Pourquoi la crise grecque est loin d'être achevée

Par Romaric Godin  |   |  2286  mots
La crise grecque n'est pas finie. Mais pourquoi ?
Alors que le processus d'élection du président de la République se poursuit à Athènes, les craintes autour de la Grèce ne s'apaisent pas. Mais une éventuelle victoire de Syriza n'est pas le problème réel de la Grèce. C'est bien plutôt l'échec des politiques menées depuis 2010.

Il faut donc se rendre à l'évidence : le volcan grec n'était pas éteint. La moindre secousse fait toujours redouter une nouvelle éruption. La situation politique grecque a fait revenir l'idée du « Grexit » - autrement dit, la sortie du pays de la zone euro - une option dont il était déjà question en 2010 et 2012. Le sentiment de surplace est évident. Mais pourquoi craint-on encore un tel scénario ?

Un pays en redressement ?

La version « officielle », celle défendue par le gouvernement grec et les autorités européennes, qui l'appuient désormais ouvertement, est que le processus de redressement économique du pays est en cours. La Grèce est en phase de redressement. Il lui faut simplement du temps, donc un gouvernement qui continue d'appliquer avec détermination cette stratégie économique. Les chiffres avancés pour justifier cette vision semblent convaincants. La Grèce a retrouvé la croissance au troisième trimestre 2014 et a même, au cours de cette période, obtenu la plus forte croissance de la zone euro à 0,7 %. Ce troisième trimestre 2014 a d'ailleurs été riche en bonnes nouvelles : le chômage a reflué à 25,5 % (contre 27,2 % un an auparavant), les salaires ont progressé sur un an de 2,1 %. Enfin, l'état des finances publiques continue de s'améliorer et l'excédent primaire en novembre était de 2,61 milliards d'euros.

Besoin de temps et de stabilité ?

Dans la vision défendue par l'actuel gouvernement, la Grèce se redresserait donc et le principal danger pour l'économie grecque serait une remise en cause de ce redressement par un changement politique. Dès lors, l'incertitude reviendrait, la confiance disparaîtrait et le « fruit des efforts des Grecs » disparaîtrait immédiatement, ramenant le pays en 2010, autrement dit au point de départ. La remontée des taux sur les marchés serait la traduction concrète de cette position. Donc, c'est l'incertitude politique entretenue par le principal parti d'opposition, Syriza, qui refuse de participer à l'élection d'un président de la république et veut des élections anticipées, qui est à l'origine de la nouvelle crise grecque. In fine, Antonis Samaras et Jean-Claude Juncker en viennent à la conclusion qu'il convient de voter en faveur de la coalition en place pour assurer cette stabilité tant voulue par les marchés.

La Grèce ne dépend plus des marchés

Pourtant, cette vision ne semble pas entièrement correspondre à la réalité. Le financement de la Grèce ne dépend en effet qu'à la marge des marchés. La Grèce lèvent certes des fonds sur le marché à court terme, mais elle l'a toujours fait, y compris au plus fort de la crise et une hausse des taux à long terme n'a pas d'impact notable sur les finances publiques. Pour le reste, la Grèce n'a pas accès au marché. En avril, la levée de 3 milliards d'euros de dette à 5 ans était surtout une opération de communication et lorsque le premier ministre Antonis Samaras a annoncé vouloir sortir du « plan d'aide », les marchés l'ont sanctionné.

La Grèce ne peut aujourd'hui se financer seule, elle dépend de la solidarité - sous conditions - européenne et internationale. Du reste, un financement sur les marchés de la Grèce serait suicidaire pour les finances publiques. L'aide du Mécanisme européen de Stabilité (MES) est facturé à un taux très faible (environ 1,5 %). Or, au plus bas de l'année 2014, le taux sur le marché du 10 ans grec était de 5,57 %. La levée de fonds d'avril à 5 ans s'est faite au taux de 4,75 %. Un retour de la Grèce sur les marchés rendrait les finances publiques grecques intenables. Autrement dit : à la différence de 2010 et 2012, les marchés ne peuvent plus contraindre la Grèce à sortir de la zone euro ou à se déclarer en faillite. Le baromètre du 10 ans grec est certes un baromètre de confiance, mais il n'est pas un baromètre pertinent. Autrement dit, si Syriza arrive au pouvoir et que le 10 ans grec remonte à 20 %, les conséquences de cette hausse seront quasiment nulles puisqu'Athènes n'entend pas lever des fonds sur le marché. Le problème n'est donc pas là.

Les causes d'un éventuel « Grexit »

De même, on sait que Syriza n'entend pas sortir le pays de la zone euro. Alexis Tsipras l'a clairement affirmé encore ce jeudi. Une victoire électorale de ce parti n'est donc pas une raison suffisante pour voir la Grèce sortir de la zone euro. Si la Grèce sort de la zone euro, ce ne sera donc pas le fait des marchés ou de Syriza, mais celui des créanciers du pays : le MES (où l'Allemagne dispose d'un droit de veto au conseil d'administration), les Etats de la zone euro, la BCE et le FMI. Si ces créanciers refusent de s'entendre avec le nouveau pouvoir démocratiquement désigné à Athènes, alors ils ont effectivement les moyens de contraindre la Grèce à sortir de la zone euro : soit en coupant l'aide à la liquidité d'urgence de la BCE accordée aux banques helléniques, soit en refusant de financer l'Etat grec. Athènes dépendant du financement de ces institutions, elle n'aura pas d'autres choix alors pour assurer le fonctionnement de son économie que de sortir de la zone euro.

La crise grecque : un Débat entre créanciers et Athènes

La réalité de la nouvelle crise grecque n'est donc que celle d'un débat à venir entre des créanciers inflexibles et des débiteurs demandant qu'on prenne en compte la situation réelle du pays. La véritable question est donc bien de se demander pourquoi on en arrive à ce face-à-face. Pourquoi, d'un côté, les créanciers refusent tout amendement à ses conditions et pourquoi Syriza est, aujourd'hui, en mesure de présenter des demandes nouvelles aux Européens. C'est là seulement le cœur de la persistance du problème grec.

Échec économique

La première réponse est celle de l'échec économique de la solution mise en place par les trois derniers gouvernements grecs à la demande de la troïka. Car le « miracle » du troisième trimestre n'est qu'un mirage. La saison touristique a été exceptionnelle, en partie parce que l'offre méditerranéenne est désormais plus réduite et parce que ce secteur a été le moins touché par les effets de la politique d'austérité. Mais le reste de l'économie demeure en lambeaux. « L'ajustement » hellénique s'est mué en désastre : la richesse nationale est inférieure d'un quart à celle de 2008. La pauvreté a explosé, le chômage, même en baisse, est massif. C'est un des pires désastres économiques survenus en temps de paix. Mais surtout, ce lourd prix n'a pas permis de mettre sur pied un modèle économique pour le pays.

En dehors du tourisme, que peut faire la Grèce dans la zone euro ? Quelle est sa place économique, sur quoi peut-elle s'appuyer ? Nul ne peut répondre à ces questions parce que nul ne se les ai posées en 2010. Il arrive toujours un moment où la chute se stabilise et il est toujours plus aisé de faire 2,9 % de croissance (comme le prédit la Commission pour 2015). Rappelons juste cette vérité mathématique : pour récupérer une perte de 25 % perdus, il faut une croissance de 33,3 %... Le chemin du redressement est donc encore long et il faudra surtout lui donner du contenu. On comprend aisément que la stratégie de la troïka qui n'est basée que sur la seule exigence financière exaspère les Grecs. Si les créanciers veulent rentrer dans leurs fonds, les Grecs, eux, veulent retrouver les moyens de vivre.

Échec financier

Or, et c'est le deuxième problème, la Grèce n'est pas sortie d'affaires sur le plan financier. L'excédent primaire devrait atteindre cette année 3 milliards d'euros, soit 1,8 % du PIB. Antonis Samaras s'en félicite, mais ce n'est pas assez. En juin, la Grèce devra rembourser 6 milliards d'euros à la BCE qui détient des obligations helléniques achetées sur le marché qui arrivent à échéance. Et la BCE a refusé de renouveler cette dette. Autrement dit, le fruit de l'excédent 2014, le fameux « fruit des efforts » des Grecs est déjà englouti dans une seule créance. En réalité, malgré sa violence, l'ajustement grec n'est pas encore suffisant pour faire face aux besoins de financement du pays. Il faut faire plus et c'est ce que demande la troïka qui réclame encore des hausses d'impôts et des baisses de dépenses. Même le gouvernement Samaras convient que c'est socialement et économiquement suicidaire. Mais rien n'est moins logique si l'on s'en tient à l'esprit du mémorandum : faire en sorte que la Grèce puisse rembourser ses dettes par ses propres moyens.

La dette, le vrai problème

La dette, qui représente 175 % du PIB grec, est le vrai problème du pays. Elle contraint les gouvernements à dégager des excédents primaires toujours plus importants, donc à sevrer l'économie nationale de ressources. Elle empêche de panser les plaies sociales causées par l'austérité. Mais surtout, elle empêche tout investissement véritable. Nul ne veut investir dans un pays qui traîne un tel fardeau et qui devra le traîner pendant des dizaines d'années. La vraie source de la méfiance des marchés vient bien plus de là que de l'arrivée au pouvoir de Syriza. Du reste, la proposition de ce parti d'une conférence fondée sur celle de 1953 qui avait annulé l'essentiel des dettes allemandes d'avant-guerre est pertinente : elle identifie le vrai problème du mal grec et tente d'y trouver une solution. Un budget grec avec un niveau de dette réduit pourra entamer la reconstruction du pays et ainsi ouvrir le chemin à une vraie croissance. Sinon, le pays continuera à végéter. C'est pourquoi beaucoup de Grecs soutiennent aujourd'hui cette proposition.

Refus de la restructuration

L'attitude des créanciers est également très discutable. Le refus de réfléchir à une vraie restructuration de la dette grecque a affaibli le gouvernement Samaras. Le mémorandum de 2012 prévoyait une réflexion sur la dette une fois arrivé le premier excédent primaire. Pendant deux ans, le gouvernement a saigné à blanc le pays pour parvenir à cet objectif et entamer des discussions. Mais, cette année, les créanciers européens n'ont rien voulu savoir. Le sujet a été soigneusement évité. Les Grecs se sont légitimement sentis floués et se sont logiquement détournés des partis de gouvernement, tentant de se tourner vers des partis capables de tenir des positions plus fermes. Si on en est à devoir s'interroger sur un nouveau « Grexit », c'est surtout en raison de la mauvaise foi des Européens et de la faillite des solutions qu'ils ont voulu mettre en place.

Le rôle de l'idéologie

Pourquoi cette inflexibilité ? Il ne faut pas négliger la part de l'idéologie. Depuis 2010, il y a clairement une approche « morale » de la crise grecque. Il faut faire un exemple avec un pays qui a manqué de sérieux budgétaire. Toute concession envers Athènes est donc perçue comme une défaite morale. D'où les interminables discussions avec la troïka qui se terminent souvent par de nouvelles mesures qui sont autant de preuves que la Grèce « paie » pour le versement de son aide. Là n'est cependant pas l'essentiel. L'Allemagne a longtemps été favorable à la restructuration de la dette pour que les créanciers « prennent leurs responsabilité. » Depuis Angela Merkel a entièrement changé d'avis : elle rejette toute coupe dans la dette grecque.

Le poids des créances pour les créanciers publics

C'est que l'Allemagne est devenue, comme les autres pays de la zone euro, elle-même créancières. L'intégralité des versements à la Grèce des pays de la zone euro qui ont fourni des prêts bilatéraux en 2010 et du MES (ou du FESF son prédécesseur) s'élève à pas moins de 222 milliards d'euros. Si la Grèce devait cesser ses paiements et, même en tenant compte des 80 milliards d'euros de capital « dur » du MES (qu'il faudrait reconstituer), le coût pour les pays de la zone euro serait très lourd. La France devrait ainsi payer en garantie au MES et accuser une perte sur le prêt bilatéral accordé à la Grèce d'un peu moins de 29 milliards d'euros. Pour l'Allemagne, la facture s'élève à 29 milliards d'euros, même si le prêt bilatéral a été émis par la banque publique KfW qui pourrait encaisser seule une partie de la perte. Plus encore que financier, le prix à payer serait en fait surtout politique. Pour Angela Merkel, notamment, qui a toujours défendu l'idée que la Grèce ne coûterait rien au contribuable allemand, ce serait un désastre qui profiterait aux Eurosceptiques d'AfD. En France, c'est évidemment d'abord les conséquences sur la situation financière du pays qui serait préoccupante.

Blocage

Voilà donc où a mené une politique conduite en dépit du bon sens, à un blocage entre une Grèce qui cherche de l'air et des créanciers acculés par leurs situations intérieures. C'est pourquoi la question grecque n'est pas réglée et restera pendante encore longtemps, que Syriza ou le gouvernement actuel soient au pouvoir à Athènes. Et ce sont bien les erreurs passées qui pèsent sur le pays. L'instabilité gouvernementale n'en est qu'une conséquence un peu plus visible que d'autres pour les marchés.