Hollande ou le contre-exemple du leadership

Par Sophie Péters  |   |  1104  mots
Le président de la république François Hollande.
"Hollande : une question d'autorité", titrait récemment Libération pour souligner que le président "a du mal à exprimer son leadership". Le sommet de l'Etat devenu un contre-exemple pour ceux qui exercent au sommet des entreprises ? Une symbolique assez forte pour mériter qu'on s'interroge sur ce qui détermine aujourd'hui l'exercice du pouvoir.

On n'arrive plus à se parler "vrai" dans les entreprises. Encore moins à la tête de l'Etat. Partout, la parole est empêchée. Au point qu'elle rejaillit en querelles de personnes. Le gouvernement français n'a jamais été aussi exemplaire... de ce qu'il ne faut pas faire. Le président qui dit que "rien ne l'énerve par principe"... s'énerve de plus en plus souvent. En particulier au sujet des passe d'armes entre ses ministres.

"Recadrage façon maître d'école"

L'affrontement Duflot-Valls a éclaté au grand jour. A vouloir être normal envers et contre tout, dans la norme, notre président souffle involontairement sur les braises de toute relation humaine : une relation où le désaccord est définitivement anormal. Résultat : ""Et si Hollande avait un problème avec l'autorité? ", interrogeait Libération le 30 septembre.

Si son entourage révèle que le "recadrage façon maître d'école", ce n'est pas son "truc", et qu'il cherche à se différencier des positions tranchées de son prédécesseur, nul doute que François Hollande confond autorité et pouvoir, et défend une image un peu désuète et enfantine de l'autorité.

Des ministres qui se comportent comme des gamins

Pas étonnant dans ces conditions que ses ministres se comportent comme des gamins, cherchant à faire preuve d'autorité... mal placée. Tel un Arnaud Montebourg tançant vertement notre consœur du journal Le Monde, Françoise Fressoz, dans l'émission "Question d'info" sur LCP.

Touchant le dossier sensible de Florange, la journaliste s'est entendu répondre par le ministre du Redressement particulièrement énervé : "Madame Fressoz, vous avez un problème avec votre cerveau ! Florange n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique française !"

"Il n'y a plus de politique"

La tension de plus en plus perceptible chez les ministres révèle au grand jour les carences d'autorité de leur "patron". "En utilisant constamment le recours à la norme pour éviter les conflits, il interdit un affrontement constructif, souligne le psychanalyste Roland Gori. L'État français est un enfant de notre civilisation obsédée en permanence par le fait d'administrer et de gérer. Il n'y a plus de politique. Or la démocratie n'est pas l'absence de conflits, mais une manière politique et particulière de les traiter."

L'autorité, un art de manier le conflit ? Voilà qui ouvre une piste de réflexion non seulement à la tête de l'État mais également au sommet des entreprises. L'écart qui se creuse ici et là entre la réalité et les discours disent combien, par peur du conflit, le débat en entreprise et dans la société est devenu tabou.

Risque psycho-social

C'est bien parce que les décisions sont encore trop rarement débattues avec l'ensemble des salariés (versus l'ensemble d'un gouvernement démocratique), qu'elles créent, ou induisent, des situations de conflits, rapidement inextricables.

D'ailleurs, les psychosociologues appelés en urgence au chevet des entreprises pour cause de risque psycho-social dénotent désormais que, ce qui fait souffrance, c'est lorsque les salariés pensent qu'il n'y a pas d'issue. Les Français ne sont pas loin de vivre la même chose.

Or, entrer dans le conflit peut constituer une véritable voie de dialogue, pour peu qu'ils ne soient pas occultés, qu'ils soient travaillés. "Le consensus mou abrase les différences, les rognent. Et puisque les conflits ne peuvent plus s'exprimer au sein du gouvernement, versus le groupe constitué, ils ressortent de façon latérale", poursuit Roland Gori.

Accepter des points de vue différents

D'où la question cruciale qui devrait précéder toutes les autres pour un François Hollande comme pour n'importe quel chef d'entreprise investi d'une autorité : qu'est-ce qui fait qu'on n'arrive plus à se parler du "travail" ? Comment se fait-il que le conflit prenne tant d'ampleur et reste ? Comble de l'ironie, le premier qui amène le sujet est souvent censé le résoudre seul ou est mis au ban des fauteurs de trouble.

Or, il faut le ramener dans le groupe. Et que l'on puisse se parler en acceptant que les uns et les autres aient un point de vue différent.

Un point de vue différent ? C'est bien souvent là le cœur du problème, quand la stratégie du gouvernement et/ou de l'entreprise consiste à faire en sorte que tous aient le même point de vue, souvent pour masquer la carence visionnaire du leader. "C'est la tyrannie de la majorité. On ne donne pas la possibilité aux opinions contradictoires de s'exprimer. Pire : François Hollande vient d'imposer aux membres du gouvernement de demander l'autorisation de parler dans les médias. Le conflit est refoulé. Voilà pourquoi, les problèmes se posent souvent de façon massive ou resurgissent malencontreusement sous forme de violence verbale", analyse Roland Gori.

"Il calcule le monde mais ne le pense pas"

"Travailler sur la relation" : voilà ce qui permettrait à un président comme François Hollande de mieux assoir son autorité. Mais comme tout haut dignitaire du pouvoir, il préfère se centrer sur des éléments factuels et mécanistes comme l'arbre des causes. "C'est un technocrate et non un politique. Il calcule le monde mais ne le pense pas. Car il ne l'appréhende que techniquement et économiquement", ajoute le psychanalyste auteur de "la Fabrique des imposteurs".

C'est en effet oublier, à l'instar aussi de beaucoup de leaders, que la causalité est plus complexe dès lors qu'il s'agit d'êtres humains. Il ne faut pas méconnaître l'intention. Si on écarte la question de l'intention, on ne peut plus rien comprendre et on déshumanise. Accepter de ne pas "faire groupe" pour pouvoir "faire groupe".

Exprimer l'enjeu de la discorde

Michel Crozier, pionnier de la sociologie des organisations, affirmait que l'autorité n'est pas une chose que certains ont et d'autres pas. Elle est le produit des relations, négociations et confrontations, en un mot des « jeux» que produisent les organisations, et dont l'issue n'est jamais certaine.

Le dialogue, pour qu'il fonctionne, ne peut donc pas dépendre uniquement d'une seule ligne hiérarchique et réclame désormais de passer de la discordance au conflit ouvert. Autrement dit : exprimer l'enjeu de la discorde.

Bref, il s'agit de poser le conflit de façon conflictuelle s'il le faut. En cherchant constamment à ne froisser aucune susceptibilité, le président divise... sans pour autant mieux régner. "Aussi est-il nécessaire au Prince qui se veut conserver, nous dit Machiavel, qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon ...".