Les leçons pour l'Europe du succès du "oui" à l'indépendance écossaise

Par Romaric Godin  |   |  1376  mots
Le 18 septembre, l'Ecosse votera sur son avenir.
Le premier sondage sur le "oui" a été un "séisme" politique. Mais il en dit plus qu'on ne le pense sur la politique dans l'ensemble de l'Europe.

Le premier sondage qui, samedi 6 septembre, a donné vainqueur du référendum du 18 septembre, le « oui » à l'indépendance de l'Ecosse, a sidéré les observateurs. Car il était de bon ton jusqu'ici de nier toute possibilité de voir les indépendantistes l'emporter au nord des Borders. A Bruxelles et sur le continent, notamment, on s'est contenté d'attendre la victoire du « non », sans véritablement anticiper un succès du « oui. » Cette sidération, ainsi que la forme d'hystérie panique qui s'est emparée ce lundi des marchés et des observateurs sur ce sujet amènent naturellement à tirer quelques leçons de cet événement inattendu, non seulement pour l'Ecosse, mais aussi pour l'Europe.

Aveuglement du passé

L'aveuglement devant cet impensable traduit une confiance aveugle dans des « experts » qui ne savent en réalité que justifier une certaine forme de continuité. Jusqu'à ce 6 septembre, tous les sondages donnaient le « non » gagnant. Dès lors, il était évident que le « oui » ne pouvait l'emporter. Cette certitude que l'itération des faits passés assure de l'avenir est une technique bien connue des économistes et des financiers. C'est aussi la certitude la plus absolue de manquer les crises et l'éclatement des bulles. C'est cette absence de sens historique, de celui qui accepte l'idée de l'événement et de la rupture, qui a fait croire à la communauté d'experts que la crise des subprimes américains n'était qu'une correction passagère en 2007 et que la crise grecque resterait grecque en 2010. Parce que, auparavant, on n'avait jamais vu cela. L'ennui, c'est que s'appuyer sur cette méthode empêche toute véritable anticipation.

L'UE et les marchés débordés

Aussi l'Union européenne se trouve-t-elle désarmée face à un événement qui peut donner des ailes aux revendications catalanes (un référendum est prévu le 9 novembre dans la région) et à d'autres, mais qui va également donner lieu à un événement unique et non prévu par les traités : l'indépendance d'un territoire issu d'un pays membre de l'UE. Comment traiter l'adhésion de ce territoire ? Jusqu'à présent, les officiels de l'UE n'ont pas été capables de définir une ligne claire. L'ancien président de la Commission José Manuel Barroso était fort dur avec une éventuelle Ecosse indépendante et promettait qu'une adhésion de l'Ecosse serait impossible.

Depuis, Jean-Claude Juncker s'est dit plus ouvert à cette adhésion, mais avec bien des hésitations. Une chose est sûre : l'UE n'est pas prête à faire face au défi de l'indépendance écossaise. Faute de l'avoir envisagé. L'hystérie sur les marchés, où la livre et la Bourse de Londres ont décroché révèlent que les marchés financiers, dont la fonction est pourtant de tout anticiper, ne sont pas mieux armés. Leur confiance dans le passé pourrait leur coûter cher.

L'argument de la peur ne prend plus

Une autre leçon concerne la campagne du « non. » Celle-ci n'a été fondée que sur la peur et l'échafaudage de scénarios catastrophe en cas d'indépendance. Le succès du « oui » dans le sondage fait renaître, du reste, une nouvelle vague de scénarios de ce genre : faillites bancaires, effondrement économique, perte du niveau de vie et des protections sociales, etc. Mais les Ecossais se sont rapidement détournés de ces arguments qui se sont montrés très contreproductifs. Le sang froid et le réalisme des partisans de l'indépendance dans leurs arguments a ainsi été un point important du retournement de tendance qui a été initié par les deux débats télévisés du mois d'août. Etrangement, l'outrance des partisans du « non » dans leur volonté de faire peur a fait changer de camp la crédibilité. Comme si la raison avait changé de camp.

Argument épuisé

Cette situation n'est pas sans rappeler celle du référendum français sur la constitution européenne de 2005 où plus les partisans du « oui » tentaient de dramatiser l'enjeu du vote, plus le « non » se renforçait. Les électeurs semblent de moins en moins se laisser prendre par les arguments catastrophistes des « experts » qu'ils perçoivent comme des injonctions réduisant leur liberté de choix. Le cas écossais prouve que l'argument de la peur doit donc désormais être manié avec beaucoup de précaution. Certes, cette stratégie a fonctionné en Grèce en juin 2012. A cette date, la peur d'une exclusion du pays de la zone euro et de ses conséquences (à l'époque on parlait de pénuries alimentaires et sanitaires en cas de « Grexit ») a conduit les Hellènes à placer le parti conservateur d'Antonis Samaras en tête. Mais le ressort est là aussi cassé. Les sondages donnent désormais la coalition de la gauche radicale, Syriza largement en tête. Et il n'est pas certain qu'une nouvelle campagne de peur ne renverse la vapeur. En France et en Italie, les partisans de l'euro semblent aussi manier les scénarios catastrophe en cas de sortie de la zone euro. Mais là encore, l'argument risque d'être inefficace, voire contreproductif.

Redonner de l'espoir

La peur ne suffit donc plus. Il faut trouver d'autres arguments. Là encore, le cas écossais est intéressant. Les indépendantistes ont plaidé sur les nouveaux leviers dont disposerait le jeune pays pour améliorer les conditions de vie de sa population. Le camp du « oui », quoique très europhile, a joué sur la capacité du pays à sortir de l'austérité imposée par Londres. Un des points les plus forts de sa campagne a été la volonté d'améliorer le système de santé dans une Ecosse indépendante. le camp du « oui » a ouvert le champ des possibles, il a redonné de l'espoir, notamment aux électeurs du Labour déboussolés de voir leur parti s'allier avec l'UKIP et les Conservateurs pour défendre une politique économique qui n'a jamais été acceptée en Ecosse. Ce sont eux qui ont fait basculer la balance en faveur du « oui. »

A la recherche d'alternatives

C'est évidemment là où l'UE, comme le gouvernement de Londres, sont incapables d'agir, enfermés dans une idéologie basée sur la baisse des dépenses publiques et les « ajustements nécessaires » qui est censée être sans alternative. En Ecosse, les indépendantistes ont dû faire face à une alliance de tous les partis politiques du pays réunis autour de la volonté de ne rien changer. Cette situation se retrouve dans de nombreux pays de la zone euro, où la politique d'ajustement est défendue par une alliance inédite des « grands partis. » Dès lors, beaucoup d'électeurs sont à la recherche d'une alternative, quel qu'en soit le prix. Les Ecossais sont donc naturellement tentés de se tourner vers l'indépendance pour échapper à une Angleterre dominée par les visions de l'économie défendues par la droite britannique. Les Grecs se tournent vers Syriza, immaculée par la politique d'austérité, et les Français vers un Fn qui insiste de plus en plus sur son statut de recours économique après la conversion du PS à la politique de l'offre...

D'une certaine façon, la publication quasi simultanée des sondages donnant Marine Le Pen en tête face à François Hollande et le « oui » devant le « non » en Ecosse sont les deux faces d'une même réalité : celle d'une vie politique européenne redessinée par la crise du welfare state européen et la volonté des peuples de chercher des solutions pour la résoudre sans se soumettre aux régimes douloureux des gouvernements. On peut juger cette volonté dérisoire sur le plan théorique, mais son existence oblige les politiques européens à trouver des réponses. Ce qu'ils semblent incapables de faire.

Cette progression du « oui » à l'indépendance de l'Ecosse est donc une nouvelle défaite du modèle de démocratie dirigée par des experts qui guident les politiques. Elle interpelle clairement l'ensemble des gouvernements et des politiques européens et les appelle à renouveler leurs discours et leurs méthodes. Faute de quoi, on pourrait bien connaître encore quelques « surprises » dans les scrutins futurs.