Grexit : l'échec de la stratégie de Wolfgang Schäuble

Par Romaric Godin  |   |  1067  mots
Wolfgang Schäuble a souvent voulu exclure la Grèce de la zone euro.
Wolfgang Schäuble n'a jamais caché son envie de bouter la Grèce hors de la zone euro. Mais les menaces proférées via les indiscrétions au Spiegel auront, cette fois, fait long feu...

Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est raté. Ceux qui sont à l'origine des « indiscrétions » publiées par Der Spiegel, samedi, avaient sans doute cru que la menace de voir le gouvernement allemand « accepter la sortie de la Grèce de la zone euro » aurait fait trembler les électeurs grecs. Mais la menace s'est retournée contre leurs auteurs.

La réaction des marchés

D'abord parce que les marchés financiers ont démenti dans les faits l'argumentation des sources du Spiegel. La dégringolade des marchés actions, la baisse des taux du « cœur de la zone euro » (les 10 ans allemand et français ont atteint ce mardi matin leur plus-bas historique à 0,772 % et 0,484 %) sont autant de signes que le risque grec n'est pas isolé. En cas de « Grexit », il y aura bel et bien un effet sur le reste de la zone euro. Le pari tenté par le gouvernement allemand de « banaliser » une exclusion (puisque, rappelons-le, Syriza n'entend pas sortir de la zone euro) de la Grèce de l'UEM a échoué.

Réactions négatives en Europe

Deuxième échec : les réactions ont été très négatives. En Grèce, évidemment, où Alexis Tsipras, le leader de Syriza, a dénoncé les manœuvres du gouvernement allemand et où il n'est pas certain que la menace pousse les électeurs à choisir le camp du premier ministre sortant. Les derniers sondages ne permettaient pas d'évaluer cet impact. Mais le rejet de la menace a également touché d'autres pays. Werner Faymann, chancelier autrichien, peu connu pourtant pour ses critiques à l'égard de Berlin, a vertement tancé la manœuvre allemande : « La population grecque a le droit de choisir son parlement et son gouvernement, comme elle le juge bon. La Grèce a tenu ses engagements dans le passé, pour moi il n'y a aucun doute qu'elle le fera aussi dans le futur. »

Réactions négatives en Allemagne

En Allemagne même, la réaction a été très négative. La presse de gauche a évidemment été très critique. La Une de la Taz de Berlin a ainsi titré lundi : « L'Oberkommando décrète: la Grèce doit économiser ; la Grèce doit encore économiser ; on doit pouvoir se payer la démocratie ; le vote pour les partis non autorisés est strictement interdit... » sur fond de photo du ministre des Finances Wolfgang Schäuble.

Mais même la presse conservatrice, traditionnellement proche du gouvernement, est très critique. A l'image de la Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Il n'est pas sûr que cela aide les conservateurs et affaiblisse la gauche », estime ainsi son éditorialiste. Enfin, la SPD allemande, partenaire de coalition d'Angela Merkel, s'est nettement désolidarisée de l'information parue dans Der Spiegel. Le représentant de l'aile droite du parti, Johannes Kahrs, lui aussi peu susceptible d'être jugé proche de Syriza, a mis en garde Angela Merkel et Wolfgang Schäuble qu'ils « n'auront pas de partenaires pour mener une telle politique européenne. »

Rétropédalage allemand

Bref, on comprend le rétropédalage rapide du gouvernement fédéral qui s'est retrouvé pris à son propre piège. Lundi, dans la conférence de presse hebdomadaire, le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, a dû répéter, un peu agacé que la position de l'Allemagne face à la Grèce « restait la même », sans plus de détail. Cet agacement montre que, en réalité, la droite allemande est très divisée sur ce sujet.

L'obsession de Wolfgang Schäuble pour le "Grexit"

Pour comprendre l'envers du décor, il faut revenir un peu en arrière. Depuis 2010, Wolfgang Schäuble souhaite, en excluant la Grèce de la zone euro, « faire un exemple ». Par deux fois, déjà, il l'a démontré. Lundi, dans la version numérique de Die Zeit, le vice-premier ministre grec Evangelos Venizelos a dévoilé que Wolfgang Schäuble aurait proposé aux Grecs le retour au drachme en novembre 2011, alors que George Papandréou, Premier ministre à l'époque, venait de proposer un référendum sur l'austérité. La Grèce a alors décliné l'offre.

Huit mois plus tard, alors que la Grèce votait pour la deuxième fois en un mois, le débat a été vif entre Angela Merkel et Wolfgang Schäuble autour du Grexit. C'est ce qu'expliquent deux journalistes allemands, Cerstin Gammelin et Raimund Löw, dans un livre paru début 2014, Europas Strippenzieher, (« Les marionnettistes de l'Europe », édition Ullstein). Angela Merkel, en juin 2012, a dû lutter contre son ministre des Finances pour le convaincre de ne pas contraindre la Grèce à sortir de l'euro. « Le point de vue de Schäuble est celui d'un juriste : il y a des règles claires, ceux qui les respectent sont dedans. Et pour défendre « son » Europe, il est prêt à se séparer de ceux qui ne respectent pas les règles », expliquent les deux auteurs. Déjà, à cette époque, Wolfgang Schäuble minimisait le risque de contagion grec pour mieux justifier le Grexit.

L'Europe, selon Wolfgang Schäuble

Il semble donc clair que l'information du Spiegel vient du ministère fédéral des Finances. Mais Wolfgang Schäuble joue à l'apprenti sorcier. Sa volonté de faire de la zone euro un club de « bons élèves » la fragilise en la rendant invivable pour la plupart des Etats membres. Il créé également un risque politique majeur dans la zone euro en obligeant à des ajustements dramatiques qui réduit à néant les systèmes politiques traditionnels. Du reste, la méthode Schäuble donne la priorité non au choix démocratique, mais au « respect des règles », autrement dit à une politique économique donnée. C'est donc à l'absence de choix économique au sein de la zone euro que tend la pensée de Wolfgang Schäuble. D'où ce « chantage » lancé ce week-end et qui a relancé des discussions sur le "Grexit".

La vraie question est le comportement d'Angela Merkel qui semble hésiter, calmant les ardeurs de son ministre, comme en 2012, ou, au contraire, le laissant menacer, comme ce week-end. Avant de le désavouer devant l'échec de la manœuvre... En réalité, si la situation grecque est confuse, la politique européenne de l'Allemagne est également très peu lisible. Le problème, c'est que c'est à Berlin que se dessine l'avenir de l'Europe...