L'innovation helvétique, un facteur de survie

Par Cyril Demaria  |   |  647  mots
L'innovation technologique suisse s'est par ailleurs construite contre les risques, pour faire face aux défis de la nature toute-puissante.
En Suisse, l'innovation a été portée par la conquête d'un territoire complexe, aux obstacles nombreux. Dans les nouvelles technologies, cette essence demeure...

Dans une précédente colonne, nous expliquions que la Suisse a bâti avec succès un modèle d'innovation qui lui est propre. Après avoir examiné "comment", il est intéressant de comprendre "pourquoi". La survie de la nation a été et demeure une des motivations principales en matière d'innovation, à la fois pour les Etats-Unis de la guerre froide, Israël depuis sa création (et plus encore depuis la décennie 1970) et la Suisse. 

Des obstacles naturels

Si l'histoire de l'unification helvétique reflète la menace permanente de voisins puissants, riches et dont la population est numériquement plus importante, elle est aussi le reflet des obstacles naturels à surmonter. Le défi spécifiquement helvétique fut d'affronter des conditions naturelles particulièrement exigeantes. La Confédération est un pays alpin couvert de montagnes à plus de 90% et pauvre en ressources naturelles. L'objectif est donc avant tout de maîtriser les risques et cette motivation demeure particulièrement puissante : la Suisse s'est ainsi classée première du Global Innovation Index de l'OMPI en 2011, 2012, 2013 et 2014.

Si les applications commerciales sont importantes, la gestion des risques continue d'alimenter le moteur de l'innovation. La Suisse héberge ainsi une écurie de Formule 1 (Sauber) mais n'a pas de constructeur automobile national. Elle a gagné l'America's Cup, grâce à Team Alinghi, malgré l'absence d'accès à la mer. Elle fait voler des avions solaires sans héberger de géants de l'industrie aéronautique sur son territoire. L'objectif de l'innovation est bel et bien de comprendre et de gagner en efficacité.


Le territoire, source d'innovation

Le génie helvétique est en effet largement fait d'innovation frugale dont l'industrie horlogère est le témoignage emblématique. Les Suisses ont ainsi mis à profit les longs hivers passés dans un relatif isolement (faute de moyens de communications) pour élaborer leurs montres, associant beaucoup d'ingéniosité et d'inventivité à l'utilisation parcimonieuse de matières premières alors relativement rares. Les manufactures helvétiques continuent d'accumuler les brevets et à gagner des prix en matière d'innovation horlogère encore aujourd'hui.

L'innovation technologique suisse s'est par ailleurs construite contre les risques, pour faire face aux défis de la nature toute-puissante. Pour rompre l'isolement mentionné ci-dessus, l'innovation fut largement pragmatique et le résultat d'efforts combinés publics-privés de longue haleine. Zurich fut la première ville du continent européen équipée d'un réseau téléphonique en 1880, mais c'est surtout en matière d'infrastructures, et notamment de chemins de fer, que le pays s'illustre. Les tunnels et les ponts construits au XIX et XXème siècles sont encore aujourd'hui considérés comme des merveilles d'ingénierie. Les trains helvètes ont conquis les montagnes, que ce soit leurs sommets grâce aux systèmes à crémaillères ; ou leurs entrailles, notamment grâce au tunnel du St Gothard (le premier ouvert en 1881, dont une version bi-tunnels de 57 km sera ouverte en 2016).


La biotechnologie, l'exception Suisse

L'innovation pragmatique et incrémentale est aujourd'hui biotechnologique (programmes de recherche de huit à dix ans visant les risques de santé), agro-alimentaire (après avoir nourri une population locale malgré un faible espace cultivable, il s'agit de nourrir la population mondiale en éliminant le risque alimentaire) et environnementale (s'agissant de gérer les risques pragmatiquement en optimisant l'utilisation des ressources et en réduisant la consommation d'énergie). La Suisse s'est ainsi classée première de l'Environmental Performance Index de l'Université de Yale en 2014.

Qu'en conclure pour la France ? Identifier ses menaces existentielles risque de frustrer : ses menaces militaires directes sont faibles, et ses défis naturels sont auto-imposés (conquête de l'espace). Identifier "la" source du génie français en matière d'innovation reste néanmoins la voie à suivre pour un pays réputé pour ses grands programmes d'équipement ayant donné naissance à des fleurons industriels.