La BCE va-t-elle fragmenter la zone euro ?

Par Romaric Godin  |   |  1031  mots
La BCE va-t-elle fragmenter la zone euro ?
La BCE veut laisser les banques centrales nationales racheter la dette de leurs propres pays. Mais les responsabilités des pertes seront-elles assumées nationalement ?

L'assouplissement quantitatif (QE) de la BCE commence à prendre forme. Le Spiegel de samedi a ainsi expliqué que Mario Draghi avait présenté un plan la semaine dernière à Angela Merkel et Wolfgang Schäuble pour leur « faire accepter » le QE. La clé ? Faire acheter par les banques centrales nationales les dettes de leur propre pays et leur faire assumer le risque. Ainsi, la Bundesbank ne serait en charge que du rachat de la dette allemande et ne serait responsable financièrement que sur cette dette-là.

Convaincre l'Allemagne

Cette solution est la conséquence de la décision de Mario Draghi d'abandonner l'opposition frontale avec l'Allemagne qu'il avait esquissée avec le discours de Jackson Hole et lors du mois de septembre. Comme jadis François Hollande, Mario Draghi a estimé qu'il se devait de trouver un compromis avec Berlin et la Bundesbank. Ce « QE à l'européenne » en est le fruit. L'influence allemande a amené à une réduction apparente de la solidarité interne entre les banques centrales nationales. Cette « fragmentation » du QE permet en effet d'identifier clairement les pertes et les gains réalisés dans ces opérations.

Partage des pertes

En réalité, la situation est plus complexe qu'elle n'en a l'air. L'Eurosystème est, par nature, un système de partage du risque. Les bénéfices ou les pertes sont constatées, selon l'article 33 du traité de fonctionnement de l'UE, au niveau de l'ensemble de l'Eurosystème. Bref, cette « fragmentation » ne serait qu'une concession de pure forme accordée à l'Allemagne par la BCE. Les effets du QE seront bien, au final, mis en commun. C'est ce que certains analystes anglo-saxons avancent. Et en effet, en cas de pertes, l'article 33.2 du TFUE précise qu'elles seront compensées par le fonds de réserve général de la BCE, autrement dit de l'argent provisionné par la BCE sur ses bénéfices passés. Donc de l'argent commun. Ce montant s'élevait en 2013 à 7,5 milliards d'euros selon le rapport annuel de la BCE de cette année.

Là où l'affaire se corse...

Jusqu'à cette somme (qui a peut-être été encore augmentée en 2014), la solidarité va donc demeurer, même si c'est une solidarité indirecte, via la BCE et qui ne coûtera pas un centime aux contribuables des Etats membres. Le problème intervient si les pertes sont supérieures à cette somme. L'article 33.2 précise alors que « après décision du conseil des gouverneurs, les pertes seront couvertes par les revenus monétaires de l'exercice financier concerné au prorata et jusqu'à concurrence des montants alloués aux banques centrales nationales conformément à l'article 32.5. » Dans ce cas, la participation aux pertes est proportionnelle à la clé de répartition du capital de la BCE. Mais le diable est dans le détail et dans le « après décision du conseil des gouverneurs. » Autrement dit, le conseil des gouverneurs peut modifier la clé de répartition des pertes et, dans ce cas, l'Allemagne peut exiger de ne pas payer pour les « pertes des autres. »

Les deux options

Le Spiegel ne dit pas si le QE est soumis à un tel accord mais c'est en réalité la vraie question. Car si l'on s'en tient à l'article 33.2, chaque banque centrale restera en partie responsable des pertes des autres, il n'y aura là pas de différence avec un QE réalisé par la BCE elle-même. Mais alors pourquoi avoir « nationalisé » les rachats ? Si, en revanche, les banques centrales nationales n'assument pas les pertes des autres, autrement dit, si chaque gouvernement est, in fine, responsable des pertes sur l'achat de sa propre dette, l'effet de la politique de la BCE pourrait être contre-productive. Dans une union monétaire, ceci reviendrait à réduire fortement l'incitation pour la banque centrale et le gouvernement à entrer dans le QE. Car, selon les plans du Spiegel, les banques centrales nationales ne pourront pas racheter plus de 25 % de la dette nationale et que, in fine, la dette devra bien être remboursée par les Etats. En cas de pertes majeures, ces dernières devront donc être assumées par les contribuables. Si ce sont les seuls contribuables nationaux, le QE sera clairement inefficace.

Y a-t-il un risque que le fonds de réserve soit épuisé ?

La BCE peut certes espérer que le « coussin de protection » du fonds de réserve sera suffisant pour éponger des pertes éventuelles. Le Spiegel évoque un montant de 550 milliards d'euros pour le QE au total. Il faudrait donc des pertes générales de 1,4 % environ (les fameux 7,5 milliards d'euros)  pour que ce fonds de réserve soit dépassé. Autrement dit, ce fonds semble très insuffisant. Encore une fois, comme dans le cas de l'union bancaire ou du MES, la solidarité pourrait donc n'être que limitée à des montants réduits et la protection du contribuable allemand est la seule ligne de conduite de la politique de la zone euro.

Quelle efficacité ?

L'efficacité du QE peut donc être affectée par cette mesure, certaines banques centrales de pays très endettées pouvant hésiter à se lancer dans une politique de rachats massifs qui pourrait, in fine, alourdir la dette de leur Etat. Mais là aussi, la question est plus complexe qu'elle n'y paraît. Car un QE fragmenté est aussi un QE « ciblé. » Certains pays ont, en théorie, plus besoin de QE que d'autres : en Grèce, un rachat de dette publique peut ainsi favoriser la liquidité toujours tendue du système bancaire. Mais c'est aussi la dette la plus risquée pour la banque centrale...

Une bonne idée ?

Mais en réalité, cette décision est contestable à plus d'un titre. D'abord, ce week-end, la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) indiquait que la Buba pourrait n'être pas franchement convaincue par ce plan, s'inquiétant notamment de la non-efficacité annoncée du QE. Ensuite, cette « fragmentation » renvoie une image a minima de l'union monétaire au moment même où reviennent les rumeurs de sortie de la Grèce de la zone euro. Elle fragilise l'union monétaire en en faisant une union basée sur des responsabilités uniques des Etats, sans réelle solidarité interne.