Trois destins possibles pour l'Europe : le sursaut, ou la communauté de l'euro (2/3)

Par Florence Autret  |   |  1079  mots
Reuters
Poussée des eurosceptiques confirmée ? Gauche sanctionnée, comme aux municipales ? Président (e) de la Commission européenne vraiment issu (e) du choix des électeurs ? L'élection des députés européens, dimanche 25 mai, apportera son lot de surprises. Notre sort ne sera pas tranché pour autant. Du sursaut au lent déclin en passant par la résurgence de la crise, La Tribune vous propose trois scénarios sur l'avenir de l'Europe en 2017.

Où va l'Europe ? Trois destins possibles...

LA FICTION - Avril 2017. Le deal historique

Dans le décor somptueux du palais présidentiel de La Valette, une foule de journalistes attend la conférence de presse du président du Conseil européen. Le sommet des chefs d'État et de gouvernement des Dix-Neuf qui vient de se tenir a finalisé le mandat de la conférence intergouvernementale qui se tiendra jusqu'à la fin de l'été.

C'est la conclusion heureuse d'une initiative lancée en 2015 par un groupe de conseillers politiques et de députés issus d'une dizaine de pays de la zone euro et emmené par l'ancien ministre des Finances polonais Jacek Rostowski, dont le pays a rejoint la zone euro au 1er janvier.

Les grandes lignes de ce deal historique : un budget propre à la zone euro de l'ordre de 1% du PIB, financé par la mise en commun d'une partie des recettes de l'impôt sur les sociétés, la création d'un parlement des Dix-Neuf chargé de gérer cette manne et de contrôler le futur ministre des Finances de l'euro, qui sera désigné par eux.

À l'avenir, les pays de la future « communauté de l'euro » ne pourront plus se porter secours entre eux par des prêts, comme ils l'ont fait depuis 2010, leur mise en faillite deviendra possible. En revanche, ils pourront bénéficier d'une vraie politique de transferts. Mais avec 1% de PIB disponible, le nouveau Trésor de ce premier cercle sera capable de lever sur les marchés de quoi absorber les chocs asymétriques et financer des politiques de croissance dans les pays qui en ont besoin.

Le futur traité réaffirmera donc la souveraineté des pays de la communauté en matière économique, en même temps que le principe du no bailout cher aux Allemands - principe qui interdit aux États membres de prendre en charge les engagements financiers d'un gouvernement national. Aux vraies recommandations tatillonnes de la Commission européenne sur l'âge de la retraite ou l'organisation de leur marché du travail, il substituera une politique économique commune. Voilà qui coupe l'herbe sous les pieds des souverainistes de tout poil. Quant à la remise en selle du principe du no bailout, elle comble le Bundestag.

Lors de sa conférence de presse commune avec le président français, Angela Merkel confirme que les trois grands partis du centre, CDU, CSU et SPD, alliés au sein de sa coalition, se sont engagés à faire campagne de concert en vue du référendum qui se tiendra en 2018 pour la réforme de la Constitution fédérale.

François Hollande annonce, radieux, qu'il a obtenu que ce nouveau budget de la zone euro finance un socle commun d'assurance chômage... dont la France serait le premier bénéficiaire. Les jurisconsultes des chancelleries s'attendent à de longues nuits blanches, car inscrire ce « premier cercle » dans celui, plus large, de l'Union européenne sera délicat. D'autant plus qu'à Londres Ed Miliband, le leader travailliste devenu Premier ministre, a obtenu, en contrepartie de la suspension du projet de référendum britannique, une redéfinition des compétences de l'Union européenne. Demande que les autres dirigeants ont accueillie avec soulagement. Parallèlement, le Royaume-Uni a pris la tête d'un vaste projet d'anneaux éoliens en mer du Nord qui garantira d'ici quinze ans l'indépendance énergétique de l'Europe.

À Francfort, la fermeté de la Française Danièle Nouy, nommée en 2013 à la tête du conseil de supervision bancaire de la BCE, fait merveille. Depuis 2015, l'économie a redémarré, notamment grâce au nettoyage sans complaisance des bilans bancaires et à la fermeture de plusieurs dizaines de banques zombies.

LA SITUATION ACTUELLE - Vers un fédéralisme à l'américaine ?

Ce scénario euphorique repose sur les propositions des groupes Glienecke et Eiffel, qui ont planché ces derniers mois sur deux versions assez proches de la « communauté de l'euro ». Pour eux, les arrangements trouvés jusqu'à présent pour calmer la crise de l'euro apportent une accalmie temporaire, mais au prix de redoutables compromis politiques. Ils ont entraîné la corrosion du système européen où la Commission est à la fois sur-puissante sur le papier (à la suite des réformes de la gouvernance économique qui l'autorisent à faire des recommandations très détaillées), faible en pratique et vue comme de plus en plus illégitime.

Leur idée est d'inverser la logique de gestion de crise qui a prévalu depuis 2009, de rétablir le principe du no bailout inscrit dans le traité et de passer d'un régime de prêts entre États à la création d'un vrai budget pour la zone euro capable d'absorber les chocs asymétriques, de rétablir la pleine souveraineté des États, au lieu de glisser vers une mise sous tutelle, tout en acceptant de créer des instruments de transfert placés sous l'autorité d'un parlement souverain. Un arrangement qui ressemble finalement assez au fédéralisme américain.

Pour que les dirigeants européens prennent l'initiative d'un tel bond en avant, encore faudrait-il qu'ils agissent moins sous la double menace des poussées populistes et de la détérioration de la situation économique. Et pourquoi ne pas confier à une Pologne de plus en plus consciente de ses responsabilités européennes un rôle clé dans cet arrangement, alors que Paris et Berlin ne parviennent pas à sortir d'un face-à-face stérile ?

Rien n'interdit d'être optimiste. D'abord, l'Union bancaire, si elle reste faible en cas de crise majeure, va certainement améliorer la situation en régime de croisière et libérer le crédit. Ensuite, le marché européen recèle un énorme potentiel d'économies et de synergies laissées inexploitées à cause de concessions faites aux clientèles nationales.

Dans le seul domaine de l'énergie, l'amélioration de la concurrence et des infrastructures de transport transfrontalières pourrait réduire la facture d'approvisionnement de plusieurs dizaines de milliards par an. Le projet d'« Airbus franco-allemand » de l'énergie, quoique très nébuleux encore, manifeste au moins la volonté de trouver un chemin. Et la crise ukrainienne agit comme une alerte.

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>>> L'effondrement ou le krach italien (1/3)

>>> Le sursaut, ou la communauté de l'euro (2/3)

>>> Le statu quo, ou le lent déclin (3/3)