Industrie automobile : comment rebondir ?

Par Emmanuel Sartorius *  |   |  1261  mots
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Alors que l'industrie automobile française, et notamment PSA Peugeot-Citroën, semble malade, notre contributeur, Emmanuel Sartorius, ingénieur général des Mines et interlocuteur privilégié de Bercy, estime que la reprise de ces sociétés ne passera que par un soutien gouvernemental, une restructuration de fond, et des investissements massifs en recherche -développement...

Depuis une quinzaine d'années, l'industrie automobile mondiale connaît une mutation sans précédent. Elle doit faire face à cinq grands défis : l'émergence de nouveaux marchés (l'Asie, tirée par la Chine, représente aujourd'hui la moitié du marché mondial de l'automobile) ; la nécessité pour un constructeur de jouer désormais à l'échelle mondiale ; la multiplication des gammes de produits et l'apparition de nouveaux types de véhicules comme les crossovers ; l'écrasement du milieu de gamme tiraillé entre modèles premium, qui baissent en taille, et marques low cost ; enfin contraintes environnementales de plus en plus sévères et le défi de l'après-pétrole qui imposent une R&D importante sur les groupes motopropulseurs. La réponse à chacun de défis exige d'un constructeur automobile qui veut rester présent dans la compétition mondiale des ressources considérables, tant humaines que financières.

Il faut ajouter à cela qu'une voiture reste un objet lourd et encombrant. Les flux d'exportations d'un continent à l'autre restent donc faibles. La production automobile mondiale s'organise en fait par grandes plaques géographiques : Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud et Asie. La dynamique de ces zones est au demeurant très différente de l'une à l'autre : alors que le marché de l'Asie connaît une croissance annuelle de près de 30 %, celui de l'Europe, mature et saturé, subit, lui, une décroissance annuelle de 5 à 6 % depuis 2007.

Des gammes déclinées et produites par zone géopgraphiques

L?avenir des constructeurs généralistes, comme PSA, Renault ou Volkswagen, dépend donc de leur capacité à développer des gammes déclinées et produites par zone géographique, mais qui permettent d?amortir les coûts de développement et de bénéficier d?économies d?échelle sur les achats, par allongement des séries.

A cet égard, la comparaison entre Volkswagen et PSA est frappante. En chiffres ronds, la firme allemande réalise la moitié de ses ventes en Europe, un tiers en Asie et un sixième en Amérique (plus ou moins à égalité entre Nord et Sud). Par contraste, PSA réalise 60 % de ses ventes en Europe, 10 % en Asie, 10 % en Amérique latine (plus 20 % de divers), mais rien en Amérique du Nord. Ajoutons à cela que le marché européen du milieu de gamme est l'un des plus concurrentiels qui soit : tous les constructeurs mondiaux y sont présents : européens, évidemment, mais aussi japonais et coréens et même américains, au travers bien sûr de leurs filiales européennes historiques (Ford, Opel), mais de plus en plus directement (Chevrolet).

Des économies d'échelle difficiles pour PSA

Par ailleurs, l'industrie automobile est une industrie à économies d'échelle prononcées. Or PSA n'est plus aujourd'hui que le 8ème constructeur mondial, avec une taille qui est à peu près la moitié des quatre premiers mondiaux (GM, Volkswagen, Toyota et Renault-Nissan), qui sont dans la classe des 8 à 9 millions de voitures par an. Cette petite taille pénalise PSA : alors que sur la période 1999-2011 Volkswagen n'a consacre qu'un peu moins de 10 % de son chiffre d'affaires à la R& D, PSA y a mis près de 12 % du sien et, pourtant, là où la firme allemande disposait chaque année de 9 G?, la firme française ne disposait que de 4,3 G?. De même, Volkswagen a mis en place une politique de modules, très en avance sur celle des constructeurs français.

Sa plateforme MQB sert de base à 4 millions de véhicules par an (marques Audi, SEAT, ?koda et Volkswagen), soit plus que toute la production de PSA. Elle lui ferait économiser 20 % sur ses coûts et 30 % sur ses heures d'ingénieurs, réinvestis dans la recherche, l'outil de production et l'élargissement de la gamme. Volkswagen se sert aussi des bénéfices qu'il dégage en Chine et aux Etats-Unis pour mener en Europe une politique de prix agressive qui asphyxie ses concurrents européens qui n'ont pas de présence significative sur ces deux grands marchés mondiaux.

Des moyens considérables pour la recherche-développement

L'avenir des constructeurs français passe donc par un effort soutenu de R&D et par le développement de capacités de production sur les marchés porteurs. Cela suppose pourtant des moyens financiers considérables : une usine d'une capacité de production annuelle de 300 000 voitures (soit 1 % de part de marché en Chine) représente un investissement compris entre 500 M? et 1 G?. La situation des deux constructeurs français est, de ce point de vue, fondamentalement différente.

Celle de Renault est un peu en trompe-l'?il : le constructeur au losange, dont la production automobile en France n'est plus que de 500 000 voitures par an, bénéficie des importants dividendes que lui verse son partenaire japonais Nissan, mais qui l'écarte en même temps du marché chinois. Il a donc des ressources financières, mais est barré de certains marchés. PSA, en revanche, est plus libre de ses mouvements, mais ne peut compter que sur ses propres forces, limitées depuis la vente des bijoux de famille en 2012 (GEFCO, siège de l'avenue de la Grande Armée). Il ne semble d'ailleurs pas que l'alliance conclue avec GM en 2012 lui ait ouvert de nouveaux marchés ou donné accès à des capacités de production existantes du constructeur américain.

Internationaliser les PME fragiles

Au-delà des constructeurs automobiles eux-mêmes (200 000 salariés en France), l'ensemble de la filière automobile française (200 000 autres personnes qui se répartissent entre l'amont (équipementiers et leurs sous-traitants) et l'aval (concessionnaires, garagistes, ...) dépend de leur bonne santé.

Au vrai, le monde des équipementiers français est disparate. Il dispose de quelques entreprises de classe internationale (Faurecia, Michelin, Plastic Omnium, Valeo), mais aussi de nombreux sous-traitants de rang 2, 3, voire plus, qui sont des PME ou des ETI souvent fragiles. Avec le soutien des pouvoirs publics, notamment du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), ces dernières doivent réduire leur dépendance vis-à-vis des constructeurs nationaux et s'internationaliser.

Adapter l'outil industriel national

L'avenir de la filière automobile française est-il sombre pour autant ? Pas nécessairement, mais le redressement passe par une adaptation de l'outil industriel national. L'exemple américain est là pour le montrer : en 2007 Ford, GM et Chrysler étaient au bord du gouffre. Avec le soutien du gouvernement, ils ont massivement restructuré (18 usines fermées en 6 ans) et se retrouvent aujourd'hui en bonne santé. Cette adaptation doit viser à la fois à maintenir un niveau minimum de production sur le territoire national évalué à 2 millions de véhicules par an, garant du maintien de capacité industrielle retour à la rentabilité des constructeurs nationaux, mais aussi à éliminer les surcapacités.

Toutes les études indépendantes (Alix Partners et Roland Berger, notamment) montrent clairement que les usines françaises sont en sous-charge. Leur taux d'utilisation moyen serait aujourd'hui de 62 %, alors que l'équilibre économique se situe vers 75 ou 80 %, ce qui veut dire environ 20 % de capacité excédentaire. Ce n'est qu'au prix de la réduction de cette surcapacité que les constructeurs français dégageront à nouveau des bénéfices qui leur permettront d'investir dans les marchés porteurs et d'enclencher ainsi un cercle vertueux, qui leur permettra de consolider leur base nationale.


*Emmanuel Sartorius est ingénieur général des Mines, membre Conseil Général de l'Economie, de l'Industrie, de l'Energie et de Technologies, et auteur du rapport d'audit sur l'usine PSA d'Aulnay pour le Ministère du redressement productif.