La Grèce face à la menace de la BCE

La Banque centrale européenne (BCE) a rappelé que sans accord avec la troïka, elle coupera l'aide à la liquidité d'urgence des banques grecques, provoquant le "Grexit." Mais a-t-elle les moyens de ses menaces ?
La BCE osera-t-elle le Grexit ?

A quel jeu joue donc la BCE ? Jeudi dernier, les services de Mario Draghi ont fait savoir, par une déclaration à la presse, que l'aide à la liquidité d'urgence du secteur bancaire grec était soumis au « succès d'un accord entre les autorités grecques et la troïka. » Certes, cette condition n'est pas nouvelle. La BCE a toujours soumis l'accès au programme ELA (Emergency Liquidity Assistance) au respect des décisions prises par la troïka, dont, rappelons-le, elle est, comme le FMI et la Commission européenne, un membre à part entière. Néanmoins, encore une fois, la BCE semble déterminée, comme dans les cas irlandais et chypriote, à utiliser l'ELA comme une arme contre un gouvernement ou un parlement élu afin d'imposer ces vues.

Ce qu'est l'ELA

Car, malgré ses rodomontades médiatiques, le gouvernement allemand n'a pas directement les moyens de provoquer la sortie de la Grèce de la zone euro, le fameux Grexit. Seule la BCE le peut réellement, via l'ELA. Du moins en théorie. Rappelons ce qu'est l'ELA sur le papier : lorsqu'une banque jugée solvable à des difficultés de liquidités « temporaire », elle peut demander de la liquidité en urgence à sa banque centrale nationale sous forme de prêts. Cette dernière, avec l'accord de la BCE, accorde ces fonds qui viennent combler des besoins que les opérations monétaires classiques de la BCE ne peuvent remplir, souvent aussi parce que les banques n'ont pas les collatéraux nécessaires. En réalité, l'ELA a changé de nature avec la crise. Elle est devenue un moyen pour les banques centrales nationales de tenir à bout de bras un système bancaire défaillant.

Ce qu'est devenu l'ELA

Les notions de « temporaire » et de « solvable » sont donc devenues très relatives dans les cas irlandais et chypriotes. Mais si la BCE a fermé les yeux, c'est pour pouvoir brandir l'épée de Damoclès de la coupure du robinet lorsque la politique du pays ne lui convient pas. La lettre de l'ELA a été oubliée pour servir de moyen de pression sur les gouvernements. Ainsi, en novembre 2010, la BCE a explicitement menacé le gouvernement de Dublin de lui couper l'ELA s'il ne se soumettait pas au plan de la troïka. En mars 2013, la BCE a recommencé après le rejet par le parlement chypriote du premier plan de sauvetage et a menacé de couper l'ELA aux banques chypriotes si le parlement n'acceptait pas les nouvelles conditions européennes. C'est ce type de menaces que la BCE tente de répéter cette fois avant les élections grecques.

Rendre la démocratie sans objet

Quelle est le but de la manœuvre ? Contraindre le prochain gouvernement grec, quel qu'il soit, d'accepter les conditions de la troïka. Sinon, prévient-on à Francfort, siège de la BCE, les banques grecques n'auront plus accès à l'ELA. Or, selon les chiffres de la Banque de Grèce, le système bancaire grec dépend encore, chaque mois, pour près de 10 milliards d'euros d'aide à la liquidité d'urgence. Si ce robinet venait à se tarir, les banques grecques seraient en difficulté pour réaliser leurs opérations quotidiennes. Ceci pourrait provoquer un mouvement de panique et de retrait des fonds par les déposants qui conduiraient à des besoins de liquidités encore plus élevés et, in fine, à une faillite du système bancaire. Déjà, selon Kathimerini, les dépôts dans les banques grecques auraient baissé de 3 milliards d'euros en novembre et en décembre, et le mouvement se serait accéléré en ce début de janvier. Pour éviter l'asphyxie, le gouvernement n'aurait alors d'autres options que d'imprimer sa propre monnaie, de cesser le cours légal de l'euro et de mettre en place des contrôles de capitaux. Bref, ce serait le Grexit.

Ultimatum de la BCE ?

La BCE ne laisse donc aucun choix au futur gouvernement hellénique, quel qu'il soit : soit il se soumet à la troïka, soit il sort de l'euro en catastrophe. Autrement dit, Syriza ou pas, la BCE veut s'assurer que la politique financière et politique de la Grèce sera la même après le 25 janvier. Se réconciliant sur ce point avec l'Allemagne, la BCE cherche donc à faire de la zone euro un club strictement réservé aux « bons élèves obéissants », comme en rêve Wolfgang Schäuble. Mais cette stratégie a-t-elle la moindre chance de fonctionner ? Rien n'est moins sûr.

Les précédents ne sont pas comparables

D'abord, il n'est pas sûr que la BCE « ose. » Certes, elle a montré de la fermeté dans le cas chypriote. Mais ce dernier est si particulier, et l'économie chypriote si petite (17 milliards d'euros) qu'il ne peut s'agir réellement d'un précédent. Du reste, le vote du parlement chypriote était assez aisé à obtenir par le ralliement d'un parti ou de quelques députés et le président, favorable à la troïka, venait d'être élu. La situation est donc différente. En Grèce, il n'est pas certain que si Syriza parvient au pouvoir, Alexis Tsipras soit si aisé à convaincre de poursuivre la politique d'Antonis Samaras par une simple menace sur l'ELA. A la différence des cas chypriotes et irlandais lorsque la BCE a exercé son « chantage », la Grèce a déjà subi l'épreuve de l'austérité et, si le pays décidait de changer de politique, on voit mal le nouveau gouvernement renoncer à tout. Le bras de fer est donc autrement plus sérieux.

L'abandon de la politique de l'été 2012

Or, si la BCE décide d'aller plus loin et de couper l'ELA à la Grèce, donc de provoquer le Grexit, ce serait suicidaire. Il y aurait là un abandon pur et simple du principe prononcé par Mario Draghi en juillet 2012 pour sauver l'euro, le fameux « whatever it takes » (« quoi qu'il en coûte »). Dès qu'un pays aura quitté de force, sous la pression de la BCE, la zone euro, ce mot n'aura plus de sens. Les investisseurs seront alors amenés à réévaluer leurs risques dans l'UEM, notamment sur d'autres pays périphériques, actuellement artificiellement bon marché (Portugal, Slovénie...). Le spectre de la crise de la dette reviendra et contraindra alors la BCE à racheter massivement de la dette des pays concernés, au risque de provoquer l'ire de la Buba, de la Cour de Karlsruhe et de Berlin.

Obtenir une majorité

Surtout, la conjoncture ne serait pas insensible à un Grexit. Les réactions des marchés en début de semaine dernière l'ont prouvé : une sortie de la république hellénique de la zone euro n'est pas anodine. Au moment où la BCE tente de sortir cette même zone du risque de déflation, elle menacerait de l'y jeter à nouveau. L'aversion au risque achèverait de déprimer les agents économiques. Il n'est donc pas sûr que Mario Draghi trouve au conseil des gouverneurs de la BCE une majorité des deux tiers nécessaires pour couper l'ELA. Huit gouverneurs sur les 21 (15 gouverneurs de banque centrale nationale en rotation et les six membres du directoire) qui disposent du droit de vote seraient suffisants pour empêcher une telle décision. Les gouverneurs « modérés » et ceux des pays périphériques pourraient bloquer une telle décision.

Facture pour la BCE et les banques centrales nationales

Enfin, la facture d'un Grexit pour la BCE serait importante car elle détient un montant important de dettes publiques grecques acquises via les programmes de rachat de ces dernières années. En tout, près de 70 milliards d'euros. Si la BCE expulse la Grèce de la zone, Athènes réagira sans doute par un défaut unilatéral partiel sur sa dette. Ce ne serait que justice face à la violence de l'expulsion. Dès lors, la BCE devra ou monétiser ses pertes ou faire appel aux gouvernements de la zone euro pour faire face à ce défaut. On conçoit que ces deux solutions ne réjouissent guère les autres gouvernements de la zone euro qui auront eux aussi à essuyer des pertes. Là encore, la construction de l'euro se retrouvera face à de graves défis. Des défis que la BCE cherchera sans doute à éviter à tout prix.

Que cherche la BCE ?

En réalité, la BCE cherche d'abord à faire peur aux futurs dirigeants grecs. D'où le double discours puisque, alors même que la BCE rappelait sa position sur l'ELA, Benoît Coeuré, membre français du directoire de la BCE, rejetait toute discussion sur le Grexit comme « insensé. » Il s'agit surtout pour l'institution de Francfort d'impressionner pour donner un avantage à la troïka dans les futures discussions qui suivront l'élection du 25 janvier. La BCE cherche moins à imposer les vues actuelles de la troïka qu'à imposer un accord avec la troïka. Un accord dans lequel le futur gouvernement hellénique devra faire des concessions. D'où le rappel aux futurs gagnants des élections de l'existence de cette épée de Damoclès. Ayant peu de chances de peser dans le débat démocratique grec, la BCE tente d'atténuer l'impact du vote. Mais le futur chef du gouvernement grec sait aussi que cette épée est à double tranchant : autant dangereuse pour la BCE que pour Athènes...

Commentaires 23
à écrit le 20/01/2015 à 11:00
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marre de payer pour ces pays qui ne font pas de réformes, qui dépensent plus qu'ils ont de recettes, avec des administrations en dessous de tout !!! tiens mais c'est aussi le cas de la france !!

à écrit le 19/01/2015 à 14:22
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Romaric est toujours aussi prévisible , que de talent perdus ???????????

à écrit le 19/01/2015 à 8:41
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Ce n'est plus amusant de constater que les journalistes prennent le problème à l'envers: c'est la BCE qui est sous la menace de la Grèce et non l'inverse. C'est la Grèce qui menace de faire délibérément défaut. Des lors, cet article est un tissu de b...

à écrit le 18/01/2015 à 12:36
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La situation politique en Grèce pourrait conduire la BCE a amplifier son assouplissement quantitatif, qui sera probablement annonce, en vue d'une sortie de la Grèce de la zone euro.

à écrit le 18/01/2015 à 11:07
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y a aucune menace, y a responsabilisation; la banque grecque pourra imprimer de l'euro grec qu'elle remboursera elle meme , et si les grecs ne tiennent pas leur parole, ils auront plein d'inflation CHEZ EUX et finiront ruines ( et l'euro grec sera tr...

à écrit le 18/01/2015 à 10:32
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Tant que l'on se posera des questions sur l'euro aucune confiance ne reviendra... il faut décentraliser la BCE!

à écrit le 18/01/2015 à 10:19
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La Grèce est un pays bordélique qui doit être réorganisé. Ils peuvent trouver du pognon en verbalisant par exemple toutes les infractions au code de la route. Ceux qui connaissent le pays ont pu constater par exemple que les Grecs font n'importe quo...

le 18/01/2015 à 10:35
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Il faut avoir les moyens de payer les infractions ou vous arrêtez toute circulation des biens et des personnes sur le territoire en arrêtant le commerce!

le 18/01/2015 à 11:09
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ils ne payent pas leur ticket de metro ( offert par l'europe, de memoire), ne mettent pas de toit a certaines partie d'habitation ce qui les exonere de taxe d'habitation, ils ont des chauffeurs de taxi qui touchent l'allocation d'invalidite pour ceci...

le 18/01/2015 à 13:25
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@non mais: 1) ne pas avoir d'argent ne donne pas le droit de faire n'importe quoi et en paticulier de mettre la vie des autres en danger (dans le cas que j'ai cité). 2) si t'as pas les moyens de payer pour tes conneries, tu n'as pas le droit de condu...

le 18/01/2015 à 17:25
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@non mais: parce que le fait de ne pas acoir d'argent te permet de mettre la vie des autres en danger ? et tu paies commenbt la bagnole et l'essence si t'as pas d'argent ? Et devrait-on faire n'importe quoi en France sous prétexte qu'on est pas riche...

le 19/01/2015 à 9:31
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@non mais, 3e édition en raison de la censure de La Tribune: punir les infractions n'arrête pas la circulation des biens et des personnes, ni le commerce, bien au contraire !!! La Grèce est un pays qui appartient au Moyen-Orient plus qu'à l'Europe :-...

à écrit le 18/01/2015 à 9:54
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Notre prochaine une :des représentants de la Troïka avec des armes en billets de banque entrain de braquer des ouvriers dans des champs de patates .Avec comme petites bulles: on as trafiquer vos comptes pour prêter à vos dirigeants maintenant vous de...

à écrit le 16/01/2015 à 0:39
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Cette menace pourrait avoir pour effet le non remboursement total au lieu d'un étalement. Un perte totale...

à écrit le 15/01/2015 à 15:15
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Si la BCE coupe l’accès aux liquidités aux banques grecques, elle met la Grèce à genoux et en demeure soit de se soumettre en urgence à la tutelle de la troïka pour restaurer l’accès aux liquidités des banques grecques, soit de sortir de l’euro car l...

à écrit le 15/01/2015 à 12:56
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au restaurant, votre voisin de table qui vous voit vous offrir caviar et champagne alors qu'il a une pizza avec une biere est egalement source de menaces intolerables, pas vrai?

le 15/01/2015 à 14:03
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Churchill, il faut choisir un autre restaurant car caviar champagne et pizza ne vont pas ensemble.

à écrit le 15/01/2015 à 11:59
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Toujours des menaces. Les peuples doivent payer sinon retourner au temps des cavernes. Vite un exemple par le Grexit et le reste suivra. "Même pas peur" deviendrait-il un slogan des européens?

le 18/01/2015 à 10:53
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Des milliards d'Euro (bons du trésor grecs) sont à rembourser en mars... si les grecs ne veulent pas faire les efforts structurels nécessaires, libre à eux !! Mais libre à la BCE de refuser de payer à leur place !!

à écrit le 15/01/2015 à 9:38
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La BCE guidant le peuple.

le 18/01/2015 à 10:58
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Moi, je ne hurlé pas à la perte de liberté lorsque mon banquier m'informe que je doit rembourser mes mensualités d'emprunt en temps et en heure, et que si je ne fais aucun effort pour améliorer ma situation financière (Ben ouais, je lui est dit que b...

à écrit le 15/01/2015 à 9:37
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La BCE guidant le monde.

à écrit le 15/01/2015 à 8:12
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C'est le genre d'annonce qui ne n'est pas destiné a des responsables mais simplement a une population que l'on cherche a menacer par le biais des médias! Terrorisme?

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