Le "J'aime l'entreprise" de François Hollande à Davos

Par Philippe Mabille, à Davos  |   |  1376  mots
En France, le chef de l’État a aussi annoncé des investissements publics importants pour renforcer la sécurité de tous et sans prononcer le mot "apartheid" employé par son Premier ministre Manuel Valls, affirmé que l'Etat mettra des moyens pour lutter contre la ségrégation urbaine, "terreau de la radicalisation religieuse".
A Davos, François Hollande a appelé les États et les entreprises à coopérer pour fournir une réponse globale aux menaces posées par le terrorisme et le réchauffement climatique. Il aime tellement les entreprises qu'il les invite à trouver avant le mois de juin 90 milliards d'euros pour abonder le fonds vert de financement des infrastructures de la transition énergétique. Enfin, il promet que le geste de la BCE ne conduira pas la France à différer les réformes.

Premier président socialiste à s'exprimer ce vendredi 23 janvier 2015 au forum économique mondial de Davos, François Hollande "a fait le job", de l'avis des très nombreux patrons français présents dans la station suisse des Grisons pour l'écouter.

Certains attendaient même une standing ovation pour manifester la solidarité mondiale après les attentats terroristes des 7 et 9 janvier à Paris. Elle n'a pas eu lieu, sans doute parce que le discours très complet, mais aussi très long du chef de l'Etat, qui s'est exprimé en français, a fini par endormir une salle qui lui était plutôt acquise.

Comme par un clin d'œil du ciel, l'objet principal de sa venue étant la préparation de la conférence de Paris sur le réchauffement climatique, l'arrivée du président de la République a été ralentie le matin par la neige qui a fini par tomber en cette fin de semaine dans les Alpes suisses, décalant de trois heures un discours très attendu. Au lieu de prendre l'hélicoptère prévu, le chef de l'État a dû supporter dans une limousine les 2 heures et demi de route de montagne qui conduisent au pied de la montagne magique de Thomas Mann. La même mésaventure était arrivée à Jacques Chirac, qui s'était exprimé en vidéo conférence depuis Zurich.

Après un déjeuner avec des grands patrons internationaux, et avant une rencontre avec des jeunes du monde entier que l'on appelle ici les "global shapers", François Hollande a organisé son intervention en trois temps : la lutte contre le terrorisme et ses causes, l'urgence d'un accord sur le climat, et enfin la défense et illustration d'une France qui se réforme, même si ce n'est pas vraiment l'image qu'on en a vu d'ailleurs.

"Il y a des moments dans l'histoire où des défis globaux appellent des réponses courageuses".

François Hollande a tenté de relier entre eux tous les problèmes auxquels le monde est confronté, du terrorisme à la relance économique en passant par le climat.

Co-responsabilité dans la lutte contre la terreur

Sur la menace terroriste, le président a été offensif, insistant sur la responsabilité des États, qui doivent agir pour mettre fin à des conflits qui constituent le terreau de l'extrémisme islamiste, que ce soit au Moyen Orient, en Irak, au Yémen, ou en Afrique.

Selon lui, la réponse doit être "globale, internationale et partagée", même si la France continuera d'assumer sa part. Il a aussi mis l'accent sur le rôle des entreprises, appelant "les forces vives de l'économie mondiale pas simplement à la vigilance, mais aussi à l'engagement": les entreprises du numérique, notamment, ont été invitées à prendre leur part en rendant inaccessibles les sites qui font l'apologie du terrorisme.

Quand au système financier, il doit "couper les sources de revenus de l'argent du terrorisme", mettre fin aux paradis fiscaux et au blanchiment d'argent de tous les trafics qui alimentent les réseaux de Daesh, d'Al Qaida et de Boko Haram.

"Ne laissez pas agir une bête qui un jour vous frappera vous aussi", a lancé le chef de l'État. "Il n'y a pas de prospérité sans sécurité".

Au niveau européen, le président français a assuré que des initiatives fortes seront prises rapidement "pour renforcer les contrôles aux frontières" et mettre en place "un registre des passagers aériens".

Alors que le sujet a été débattu toute la semaine, le président a aussi indiqué que dans le respect des libertés, des mesures de cyber défense pour empêcher l'utilisation d'internet à des fins de violence seront prises par la communauté internationale. En France, le chef de l'État a aussi annoncé des investissements publics importants pour renforcer la sécurité de tous et sans prononcer le mot "apartheid" employé par son Premier ministre Manuel Valls, affirmé que l'État mettra des moyens pour lutter contre la ségrégation urbaine, "terreau de la radicalisation religieuse".

100 milliards d'euros pour le fonds vert

Sur le réchauffement climatique, vraie raison de la présence de François Hollande à Davos, le président a été clair : il manque 90 milliards d'euros dans le fonds vert pour le climat, seulement doté de 10 milliards actuellement. Sébile à la main, François Hollande a donc profité de la présence des plus grandes et plus riches entreprises mondiales à Davos pour les inviter à trouver des financements d'ici juin.

Car, si "la conférence de Paris en décembre doit s'achever sur un accord global contraignant" sur lequel doivent s'engager les États, celui-ci ne vaudra que si des financements permettront de réaliser la transition énergétique.

Hollande a évoqué une piste : alors que seulement 1% de l'épargne mondiale est investie dans des produits financiers "verts", il a lancé l'idée d'un nouveau marché des obligations vertes, émis par les entreprises, pour alimenter les projets d'investissement dans ce domaine.

Une alliance de Paris pour le climat

Hollande, hier ennemi juré de la finance, venant à Davos, le temple de la finance, pour y lancer un nouvel instrument financier : vous ne rêvez pas ! Le chef de l'État a bien parlé d'une "alliance de Paris pour le climat", à laquelle il a invité à participer toutes les grandes entreprises mondiales. Selon lui, chacun y trouvera son intérêt, car cette transition énergétique fera naître de nouveaux business et des nouvelles opportunités pour les entreprises.

Une chose est claire : alors que les États sont désargentés, c'est dans l'esprit de François Hollande au secteur privé de prendre le relais et de financer par endettement le mouvement vers une économie décarbonée. Et pour bien se faire comprendre, François Hollande a rappelé que sur les 25 métropoles de plus de 10 millions d'habitants, 19 sont situées près d'une côte et menacées directement par la montée des océans. Et que d'ores et déjà, le nombre des réfugiés climatiques dépasse, avec 20 millions de personnes déplacées, celui des réfugiés politiques, pourtant en forte augmentation avec la multiplication des conflits régionaux.

Les menaces sont liées

Toutes les menaces sont liées, et la réponse globale repose aussi sur l'économie et le social, a poursuivi François Hollande.

"Ce dont nous souffrons, c'est de l'instabilité, de la volatilité des marchés, des monnaies et des matières premières. Or, quand il y a de l'incertitude, il n'y a pas d'investissement".

Le président a plaidé, malgré la chute des cours du pétrole pour que soit donné un prix au carbone, qui financera les infrastructures de la transition énergétique.

La France poursuivra les réformes...

Le dernier volet de son intervention, consacré à la France, a moins captivé et sans doute moins convaincu l'assistance, dubitative quand le président a assuré que l'annonce du spectaculaire assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne ne servira pas de prétexte à renoncer aux réformes.

"Les décisions de la BCE ne doivent pas nous conduire à différer l'assainissement de nos comptes et les réformes structurelles", a souligné le chef de l'État, en réponse aux inquiétudes de la presse allemande notamment furieuse contre Mario Draghi.

"La France est consciente de ses handicap", a reconnu François Hollande, tout en faisant, ce qui était sans doute inutile, un rappel détaillé des mesures de son quinquennat, du pacte de responsabilité à la loi Macron qui réforme "le marché du travail".

Le président, qui s'est même félicité de mesures qui ne sont pas de son fait, mais de ses prédécesseurs (crédit impôt recherche, régime fiscal des impatriés) a fini son long monologue sur des propos pro domo, assénant par exemple que la France "est la première nation dans le classement mondial des start-up", s'attirant une foule de quolibets sur twitter de la part des représentants de la Silicon Valley présents, à l'exemple de Loïc Le Meur qui s'est interrogé sur la source de ce classement mystérieux.