Grèce : que veut l'Allemagne ?

Par Romaric Godin  |   |  1646  mots
Le ministre fédéral allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, est inflexible. Pourquoi ?
Le refus par Berlin des propositions grecques soulève cette question : pourquoi ? Revue des objectifs du gouvernement allemand dans cette partie de bras de fer...

Avant la réunion de l'Eurogroupe de ce vendredi, une question surgit irrémédiablement dans tous les esprits : que cherche l'Allemagne ? Le refus du compromis proposé par Athènes l'amène nécessairement. Aussi faut-il tenter d'y répondre.

L'objectif financier

La première hypothèse est celle des pertes financières. C'est la thèse utilisée la plus souvent, celle du « contribuable allemand. » Bild Zeitung, en début de semaine, titrait sur la perte des « 65 milliards d'euro » d'exposition de l'Etat allemand à la dette grecque. En France, on s'émeut régulièrement du « coût de l'annulation de la dette grecque. » Au-delà des polémiques sur ce coût, cette défense semble irrecevable. Syriza n'avait jamais réclamé d'annulation totale et le gouvernement Tsipras a renoncé à l'objectif d'un « haircut » (coupe dans le stock de dettes). Dans la lettre transmise hier à Jeroen Dijsselbloem, Yanis Varoufakis a souligné l'engagement d'Athènes à reconnaître ses engagements. Ceci n'exclut pas des aménagements dont Athènes veut parler pendant les six mois de prolongation de l'aide et qui seront, in fine, peu coûteux pour un contribuable allemand et qui toucheront sans doute quelques points de base d'intérêt en moins et un remboursement plus lissé. Mais n'oublions pas qu'aujourd'hui, la dette grecque au FESF doit déjà n'être remboursée intégralement qu'en 2056, celle aux Etats membres en 2041... Bref, le contribuable allemand n'y verra que du feu.

Un coût minime

Certes, il faudra faire un nouveau chèque à Athènes, sans doute une dizaine de milliards d'euros. Mais Yanis Varoufakis a été le premier à mettre en évidence l'absurdité d'une nouvelle dette européenne afin de rembourser les échéances de... la BCE. Ici, l'Allemagne est victime de ses principes. Si la BCE acceptait de repousser ce remboursement de 6,7 milliards d'euros prévus cet été, comme elle l'a fait en février 2013 pour l'Irlande, le chèque serait moindre. Et le risque équivalent. Enfin, ce chèque représente une dette indirecte, portée soit par le FESF, coquille vide représentant les Etats, soit par le MES, institution européenne. Dans les deux cas, le contribuable allemand garantit évidemment cette somme, mais ne contracte pas directement la dette. Il faudra un défaut pour qu'il paie (via la contraction d'une nouvelle dette). Enfin, la part allemande dans cette somme sera de 2,7 milliards d'euros, soit 1,3 % de la dette publique allemande. Un effort très supportable pour le pays. Et, rappelons-le, indolore compte tenu de la croissance des recettes fiscales allemandes et de celles des revenus des ménages, le tout s'appuyant sur un excédent courant qui ne se réduit pas et, qui, rappelons-le, n'est pas sans rapport avec la crise que vit la zone euro aujourd'hui.

Craindre moins les contribuables que les électeurs

Bref, si Berlin décidait d'accepter les conditions grecques, les contribuables allemands n'en seront pas moins pauvres ce week-end. Sauf que, évidemment, des forces politiques nouvelles ont émergé qui mettront l'accent sur ce nouvel engagement. Les Eurosceptiques d'Alternative für Deutschland (AfD), y verront un moyen de reprendre du poil de la bête sur le plan électoral, sans doute encore les Libéraux de la FDP. Bref, plus que les contribuables, c'est bien plutôt les électeurs que le gouvernement fédéral allemand cherche à ménager.

L'objectif de principe : le respect des « règles. »

Deuxième position : celui des principes. Dans son refus de la lettre grecque formulé jeudi 19 février au soir et rendus publics par plusieurs sources, on remarque l'utilisation à six reprises du terme « programme actuel » (« current programme »). La question est, pour le gouvernement fédéral, d'obtenir la réalisation et l'application de ce « programme. » On connaît l'argument : il y a des règles, il faut les respecter. Ceci est, cependant, un faux problème. Ce fameux « programme » a déjà été modifié à plusieurs reprises, et de façon substantielle, puisqu'il reposait sur des hypothèses économiques absurdes en termes d'effet des mesures d'austérité sur la croissance. En novembre 2012, on a donc revu de fond en comble le programme de mars 2012. Mieux même, ce programme de mars 2012 annulait en fait un précédent programme, établi en 2010, et qui avait si bien échoué qu'on avait dû procéder à la restructuration de la dette privée.

En réalité, dans une négociation entre créanciers et débiteurs, les « règles » sont fort mouvantes et dépendent de la situation du débiteur. Rien n'est moins commun que la révision des conditions de remboursement et des programmes qui les accompagnent. L'histoire des dettes des pays en développement le prouve, celle de l'Allemagne qui a demandé régulièrement entre 1919 et 1953 des réaménagements également.

Rappelons que la Grèce n'enfreint actuellement pas davantage les traités européens que l'Allemagne. Son déficit budgétaire est revenu dans les clous de Maastricht, sa dette publique est supérieure à 60 % du PIB, comme celle de l'Allemagne, et aucune ligne des traités européens obligent les pays à respecter des règles signés entre un Etat membres et ses créanciers. Les faillites partielles de la Grèce de 2011 et 2012 le prouvent. Bref, l'argument juridique avancé sans cesse par les Allemands ne tient pas davantage que celui de la défense du contribuable.

Accepter la responsabilité du créancier

Du reste, l'argument du principe et de la morale pourrait être renversé. Rappelons que tout créancier est responsable de ses engagements et que, lorsqu'il a accordé un prêt, il doit en assumer le risque. C'est, du reste, ce qu'Angela Merkel avait affirmé en 2011 pour justifier les coupes imposés aux créanciers privés : « vous avez pris des risques, payez-en le prix. » En « sauvant » la Grèce en 2010 par une augmentation de l'exposition du contribuable allemand, Angela Merkel et Wolfgang Schäuble, ont surtout permis aux banques allemandes de vendre leurs expositions à la dette grecque. C'est un choix politique qui était risqué puisque basée sur des hypothèses de croissance erronée. Que ces erreurs fussent de bonne ou de mauvaise foi, peu importe. Le gouvernement allemand a même persévéré, l'a imposé contre la volonté du gouvernement grec de George Papandréou qui, en novembre 2011, a tenté de soumettre cette politique à référendum, l'a renouvelé en mars 2012. Bref, il y a eu prise de risque. Il est donc moralement logique qu'Angela Merkel et Wolfgang Schäuble en assument les conséquences devant leurs mandants, autrement dit le contribuable allemand. Or, leur politique est plutôt celle de la fuite en avant et de la transmission du problème du remboursement de la dette grecque, qui se représentera, aux fameuses « générations futures » qu'ils prétendent protéger...

L'objectif politique

Dernière raison : elle est politique. Dans cette affaire, l'Allemagne cherche absolument à faire un exemple. Là encore, le document de motivation du refus de la réponse grecque est sans équivoque. Elle parle de « cheval de Troie. » On peut comprendre ce terme de deux façons. La première est que la proposition grecque permet in fine au gouvernement grec de respecter certaines de ses promesses électorales dans le cadre du programme. La deuxième est que, si l'on cède, le cas grec pourrait faire école et devenir le « cheval de Troie » d'une remise en cause de l'austérité au niveau européen.

L'architecture de la zone euro

Wolfgang Schäuble est l'artisan de la nouvelle gouvernance européenne mise en place après 2011 et qui s'appuie sur les directives Two-Pack, Six-Pack, sur le semestre européen, sur le traité instaurant le pacte budgétaire. La zone euro ainsi redéfinie établit comme priorité la stabilité budgétaire. Toute remise en cause de cet ordre ainsi établi représente, du point de vue allemand, le danger d'une nouvelle crise de la dette. Il y a donc nécessité de briser dans l'œuf toute tentative de modifier cette logique. Le combat devient alors politique. Il s'agit de montrer aux électeurs des pays européens qu'il est impossible de disposer de l'euro et de mener des politiques de relance ou des politiques économiques alternatives à celles promues désormais par les structures de la zone euro.

Vider le programme politique de Syriza

Il faut donc absolument non seulement faire un exemple dans le cas grec en prouvant que ces politiques sont impossibles. Voici pourquoi les concessions grecques, qui cherchent évidemment à ménager des marges de manœuvre pour l'application du programme de Syriza, ne peuvent satisfaire Berlin. Ce qu'il faut, c'est réduire à néant ce programme. Voici la vraie raison de l'attachement allemand au « programme actuel. » Il s'agit de montrer que l'élection du 25 janvier n'a absolument rien modifié. Qu'elle est neutre et n'a pas eu d'impact. Hier, dans le texte du refus allemand, on aura ainsi pu remarquer que Berlin posait deux conditions à son feu vert : que le gouvernement grec accepte le programme actuel en reprenant in extenso trois phrases dictée par le gouvernement fédéral et que ce gouvernement renonce aux « lois votées par le parlement cette semaine » concernant les mesures sociales et la hausse du salaire minimum.

Accepter la culture de stabilité ou sortir

L'objectif principal qui semble conduire le comportement allemand est donc celui d'une réduction à néant du programme de Syriza. Ainsi, l'architecture de la zone euro ne sera plus jamais menacée. Le choix qui se dissimule derrière cette détermination est moins un déni de démocratie qu'une mise au pas de la zone euro. Le choix pour les électeurs est alors, soit de rester dans la zone euro en acceptant la « culture de stabilité allemande », soit d'en sortir pour mener d'autres expériences. C'est la raison pour laquelle le sort de la zone euro se joue ce vendredi.