La BCE a bien exercé un chantage sur le gouvernement irlandais en 2010

Par Romaric Godin  |   |  722  mots
Jean-Claude Trichet était président de la BCE en 2010
Le quotidien Irish Times publie la lettre de Jean-Claude Trichet au ministre des Finances irlandais en novembre 2010. La BCE a menacé de couper le robinet de liquidités des banques irlandaises pour obtenir un accord du gouvernement concernant un "plan de sauvetage."

La BCE a longtemps tenté d'en éviter la publication, mais l'Irish Times s'est procuré une copie de la lettre que Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, a envoyé le 19 novembre 2010 au ministre irlandais des Finances de l'époque, Brian Lenihan. Vers 13 heures, la BCE a livré au public quatre lettres. Comme on s'en doutait déjà fortement : le français s'est alors livré à un chantage envers le gouvernement irlandais pour imposer le programme d'austérité proposé par le FMI et l'Union européenne.

Les conditions de la BCE

Cette lettre de trois pages est extrêmement claire. Jean-Claude Trichet indique que l'accès des banques irlandaises au programme d'aide à la liquidité d'urgence (Emergency Liquidity Assistance, ELA) est soumis à quatre conditions que le gouvernement irlandais doit « accepter par un consentement écrit. » Et la première de ces conditions est l'acceptation d'un « soutien financier de l'eurogroupe », autrement dit l'appel à la Troïka. Mais la BCE va encore plus loin en citant les engagements que devra comporter cette demande : consolidation budgétaire, « réformes structurelles » et restructuration du secteur financier. Autrement dit, Jean-Claude Trichet trace les lignes de la future politique économique du pays.

La troisième condition est la recapitalisation du secteur financier, non seulement grâce à l'aide européenne et du FMI, mais aussi par les « moyens financiers actuellement disponibles au gouvernement irlandais, y compris les réserves de liquidités. » Très ouvertement, Jean-Claude Trichet pave la voie à l'utilisation de 17,5 milliards d'euros en grande partie issus des réserves du fonds de retraite du pays pour le renflouement des banques. Dernière condition : Dublin devra garantir intégralement les fonds avancés par la BCE dans le cadre du programme ELA.

Réponse rapide exigée

Jean-Claude Trichet achève en demandant une « réponse rapide » avant de menacer d'une « escalade des tensions sur les marchés » et de clairement indiquer que « la décision du conseil des gouverneurs sur le caractère approprié de l'exposition de l'Eurosystème aux banques irlandaises dépendra essentiellement du progrès rapide et décisive des mesures qui ont été citées. » Bref, c'est une forme d'ultimatum de la BCE a envoyé à Dublin.

Faillite ordonnée ou appel à la Troïka ?

Le contexte de cette lettre, c'est l'hésitation du gouvernement irlandais face à la crise qui secouait alors le secteur bancaire. Dublin avait évoqué la possibilité d'une faillite « ordonnée » des banques en faisant payer les créanciers. Mais, comme l'ont montré deux journalistes allemands dans un livre récent, il s'était opposé au front franco-allemand constitué pour défendre les intérêts des banques des deux pays, très exposées au risque irlandais. C'était notamment le cas de la banque munichoise Hypo Real Estate, nationalisée et dont la principale filiale, Depfa, était basée à Dublin.

Responsabilité et démocratie

Le chantage de la BCE visait d'abord donc à assurer le sauvetage des créanciers des banques irlandaises. Mais cette lettre pose évidemment également la question du respect des institutions démocratiques durant la crise. En ce sens, le cas irlandais n'est qu'un exemple parmi d'autres. On pourrait également citer le chantage identique réalisé de façon encore plus violente, par un simple communiqué, sur Chypre en mars 2013. La BCE avait aussi menacé de couper l'ELA aux banques chypriotes après le rejet du plan de sauvetage par le parlement de ce pays. Enfin, à l'automne 2011, on se souvient que deux gouvernements européens étaient tombés sous la pression de la BCE et des dirigeants européens : le gouvernement italien de Silvio Berlusconi et le grec de George Papandréou qui avait eu l'outrecuidance d'envisager un référendum sur les mesures d'austérité imposées au pays.

 L'autre question posée par cette affaire est celle de la responsabilité de la BCE. Jean-Claude Trichet a toujours estimé qu'il n'avait aucun compte à rendre devant le parlement irlandais sur cette affaire. Il a toujours refusé de témoigner devant la commission d'enquête mise en place par ce dernier. Du reste, la BCE s'est entièrement déchargé de toute responsabilité ce jeudi en précisant que ce n'est pas la lettre qui a « poussé l'Irlande dans le programme », mais que c'est la situation intérieure irlandaise qui a contraint ce choix. Comme souvent, il n'y avait « pas d'alternatives. »