus ambitieux. C'est ce que vient précisément de souligner une étude réalisée par l'Institut de l'Entreprise et titré Royaume-Uni, l'autre modèle ? Son auteur, Eudoxe Denis, appuie l'idée que le gouvernement Cameron a engagé une réforme de profondeur de la société britannique afin de rendre l'Etat plus efficace et d'engager une baisse des dépenses à moyen et long terme.

Ce projet avait été résumé sous le terme de Big Society par David Cameron durant la campagne électorale. Ce terme n'est plus guère utilisé, car il est devenu outre-manche le synonyme d'austérité. Mais pour Eudoxe Denis, l'ambition est demeurée. Quelle est-elle ? Elle « consiste à chercher un remède aux maux de la société dans la société elle-même plutôt que dans le renforcement de l'Etat ou dans l'accroissement de la dépense publique. » A la différence de la doxa thatchérienne, il ne s'agit plus de s'appuyer uniquement sur le marché, mais sur les forces issues de la « société civile » : associations, ONG, mutuelles, entreprises sociales, réseaux divers, « communautés locales. » L'Etat alors ne disparaît pas. Il « joue le rôle de catalyseur des initiatives sociales. »

L'innovation sociale pour faire reculer les dépenses publiques

Selon Eudoxe Denis, il y a eu depuis 2010 une véritable tentative de mise en pratique de cette « Big Society », principalement dans deux domaines : l'éducation et l'innovation sociale. Dans l'éducation, les « free schools » et les « academies » se sont multipliées. Ce sont des établissements gratuits et financés par l'Etat, mais complètement autonomes, ce qui permet de réduire la bureaucratie. En tout, il y en aurait 3.500 et, selon Eudoxe Denis, les résultats sont très favorables et permettrait d'améliorer le niveau des élèves. . L'étude s'attarde également sur les Social Impact Bonds (SIB). Ces produits permettent de fixer des objectifs aux prestataires de l'Etat et de ne pas les payer si ces objectifs ne sont pas atteints. A la prison de Peterborough, dans le centre de l'Angleterre, ces SIB ont permis de réduire de 7,5 % le taux de récidive.

Bien d'autres projets de ce type sont en cours. Il s'agit, selon Eudoxe Denis, de redéfinir à terme le périmètre de l'Etat et de réduire ses dépenses afférentes au manque d'éducation ou à la récidive. « Le coût de la récidive est estimé entre 9 et milliards de livres chaque année », rappelle-t-il. On certes encore loin de ces objectifs, mais le déploiement de ces mesures pourraient, à terme, avoir des conséquences notables sur le budget de l'Etat, notamment avec la mise en place annoncée d'un crédit universel unique visant à remplacer l'intégralité des prestations sociales.

Des réformes contestées

Ce modèle de « Big Society » est cependant très contesté au Royaume-Uni. L'opposition et plusieurs associations comme Oxfam ont mis en avant un creusement des inégalités, ce que conteste en partie Eudoxe Denis qui insiste sur le fait que le bilan de l'actuel gouvernement est plus favorable que celui du Labour en ce qui concerne le nombre de workless families, de familles où aucun membre ne travaille. Entre 1997 et 2007, durant le mandat du Labour et alors que le pays était en croissance, ces familles ont reculé de 203.000. Elles ont baissé de 426.000 depuis 2010. Même si, on le sait, le travail ne signifie pas forcément la sortie de la pauvreté. On enregistre également quelques ratés. Mercredi 19 mars, le Daily Telegraph soulignait que 14 groupes d'academies, gérant actuellement 170 établissements, avaient été interdites d'expansion par les autorités en raison de doutes sur la qualité de l'enseignement. Autrement dit, il n'y a pas de garanties automatique d'une amélioration de la qualité par cette autonomisation de l'éducation.

Un modèle pour la France ?

Ces mesures peuvent-elles alors inspirer la France ? Selon Eudoxe Denis, ce serait tout à fait possible. « Le Royaume-Uni n'est pas plus éloigné de la France que l'Allemagne », souligne-t-il, en mettant en avant les similitudes démographiques et institutionnelles (notamment la centralisation) importantes pour la gestion des dépenses publiques. Il estime aussi que de telles réformes sont conciliables avec le « modèle républicain » qui n'est pas synonyme d'Etat omniprésent et de rejet des attentes de la société civile.

Reste évidemment qu'il faut être prudent avec la notion de « modèle. » L'économie britannique a ses forces qui ne sont pas celles de la France. La société également. Certaines pratiques pourraient être des sources d'inspiration, en les adaptant. Mais l'ambition du gouvernement Cameron de « modifier la société » pourrait, elle, servir de modèle à une France qui semble chercher en vain sa voie.