Mafia Capitale, l'énorme scandale de corruption qui secoue Rome et l'Italie

Par Giulietta Gamberini  |   |  771  mots
Au moins 39 personnes sont poursuivies mais libres, dont l'ancien maire (de 2008 à 2013), Gianni Alemanno. Berlusconi, venu le soutenir pendant sa campagne de réélection (ici, en mai 2013), demande aujourd'hui la dissolution du conseil municipal, comme beaucoup d'autres - à l'instar de Beppe Grillo, l'humoriste fondateur du "Mouvement cinq étoiles".
Les carabiniers et la justice ont révélé début décembre l'existence d'une "quatrième mafia" propre à la ville éternelle, qui infiltrait et corrompait l'administration locale. Presqu'une centaine de personnes, dont de nombreux entrepreneurs et des personnalités politiques de droite comme de gauche, sont poursuivies.

Plus de vingt ans après l'opération "Mains propres", qui mena à un changement radical de la politique italienne au début des années 1990, un autre système géant de corruption vient d'être mis à jour par les carabiniers et le parquet de Rome. Il s'agit cette fois d'une véritable mafia, selon les gendarmes et le parquet de Rome, infiltrée à tous les niveaux de l'administration locale.

  • La découverte

"Mafia capitale": ainsi a été dénommée en Italie l'organisation mafieuse originale et autonome dont les carabiniers ont révélé l'existence dans la ville de Rome le 2 décembre. Véritable réseau reliant les milieux de la criminalité, de la politique et des affaires, cette "organisation évoluée", hiérarchique et secrète, avait pour but d'obtenir des appels d'offres et des financements publics de la municipalité au profit d'entreprises "amies". Elle s'appuyait à cette fin sur un "système de corruption ramifié et documenté", selon les autorités : en échange des contrats remportés, étaient versés des pots-de-vin pouvant aller jusqu'à 15.000 euros par mois pendant des années. Parmi ses secteurs d'activité, la gestion des déchets, le ramassage des feuilles mortes, mais aussi l'accueil des immigrés.

  • Les enjeux

L'enquête montre que, dans la ville de Rome, opérait, à côté des trois mafias traditionnelles (mafia sicilienne, camorra napolitaine et 'ndrangheta calabraise), une quatrième organisation autochtone. Malgré une capacité militaire sans doute inférieure, elle était, contrairement à toute attente, la plus dangereuse, car la plus enracinée, invasive et redoutée.

Si, selon le procureur de Rome Giuseppe Pignatone, "certains proches de l'ancien maire [de droite] de Rome [Gianni Alemanno] étaient des membres à plein titre de l'organisation mafieuse et ont participé à des épisodes de corruption", les hommes de la mafia en question bénéficiaient de contacts diversifiés : ils "étaient tranquilles", que ce soit la droite ou la gauche à gagner les élections.

  • Le leader

L'alliance, ancienne, trouverait ses origines dans "un lien historique [du monde criminel] avec certains membre de l'extrême droite romaine, dont certains sont devenus des politiques ou des dirigeants publiques", analysent les carabiniers qui ont effectué l'enquête. A la tête de l'organisation mafieuse se trouvait notamment, selon les enquêteurs, un ancien terroriste néo-fasciste, Massimo Carminati, déjà connu pour être également impliqué dans des formes de criminalité organisée.

  • Les personnes concernées

Elles sont une trentaine à avoir été emprisonnées au titre de la détention provisoire (parmi lesquelles Massimo Carminati), et presqu'une dizaine à être détenues à domicile. Les chefs d'accusation sont aussi lourds que multiples: association de malfaiteurs, extorsion, corruption, blanchiment...

Au moins trente-neuf personnes sont poursuivies mais libres, dont l'ancien maire (de 2008 à 2013) Gianni Alemanno ainsi que d'autres personnalité politiques de droite comme de gauche, anciennement ou toujours impliquées dans la gestion de la municipalité ou de la région. Une photographie du ministre du Travail du gouvernement Renzi, Giuliano Poletti, où il apparaît aux côtés de quelques pointes de l'organisation, a défrayé l'opinion publique.

  • Les conséquences

Un certain nombre de personnes poursuivies ont démissionné de leurs postes. Le "Mouvement cinq étoiles" fondé par l'humoriste Beppe Grillo a demandé au préfet de dissoudre le Conseil municipal de Rome. Les appels d'offres de la ville et de la région sont en train d'être passés au peigne fin et une réorganisation de l'administration municipale a été annoncée par le maire actuel, Ignazio Marino.

Le Premier ministre Matteo Renzi a confié l'administration de la section romaine du Parti démocrate, auquel il appartient, à un commissaire, afin qu'il la refonde. Il a aussi promis une "opération de transparence online" sur la gestion de l'argent public.

  • L'enquête

Des perquisitions ont par ailleurs été effectuées par les carabiniers non seulement au domicile des prévenus, mais aussi dans certains bureaux de la ville ou de la région. Une saisie de biens d'une valeur de 204 millions d'euros a été ordonnée. Et "l'enquête ne se termine pas aujourd'hui", a mis en garde début décembre le procureur de Rome.

Commencée en 2012, l'opération a été baptisée "terre du milieu" ("Terra di mezzo"), pour évoquer ce lieu où se rencontrent le monde "d'en haut" - des riches - et celui "d'en bas" -de la criminalité-, selon les termes du leader Carminati  lui-même. Dans une conversation téléphonique enregistrée par les enquêteurs, celui-ci expliquait en effet que le monde des riches, lui aussi, attend que celui des criminels fasse quelque chose pour lui...