Les maths pour combattre la dépendance aux jeux d'argent

Par Giulietta Gamberini  |   |  777  mots
La faible probabilité de gagner et la non-équité du jeu, envisagées sous l'angle mathématique, sont les deux concepts les plus aptes à protéger de la dépendance, selon les chercheurs de Milan. (Photo: Reuters)
Deux chercheurs de l'école polytechnique de Milan ont décidé de lancer une formation aux mathématiques pour accros aux jeux. L'idée est de leurs inculquer les probabilités et les mécanismes de prise de décision afin de lutter contre leur addiction.

Le phénomène est loin d'être anodin, y compris en France, si l'on s'en tient à une étude publiée en avril par l'Insee: en 2012, un Français sur quatre jouait activement aux jeux d'argent et la somme misée en moyenne dans l'Hexagone était de 2.000 euros. En Italie, où une recherche de 2012 recensait 800.000 joueurs dépendants et presque 2 millions de personnes en passe de le devenir, on compte contrer le fléau avec... les mathématiques.

>>LIRE: Jeux d'argent : les Français misent en moyenne 2.000 euros par an

Comprendre les mécanismes mathématiques pour éviter l'addiction

L'école polytechnique de Milan vient en effet de lancer un nouveau "pari" qu'elle présente comme très rentable et dont le nom est explicite: BetOnMath. Il s'agit d'un parcours de formation conçu par les chercheurs de deux laboratoires du Département de Mathématiques de l'université. Destiné aux professeurs de l'enseignement secondaire et indirectement à leurs élèves, il mise notamment sur une idée: comprendre les mécanismes des probabilités et de prise de décisions à la base de la dépendance est le meilleur moyen de l'éviter.

L'un des chercheurs de l'école, Nicola Parolini, explique dans les colonnes du quotidien économique Il Sole 24 Ore:

"Il ne s'agit pas de dire ce qui est bien et ce qui est mal. Nous voulons juste fournir des bases permettant à une partie importante de la population de comprendre ce qu'elle fait et pourquoi".

Faible probabilité de gagner et iniquité des jeux

D'une durée de six heures, le module insiste surtout sur deux idées force. La première est la faible probabilité que l'on a de gagner.

"Il faut rappeler que les gains qui attirent (qu'il s'agisse de loteries ou de paris) sont toujours improbables", souligne Nicola Parolini. "Nous proposons cet exemple: gagner au Super Loto est aussi probable qu'entrer avec les yeux bandés dans un Maracana rempli de 600 millions de balles et de trouver la seule de couleur rouge".

La deuxième, c'est l'iniquité du jeu. "C'est l'aspect le plus critique à faire comprendre", observe le chercheur. Il explique:

"Tous les jeux de hasard sont inéquitables, puisqu'ils ne redistribuent en prix qu'une partie de l'argent récolté. Au point que la seule manière de 'risquer' de gagner, c'est de jouer une seule fois: contrairement à ce que l'on croit généralement, le jeu méthodique réduit la probabilité de gagner".

Un quasi-gain trompeur

Le cours se propose aussi de dévoiler quelques-uns des trucs utilisés par l'industrie du jeu pour pousser les gens à jouer.

"Pensons à l'idée de 'quasi-gain': lorsque l'on joue à la machine à sous et que l'on perd de peu, l'appareil produit des sons qui ressemblent à ceux émis lorsque l'on gagne. On ne peut donc que penser: j'y suis presque... C'est pareil pour les jeux de grattage, quand ils insèrent des séquences numériques proches de celles gagnantes. Il est évident que cela fait partie du produit. Mais il est bien de savoir comment cela fonctionne!".

Pour l'instant, la prise de conscience n'est pas de mise en France. Selon la recherche de l'Insee déjà citée, les joueurs français perdent en moyenne 400 euros par an, et pourtant les sommes misées ont augmenté de 76% en valeur entre 2000 et 2012. Un phénomène en partie renforcé par la crise.

>>LIRE: "Les jeux d'argent et de hasard sont vus comme le seul moyen de s'en sortir"

2.000 élèves concernés

"L'analphabétisme mathématique est bien plus diffus que l'analphabétisme linguistique. En tant que groupe de mathématiciens, nous pensons que les mathématiques, en plus de jouer un rôle dans l'industrie et la technique, peuvent jouer un rôle aussi dans la société. Il faut essayer de faire sortir ces compétences pour les mettre au service de la société", observe Nicola Parolini.

C'est pourquoi l'initiative vise large. Déjà expérimentée sur un groupe pilote composé de 22 enseignants de mathématiques formant 400 élèves, elle sera étendue, à partir d'octobre, à un public de 80 enseignants avec 2.000 élèves. Concernant le choix du public, Nicola Parolini explique:

"La dépendance couvre de manière uniforme toutes les tranches d'âge. Notre intention est de proposer un parcours anticipant le problème. Nous tenions à ce que le projet touche les enseignants car le moyen le plus organisé et sensé n'est pas d'aller nous-mêmes dans les classes, mais de former les professeurs, qui à leur tour formeront les jeunes".

Mais à la fin du projet, en septembre 2015, les contenus seront publiés sur une plate-forme gratuite, accessible à l'ensemble de la population.