Pour un renouveau de l’influence universitaire française

Par Mehdi Lazar  |   |  1186  mots
Les classements sont devenus essentiels : ils sont devenus un outil d'influence à l'échelle mondiale, mais consacrent la plupart du temps les universités anglo-saxonnes comme étant les plus performantes...
Pour retrouver son influence sur la scène internationale, la France doit attirer davantage d'étudiants étrangers. Il faut donc renforcer l'attractivité des universités et des diplômes...

La France est un pays très important dans le monde mais son influence semble décliner doucement depuis les années 1980. Loin de céder au fatalisme, nous pensons que nous pourrions utiliser nos universités pour augmenter notre influence internationale.  

 

Attirer les étudiants étrangers, un enjeu majeur du XXIe siècle

L'enseignement supérieur influe généralement sur les individus à un moment critique de leur vie, notamment intellectuellement et socialement (1). En effet, façonner la façon de penser et de voir le monde de futurs dirigeants étrangers et permettre de créer des réseaux politico-économiques qui seront le support de liens commerciaux fructueux et d'une influence politique durable est une évidente application de l'influence universitaire d'un pays.

Cela peut se résumer sous le terme de soft power, ce concept crée par le politologue américain Joseph Nye, qui signifie la capacité à influencer indirectement le comportement d'un autre acteur, ou la représentation qu'il se fait de ses propres intérêts, à travers des moyens non coercitifs - dont l'enseignement et la recherche. Pour un pays, attirer des étudiants étrangers ou exporter des institutions ou des diplômes - par l'enseignement à distance par exemple - hors de ses frontières est donc un enjeu majeur du XXIe siècle.


Soyons réaliste sur la position de la France à l'échelle planétaire

De plus, la production intellectuelle est à la croisée en France de ce qui constitue nos atouts dans un monde globalisé : notre langue, notre culture, notre place dans le système de sécurité international ou encore la puissance économique de l'hexagone. Cependant, une véritable influence universitaire française suppose de sortir de l'idée de rayonnement pour glisser vers le concept d'influence (2).

Cela nécessite de laisser de côté notre vision nostalgique du monde, dans laquelle notre position mondiale est idéalisée, notamment à travers l'aura de grandes figures telle que de Gaulle, afin de se rapprocher d'une vision pragmatique et réaliste des rapports de forces intellectuels et culturels à l'échelle de la planète. En effet, alors que les tendances globales évoluent, nos politiques universitaires doivent suivre.

 

Une attractivité limitée

Par exemple, la mobilité internationale des étudiants continue d'augmenter (et ce même pendant la crise mondiale de 2008-2009), tandis que les flux d'échanges se diversifient. Or la part d'attractivité française diminue dans cette compétition mondiale au profit de nouveaux acteurs émergeants. La nouvelle géographie de la globalisation de l'enseignement supérieur reflète ainsi les nouvelles tendances géopolitiques et géoéconomiques mondiales. Ainsi, l'attractivité française - réelle - reste encore trop limitée en termes de flux et concerne notamment les pays des "anciennes colonies" d'Afrique comme le Maroc ou le Sénégal.

Une relative diversification des flux entrants est cependant en cours (avec de plus en plus d'étudiants asiatiques) et tient au fait de nos nombreux facteurs d'attractivité de notre pays mais aussi à la très bonne qualité de ses formations et au le fait que les études soient quasiment gratuites.

 

Des politiques qui pèsent sur la circulation des compétences

La mise en place d'une politique française d'attraction d'étudiants étrangers depuis la fin des années 1990 avec la création de l'agence EduFrance en 1998, devenue depuis Campus France, ou des politiques nationales d'immigration spécifiques (des procédures de visa plus facile ou des bourses pour les meilleurs étudiants) fut aussi importante. D'ailleurs, beaucoup d'autres pays ont également des programmes de ce type, que ce soit Fulbright, le British Council, le bureau allemand d'échanges universitaires, les instituts Confucius, le programme européen Erasmus Mundus ou les projets de coopération et d'aide et développement (3).

Souvent présentés comme des éléments permettant d'augmenter la « reconnaissance mutuelle » des Etats, ces programmes permettent en fait, dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant, de peser sur la circulation désormais globale des individus, des connaissances, des compétences et des valeurs.


La grande influence des classements mondiaux 

Une autre dimension de la globalisation de l'enseignement supérieur par laquelle l'influence d'un pays peut s'exercer, est l'exportation d'établissements. En effet, de nombreux Etats dans le monde, comme le Qatar, la Chine, Dubaï, la Malaisie ou encore Singapour cherchent à renforcer leurs capacités éducatives par l'importation d'établissements d'enseignement supérieur étrangers, souvent prestigieux et originaires de grands pays industrialisés.  A ce titre, la question des classements mondiaux est centrale.

Le classement de Shanghai, celui du Times Higher Education ou le QS World University Rankings sont les principaux points de repère pour les universités et les Etats à travers le monde. Critiquables, ces classements sont néanmoins devenus essentiels et ont une portée normative et performative. Ils ont émergé comme un outil d'une immense influence et consacrent la plupart du temps les universités anglo-saxonnes comme étant les plus performantes. A ce titre, eux-mêmes influencent durablement les institutions, les Etats et les étudiants du monde entier, notamment en forçant les établissements et les systèmes éducatifs à améliorer leurs performances afin d'atteindre ce que semble être des « normes mondiales ».

 

Déficit de savoir-faire

Mis à mal par la montée en puissance des classements mondiaux, voire la mise en place du marché global de l'enseignement supérieur, la France devrait néanmoins continuer à assurer son influence internationale. Pour cela elle doit pouvoir attirer les meilleurs étudiants étrangers sur son sol mais aussi exporter son système éducatif à la manière de ce que font les établissements et les gouvernements des grands pays anglophones (tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Angleterre, les Etats-Unis et de plus en plus le Canada). La Sorbonne a commencé à le faire avec l'implantation de Paris IV à Abu-Dhabi.

Cet exemple pourrait s'inscrire dans une stratégie plus large incluant attractivité d'étudiants, exportations de diplômes (à travers les formations à distance) et d'établissements (notamment avec des campus délocalisés) mais aussi augmentation de la visibilité internationale de nos établissements (avec des performances en hausse dans les classements mondiaux). Ceci nécessite des réformes assez importantes, mais comme le dit Michel Foucher :

« Si nous maîtrisons les savoir-faire, en revanche, il est clair que nous avons un déficit en matière de faire-savoir (…) Bien que présente et influente, la France a bel et bien un problème d'image et de perception au regard de ses interlocuteurs » (4).

Attirer des étudiants étrangers, augmenter notre visibilité dans les classements mondiaux et exporter nos établissements d'enseignement supérieur et nos diplômes est certainement un des moyens d'y palier et de renouveler l'influence française dans le monde.

 

 

(1) John Kirkland, "No moral dilemma about soft diplomacy", in University World News, 14 février 2014.

(2) Voir notamment l'interview de Michel Foucher par Jean-François Fiorina dans « Géopolitique de l'influence », in Comprendre Les Enjeux Stratégiques, n°32, février 2014.

(3) Jane Knight, "The limits of soft power in higher education", in University World News, 31 janvier 2014.

(4) Cité dans : dans « Géopolitique de l'influence », Comprendre Les Enjeux Stratégiques, n°32, février 2014.