Croissance britannique : une victoire de l'austérité ?

Par Romaric Godin  |   |  1447  mots
La croissance britannique a été la même que celle de l'Allemagne au premier trimestre 2014 : + 0,8 %
Les performances de l'économie britanniques font rêver l'Europe. Mais sont-elles le fruit de l'austérité comme le prétend le gouvernement de Londres ?

Le Royaume-Uni est désormais en passe de devenir la « success story » de l'économie européenne. Mercredi, les chiffres du chômage ont dépassé toutes les espérances : le taux de chômage moyen entre février et avril a été de 6,6 %, soit 1,2 point de moins qu'un an auparavant. Au premier trimestre, la croissance britannique a été de 0,8 %, soit le même chiffre que celui de l'Allemagne. Tous les signaux semblent être au vert pour l'économie britannique. Au point que le gouverneur de la Banque d'Angleterre, le Canadien Mark Carney, a préparé jeudi les marchés à une éventuelle inversion de sa politique monétaire en prévenant qu'une hausse des taux « pourrait intervenir beaucoup plus tôt que ce que les marchés attendent. »

Les « austéritaires » crient victoire !

Un tel succès amène une question inévitable : la politique d'austérité budgétaire revendiquée par le gouvernement de David Cameron et son chancelier de l'échiquier George Osborne est-il à l'origine de ce miracle britannique ? Dans le contexte économique et politique européen, une telle question n'est pas sans intérêt. Elle peut apporter de l'eau au moulin de ceux qui réclame sur le continent la poursuite d'une politique austéritaire au nom de « lendemains qui chantent. » George Osborne a clairement revendiqué une « victoire de l'austérité. » Mais, comme toujours, il faut se garder des caricatures. Examinons donc les faits.

Une austérité limitée

Il convient d'abord de définir ce qu'est « l'austérité à la britannique. » Depuis l'arrivée du gouvernement actuel au pouvoir, les dépenses publiques ont clairement reculé en pourcentage du PIB, passant de 47,7 % du PIB en 2009-2010 à 44,4 % attendus en 2013-2014. Mais en valeur absolue, elles ont continué de progresser de 671,5 milliards de livres à 719,9 milliards de livres sur la même période, soit une hausse de 7,2 %. On est donc plutôt, dans le cas britannique, dans le cadre d'une modération des dépenses publiques plutôt que dans celle d'une baisse de ces dernières. Rien de comparable donc avec ce qui a été mené dans la zone euro.

Surtout, il convient de prendre en compte deux éléments. A long terme, le gouvernement actuel n'a qu'en partie seulement réduit la hausse des dépenses publiques liées à la crise de 2007-2009. Lors de l'exercice 2007-2009, les dépenses publiques représentaient seulement 40,9 % du PIB. Un niveau dont on est encore loin. Là encore, il s'agit plus d'une correction partielle des effets de la crise que d'une véritable austérité. D'autant que l'effort s'est précisément relâché en 2013-2014, année où les dépenses publiques ont à nouveau progressé notablement, passant de 43,1 % du PIB à 44,4 % du PIB. Or, c'est à ce moment précisément que l'économie britannique a commencé à accélérer. Difficile donc d'attribuer aux restrictions budgétaires les lauriers de la croissance.

Un soutien sans faille de la politique monétaire à l'activité

D'autant que c'est aussi oublier un peu vite que « l'austérité » britannique a bénéficié d'un complément fort utile : un soutien sans faille de la banque centrale. A la différence de la BCE, la Banque d'Angleterre (BoE) a compris d'emblée l'importance d'un soutien monétaire à une économie soumise à la modération des dépenses publiques. Elle a compensé en partie l'effet négatif de l'austérité par une politique déterminée. Elle maintient ses taux à 0,5 % depuis mars 2009 et n'a jamais variée, alors même que la BCE a relevé ses taux en juillet 2011 et qu'il a fallu attendre mai 2013 pour que les taux de la zone euro soit équivalents à ceux de la BoE ! Sans compter que les autorités monétaires britanniques n'ont pas non plus hésité à mener une politique d'assouplissement quantitatif de grande envergure depuis voici près de quatre ans. Une telle politique a permis de conserver un certain niveau d'activité et de doper la reprise. Là encore, l'austérité britannique n'est en rien comparable à ce qui est mené dans la zone euro.

Un rattrapage plus lent qu'en France

Troisième élément : la croissance britannique est moins brillante qu'il n'y paraît lorsque l'on regarde à plus long terme. Là encore, on constate que la rapidité de la croissance britannique est d'abord le fruit d'un rattrapage. Ainsi, entre le début de la crise des subprimes au deuxième trimestre 2007 et le premier trimestre 2014, le PIB britannique affiche, selon Eurostat, encore un bilan négatif. Le PIB en volume de ce début d'année 2014 est inférieur de 0,38 % à celui du deuxième trimestre 2007. Dans le cas de la France, le PIB affiche une hausse de 1,89 %, dans celui de l'Allemagne de 5,5 %. Bref, la France n'a pas à rougir au final devant la blanche Albion ! Depuis 2008, le Royaume-Uni affiche la sixième performance en termes de croissance parmi le G7 (devant l'Italie, mais derrière la France). Autrement dit : le Royaume-Uni a beaucoup souffert de la crise financière de 2007-2008 et rattrape désormais ce retard. Pas de quoi s'afficher en modèle pour autant.

La reprise la plus faible depuis un siècle

D'autant que si l'on compare cette reprise de l'économie britannique avec celle des autres crises depuis un siècle, on constate que le pays connaît actuellement sa reprise la plus lente. Selon les chiffres d'institut national de la recherche économique et sociale (NIESR), 70 mois après le début de la crise, fixé artificiellement en janvier 2008, le PIB britannique est tout juste revenu à son point de départ (+0,2 %). Lors de la crise de 1929, le PIB, 70 mois après janvier 1930, affichait une hausse de 11 %. Mais il est vrai que le Royaume-Uni avait, en 1931, abandonné la doctrine austéritaire et laissé flotter la livre. En réalité, aucune crise n'a été aussi longue et aussi douloureuse que celle-ci. Là encore, c'est une victoire bien peu glorieuse pour l'austérité britannique.

Les fragilités de l'économie britannique

Enfin, ces taux de croissance ne doivent pas dissimuler les fragilités de l'économie britannique. D'abord, la question des salaires. Si l'emploi s'améliore rapidement, les salaires, eux, progressent très lentement et ont tendance à ralentir leur croissance. Entre février et avril,  ils ont ainsi progressé de 0,7 % contre 1,9 % le trimestre précédent. Même corrigé des effets des bonus du secteur financier, le ralentissement est notable : de 1,3 % à 0,9 %. La consommation britannique reste le principal moteur de la croissance (ce qui n'est guère cohérent du reste avec une politique d'austérité) et elle est portée par l'amélioration de l'emploi. Mais une fois l'effet chômage effacé, la faible croissance salariale pourrait peser sur la croissance.

D'autant que le maintien d'une croissance de l'investissement est loin d'être acquise. Ce vendredi, les équipes de la RBS s'interrogeait ainsi sur la résistance de l'économie britannique à une hausse des taux. Pour le moment, l'investissement est soutenu par le faible coût du crédit. Si les entreprises anticipent un resserrement du crédit dans la foulée des déclarations de Mark Carney, elles pourraient se montrer plus prudentes. Or, de l'autre côté de la Manche aussi, la question de la désinflation se pose. Certes, on est loin du problème européen puisque en avril, la hausse des prix a été de 1,8 %. Mais la tendance est la même : si, en avril, les prix avaient un peu accéléré (de 1,6 %), pour la première fois depuis 10 mois ! Bref, les entreprises britanniques risquent de devoir elles aussi compter avec une inflation limitée. Tout ceci pourrait peser sur l'investissement.

Enfin, le Royaume-Uni vit avec une épée de Damoclès suspendue : la bulle immobilière. C'est une des principales sources d'inquiétude de la BoE (laquelle a beaucoup contribué à alimenter cette bulle). Il va falloir éviter son éclatement brutal par la hausse des taux, tout en s'engageant dans un processus de correction. Pas facile.

Pas de victoire de l'austérité

En conclusion, il convient donc de ne pas se laisser aveugler par les discours idéologiques visant à faire du Royaume-Uni un « modèle » à succès pour une politique d'austérité qui en manque cruellement. La situation britannique est beaucoup plus complexe et si la politique du gouvernement de réduction du déficit (mais rappelons néanmoins que ce dernier est encore bien plus important que celui de la France à 5,1 % du PIB avec une dette inférieure, mais proche de 91 % du PIB) a pu alimenter une certaine confiance, c'est moins « l'austérité » que la politique monétaire, un rythme raisonnable de consolidation et le rattrapage de l'activité qui sont à l'origine des bons taux de croissance trimestriels actuels du Royaume-Uni.