Femmes : la quadrature du sexe

Par Sophie Péters  |   |  957  mots
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Ce 8 mars qui s'ouvre sur fond de guerilla féministe et de confusion masculine, relance le débat sur la guerre des sexes. La cause féminine semble plongée en plein désarroi. Il est temps d'envisager l'altérité pour faire taire les armes.

"A quoi bon s'affirmer par le sexe, si les stéréotypes sexistes musellent toujours autant le genre féminin ?" s'interroge L'Express de cette semaine avec sa couverture provocante et provocatrice "Femmes : l'arme du sexe". De fait l'affaire Iacub/DSK relance le débat sur le sexe comme arme féminine pour faire valoir sa place "autant au travail ou en politique que dans la chambre à coucher" conclut l'Express, non sans céder là aussi au sexisme ordinaire. De quoi désespérer les femmes de l'actuel gouvernement, à commencer par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, qui mène des opérations de sensibilisation aux stéréotypes machistes.

On plonge en plein désarroi. Certains défendent la thèse qu'il n'y a pas de différence entre un homme et une femme, quand les neurosciences font valoir des écarts dans la chimie des cerveaux. D'autres s'évertuent à défendre des valeurs "féminines" en matière de leadership, quand tous réclame la parité au nom d'un meilleur équilibre et d'une plus grande performance. Enfin quelques-uns, ou plutôt quelques-unes, font valoir la sexualité comme affirmation de soi, quand la loi et les institutions veillent à maintenir les avancées légales. Le combat féminin fait plus que jamais rage en ordre dispersé et avec une arme à double tranchant  : "je suis là car je suis une femme".

Autoriser une expression libre de la personnalité de chacun

Comme Freud l'a montré, rien n'est cependant moins assuré que l'identité sexuelle. Le clivage de genre ne correspond pas à la réalité des personnalités et à la manière dont chaque individu, homme ou femme, exprime ce qu'il est dans les relations aux autres, dans la conduite de sa vie, sa manière de traiter l'information, et d'exercer son autorité. Il devient urgent d'interroger nos représentations et nos croyances pour autoriser une expression libre de la personnalité de chacun, homme ou femme. Et de laisser à l'homme la possibilité d'exprimer son anima et la femme d'accepter son animus.

" En s'épuisant à vouloir 'rester une femme', les cadres dirigeantes donnent consistance à leur insu, à l'assignation de genre qui leur est faite. Les hommes évoquent plus rarement leurs difficultés paternelles et jamais celle de rester un homme. Quand il redoute d'entamer sa masculinité c'est qu'il occupe une place traditionnellement dévolue aux femmes : artiste entretenu, père au foyer, secrétaire, etc", souligne Catherine Blondel, conseillère de dirigeants et directrice de l'Ecole des Femmes et de séminaires dirigeants à l'ENS.

Le sexe: plus un problème qqu'une arme

"Quand je coache une personne qui reporte ou va reporter à un patron femme, elle émet très souvent des questions, craintes ou espérances, spécifiquement liées au sexe de ce patron femme, alors que le sexe du patron n'est presque jamais évoqué quand celui-ci est un homme" témoigne de son côté Elisabeth Malissen, dirigeante de El Conseil.

Dans leur parcours professionnel, les femmes restent encore coincées entre deux écueils : être vues comme trop femmes pour bien assumer leurs fonctions, ou trop volontaires et ambitieuses pour être femmes, le pouvoir de séduction sexuelle, jouant selon le cas de figure, en leur faveur ou leur défaveur. Ce n'est pas l'arme du sexe affichée par l'Express qui pose problème mais la quadrature du sexe qui nous étreint.

"Malgré des évolutions sociétales considérables, l'ascension hiérarchique des femmes semble continuer de se heurter aux privilèges défendues par les deux sexes. Chez les hommes, l'identité collective du groupe au pouvoir est souvent gratifiée de virilité. L'intrusion d'une femme dans un comité de direction jusque-là masculin induit une perturbation des codes relationnels en usage, presque une incongruité, comme si elle pénétrait le vestiaire d'une équipe de rugby. Chez les femmes, on décèle parfois la crainte que l'accès à des places jusque-là dévolues aux hommes leur fasse perdre soit leur féminité, soit les privilèges attachés à leur sexe", poursuit Elisabeth Malissen.

Pour une prise en compte de l'altérité

Hommes et femmes sont désormais bien en peine de trouver leurs marques les uns par rapport aux autres. Télérama titrait il y a deux mois "Le déclin de l'empire masculin ?". Si la destruction de l'hégémonie des hommes a affaibli les identités masculines, c'est que l'on a voulu placer la question de l'égalité sur le terrain du combat et faire du sexe une variable pertinente. Or les recherches en management comme en neurosciences, montrent toutes que, s'il existe bel et bien des différences dans l'exercice du leadership, celles-ci ne sont pas dues au sexe biologique des personnes concernées, mais fonction de la manière dont ces personnes perçoivent l'exercice de leur ledaership - plus "féminin" ou plus « masculin »- et de l'incidence de ces perceptions sur les salariés au travail.

L'égalité, ou mieux la mixité à tous les échelons de la société, ne naîtra que d'une évolution des mentalités et d'une prise en compte de l'altérité. C'est la voie royale vers la diversité tant prônée dans le discours des organisations. Mais «l'altérité suppose que l'égalité ne passe par l'imitation du seul modèle masculin, au prix d'un double déni : celui de la bisexuation de chacun et celui des différences biologiques qui impliquent une part de bénéfices, inconvénients et désirs propres à chaque sexe », prévient Elisabeth Malissen. Pour sortir de cette quadrature du sexe et laisser l'altérité s'exprimer pleinement, il faut désormais s'attaquer à légitimer les désirs de chacun plutôt que de chercher à les neutraliser, au nom d'une égalité.