Internet fera-t-il la présidentielle de 2007 ?

La présidentielle 2007 devrait marquer une étape dans l'usage d'Internet sur le terrain politique. S'agira-t-il d'une avancée démocratique où les citoyens auront accès à un débat totalement ouvert? Ou au contraire, les multiples lieux et moments d'expression du Net organiseront-ils l'impossible confrontation de points de vue contradictoires?

"La télévision fait-elle l'élection?", s'interrogeaient les spécialistes américains de sociologie politique, quand, au tournant des années 60, le petit écran est devenu média de masse. Le premier débat télévisé opposant Nixon et Kennedy en 1960 est resté dans les annales comme l'avènement d'une nouvelle ère: désormais, dans l'arène politique matérialisée par le plateau de télévision, les candidats s'affrontaient, sous l'oeil des millions de citoyens spectateurs, désignant, à l'issue du combat, leur champion.

Cette réunion publique simultanée et en direct à l'échelle nationale, bien que finalement très récente dans l'histoire des démocraties, a fini par apparaître comme la quintessence même de la confrontation, qui concourt à la formation de l'opinion majoritaire. La page n'est pas définitivement tournée. Le dernier scrutin italien a donné lieu, à l'occasion des débats télévisés entre Prodi et Berlusconi, à de multiples commentaires sur leurs performances respectives, leurs coups d'éclat...

Mais l'usage d'Internet bouleverse radicalement la donne. A moins que ce ne soient les citoyens qui s'emparent de la Toile, lassés de jouxtes ritualisées, formatées par les gourous communicants, où chaque candidat vient délivrer un message au vocabulaire soigneusement pesé, dont doit émerger "la petite phrase" pour les journaux du lendemain...

Qui, de l'outil Internet ou de ses utilisateurs, provoque le changement? Les deux sans doute, comme à chaque rupture. Quoi qu'il en soit, il est en marche. Lors de la campagne pour le référendum européen, les débats les plus riches se sont tenus sur les blogs de citoyens engagés, pour le Oui ou pour le Non.

Depuis, la classe politique a compris la nécessité de labourer ce terrain là. Comme un simple canal de communication dont il faut maîtriser les nouveaux rouages, à l'instar de l'UMP de Nicolas Sarkozy, qui sait acheter sur Google les mots-clés qui peuvent drainer du trafic vers le site de l'UMP. Ou encore du PS qui se sert du Net pour attirer des adhésions à prix cassé. Mais aussi comme une tribune: pas un "présidentiable" qui n'ait son blog, sauf - signe d'un certain archaïsme? - aux extrêmes droite et gauche.

La plus en vue des présidentiables a même formé le projet d'écrire son programme sous l'oeil (critique?) de la communauté des internautes. Plutôt que le livre profession de foi qu'elle avait annoncée, Ségolène Royal a décidé de publier dix chapitres sur son site, et de ne les éditer qu'une fois intégrées les réactions des internautes.

On ignore encore ce que produiront ces chantiers démocratiques. De fait, créer une plate-forme sur le Net n'a pas forcément la vertu d'une agora athénienne, d'où le consensus émergerait de l'assemblée citoyenne. L'expérience du ministère de la Culture avec son site lestelechargements.com, censé permettre le débat sur le projet de loi "droit d'auteurs" (DADVSI), a démontré que l'initiative a surtout attiré les critiques des opposants au texte, qui pour développer leurs arguments, se sont réfugiés sur un site concurrent, lestelechargements.fr. Un dialogue de sourds, où chacun se renforce dans son point de vue plus qu'un débat fructueux. L'exemple semble donner raison aux pessimistes qui craignent que ces lieux de débats éclatés, désynchronisés, qui ne rassemblent jamais la collectivité des citoyens dans son ensemble, n'aboutissent à la perte progressive du lien social qui naît de la rencontre, de la confrontation des différences, à un repli communautaire, idéologique... dangereux pour la démocratie.

A l'inverse, les optimistes se réjouissent de ces voies ouvertes à la participation citoyenne, à la possibilité donnée à chacun de s'informer, de discuter sans être nécessairement un militant encarté. Ils y voient le remède à la désaffection pour la vie politique et à la lassitude pour la classe de ses professionnels.

Il est trop tôt pour savoir qui a raison. Mais il est temps d'observer de près les stratégies Internet des uns et des autres, l'activité et l'interactivité pré-électorales de la Toile. Nul doute qu'en 2008, les politologues tenteront de répondre à la question: "Internet a-t-il fait l'élection?".

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.