Les 100 derniers jours de François Hollande

Par Florence Autret  |   |  4759  mots
Quoi de plus stimulant qu’une fiction pour tenter de prévoir le futur d’un quinquennat qui prend des allures de désastre pour la gauche. Un récit où la réalité dépasse parfois l’imagination, comme le départ d’Arnaud Montebourg du gouvernement. Selon un sondage IFOP pour le JDD, plus de huit Français sur dix ne veulent pas revoir François Hollande à l’Elysée en 2017. Mais la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir…

Dimanche 15 mars 2015, dans la soirée, au Palais de l'Elysée.

Depuis la publication, l'été précédent, du feuilleton du Figaro «Hollande s'en va», la réalité s'acharnait à rattraper la fiction. Sa majorité était en miettes, la croissance en berne et les finances publiques dans un état calamiteux. Dans la tourmente, il avait fait le choix de la social-démocratie, mais il lui en coûtait. Ses pourfendeurs appelaient cela le social-libéralisme. «Foutaises», avait cherché à le rassurer son ami Jean-Pierre.

«La frontière droite-gauche n'est plus pertinente. Il y a le camp de la réforme et celui de la conservation, fût-elle maquillée en populisme. C'est aussi simple que cela», avait asséné le secrétaire général de l'Elysée.

Simple ? Voire.

« Cinquante nuances d'aigrie »

Quand, au mois d'août, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon s'étaient mis à ruer un peu trop fort dans les brancards, il leur avait simplement montré la porte. Et les deux chevaux fous avaient quitté l'écurie gouvernementale, suivis par la belle Aurélie. Sur quoi était venue la trahison de Valérie, cette « ambitieuse » qu'il avait portée au firmament et qui n'avait pas hésité à bafouer les règles pour assouvir son désir de vengeance. « Cinquante nuances d'aigrie », avait moqué Le Canard... Il éprouvait pour eux plus de compassion que de colère. La fuite et la transgression n'étaient pas la liberté. Philippulus, le chroniqueur mystère du Figaro, se trompait. Il ne s'en irait pas, dût-il jouer son pays contre son parti. Avec « Valls II », il savait qu'il s'aventurait sur des terres dangereuses. Il ignorait alors encore à quel point. À présent, il savait et il était prêt.

Il sortit dans le jardin en direction de la roseraie, foulant le sol détrempé d'un pas léger. Il ne s'était jamais senti ni aussi seul ni aussi fort. Sa décision était prise. Il s'autorisa à se repasser le film des semaines passées, sans craindre d'être saisi par la peur de perdre le contrôle, comme si souvent dans le passé.

Le redressement « judicière»

Les sondages calamiteux, la montée de Marine Le Pen. Tout cela n'était rien à côté de l'engrenage qui s'était enclenché à Marseille. En septembre, la Commission européenne avait demandé le remboursement de 200 millions d'euros d'aides... et celui de 220 autres était en suspens. Aucun gouvernement n'avait jamais eu le courage de se débarrasser de ce boulet. Il lui était retombé sur le pied. Il n'avait même plus le choix, entre la paix avec Bruxelles au prix de la guerre sociale, et la paix sociale au prix de la guerre avec Bruxelles. Emmanuel Macron avait imposé le redressement judiciaire. Il l'avait laissé faire. Après tout, on l'avait mis là pour ça. Un seul investisseur s'était présenté : Xinmao, le même groupe chinois qui avait tenté deux ans plus tôt de mettre la main sur le fabricant de fibres optiques Draka. Cela n'avait pas été du goût des syndicats. Sur le Vieux Port, novembre s'était terminé dans une atmosphère insurrectionnelle. Le personnel de la compagnie avait défilé aux côtés de milliers de jeunes révoltés par le pilonnage de Gaza par l'armée israélienne. « HOLLANDE M'A TUER », scandaient-ils d'une même voix. Deux policiers avaient fini noyés dans le port. Le Premier ministre lui avait présenté sa démission. Il l'avait refusée.

Cela avait été le début d'un embrasement national. Sur ce, la fonde était repartie de plus belle. Les ténors du parti qui lui avaient prêté main-forte pour voter la confiance au gouvernement « Valls II » dosaient leur loyauté à l'aune de ses ambitions présidentielles. Le front des « anciens » s'était relâché au moment des discussions budgétaires, au point que l'État avait failli commencer 2015 sans budget ! Les coups de semonce de l'élysée étaient restés vains, jusqu'à un certain vendredi 5 décembre.

À 19 heures, une explosion avait fait sauter les grilles de la porte 5 du chantier naval STX, à Saint-Nazaire. Depuis la suspension de la vente des Mistral à la Russie, la carcasse du Sébastopol attendait, inachevée, dans un bassin. STX n'avait pas trouvé de nouveau commanditaire. Et le Vladivostok mouillait dans la rade de Brest. Au moment où le mystérieux collectif « Où souffle le Mistral » revendiquait l'attentat, une autre nouvelle tombait sur le fil des agences annonçant la dégradation de la note française. C'était la troisième fois en deux ans.

« Joyeux Noël, Monsieur Hollande ! »

« Les conditions politiques et sociales ne nous semblent pas réunies pour mettre en œuvre les mesures destinées à libérer le potentiel de croissance, préalable indispensable à la baisse du chômage », avait commenté un économiste de Standard and Poor's.

Sinistre coïncidence.

« Ceux qui jettent de l'huile sur le feu devront un jour rendre compte au peuple. Les intimidations ne nous font pas peur», avait déclaré le président.

On ne savait pas très bien qui'il visait, de l'agence de notation ou des poseurs de bombe qui avaient revendiqué l'attentat.

«Emmanuel, dis-moi franchement, est-ce que nous avons quelque chose à craindre en dehors du désagrément d'être traité comme des écoliers par ces illustres arrogants qui ont laissé pourrir le système pendant des années ?», avait-il alors demandé à son ministre de l'économie.

«Pas grand-chose», avait répondu l'ancien banquier d'affaires.

«La France ne s'est jamais financée à un prix aussi bas», expliqua-t-il avec cet art de la pédagogie qui lui avait permis de faire son chemin, de Rothschild jusqu'au sommet de l'État.

«Tant que le système financier croule sous les liquidités et que nous gardons le cap, il n'y a rien à craindre.»

L'avertissement de l'agence s'était révélé salutaire car elle avait également abaissé d'un cran ou deux la note d'une vingtaine de grandes villes françaises. Dans un parlement où 80 % des députés étaient également des élus locaux, cela avait provoqué une onde de choc. Comme par miracle, une dizaine de frondeurs avaient soudainement rejoint l'enclos de la majorité et voté le budget en session extraordinaire. Un 24 décembre. «Joyeux Noël, Monsieur Hollande !», avait titré Libération. «Quelle bande d'opportunistes ! Petite fronde, petite guerre» : tel était le fond de sa pensée.

Dans les semaines qui suivirent, le Trésor avait continué ses émissions de dette, sans problème. L'argent ne coûtait plus rien. L'analyse de Macron tenait la route. Le président se félicitait de son choix. Son jeune ministre rassurait les marchés. Cristallisant l'hostilité de la gauche, il servait de surcroît de bouclier à Valls. Et l'ancien secrétaire général adjoint avait pris l'habitude de revenir régulièrement au Château débriefer le président. Au fond, sa vocation était celle d'un homme de l'ombre, plus que d'un ministre. Mais en ce soir de février où il avait sollicité une nouvelle entrevue, son regard clair, souligné de cernes inhabituellement sombres, avait perdu sa rassurante sérénité.

«Nous allons vers des moments difficiles», avait-il commencé.

- Il y a un mois tu me disais pourtant qu'il n'y avait rien à craindre.
- C'était il y a un mois. Depuis la Réserve fédérale a accéléré son tapering.
- Son quoi ?
- Disons qu'elle a commencé à refermer le robinet.
- Et ?
- Et pour le dire vite, les taux vont remonter.
- Il y a deux semaines, Trichet m'a dit qu'on ne rejouerait pas le scénario de 1994, que la FED avait préparé les esprits, que le marché anticipait...

Mille neuf cent quatre-vingt-quatorze. Les investisseurs qui désertent. Des taux obligataires à plus de 8%. Il avait fallu revoir le programme d'émissions à la baisse. Ce n'était vraiment pas le moment.

- C'est aussi ce que j'ai pensé. Mais il y a apparemment du nouveau. Les Chinois profitent de l'occasion pour mettre la pression. Ils sont en train de brader les États-Unis comme l'Europe et de ramasser tout le reste. Ils ont peut-être lancé leur offensive finale sur le système de Bretton Woods. Nous ne sommes plus simplement en train de sortir d'un cycle. S'ils sont décidés à sortir de l'hégémonie du dollar, nous allons changer de monde.
- Tu es sûr de ça ?
- Sûr, non. C'est impossible à vérifier. Mais il y a des mouvements étranges sur le marché depuis quelques semaines. À un mois de l'assemblée de printemps du FMI, peut-être qu'ils cherchent à faire monter la pression. C'est une prise de pouvoir... par le marché.
- C'est ironique.
- Assez, oui. C'est le monde.
- Et que peut-on faire ?
- ...

Le jeune ministre se taisait. «Il a réponse à tout. Si un jour il ne répond pas à une de tes questions, c'est qu'il a une idée», l'avait averti Jean-Pierre quand il le lui avait présenté. Depuis, il avait eu de nombreuses fois l'occasion de le vérifier. Il attendit donc que Macron accouche de son idée. Elle était audacieuse, risquée, radicale. Cette histoire de swap de dette géant était une idée de banquier. Elle le dérangeait. La prochaine tombée obligataire était en avril. Il avait un peu de temps. Et puis qui disait que le locataire de Bercy ne se trompait pas, pour une fois ?

Montebourg, l'enfant terrible

Et il avait d'autres soucis. L'épée de Damoclès d'une motion de censure était désormais suspendue au-dessus du gouvernement.

«Batho et Duflot ont des comptes à régler avec toi. L'UMP n'a plus rien à perdre et de toute façon Valls chasse sur leur terrain», avait résumé Jean-Pierre.

Arnaud Montebourg, l'enfant terrible du PS, avait choisi le moment de la crise budgétaire pour lancer son «CAMIC», le «Collectif des Antidépresseurs et des Militants de la Croissance». Après avoir été la risée des éditorialistes, il avait réussi à coaliser divers mouvements hétéroclites, à commencer par les Bonnets rouges qui commençaient à virer à l'orange révolutionnaire. Le retour du «démondialisateur» suscitait une surenchère anti-européenne à gauche.

La tension sociale n'avait cessé de monter jusqu'à ce funeste mercredi 9 mars, où syndicats de salariés, agriculteurs, activistes du CAMIC avaient appelé à une manifestation géante « pour l'emploi et la souveraineté ».

«@Montebourg Emploi et Souveraineté = Travail et Patrie. Ça ne vous rappelle rien ?», avait tweeté Stéphane Le Foll, le dernier des hollandais.

Invoquer Vichy était aussi astucieux qu'inquiétant. Au moment où le porte-parole du gouvernement balançait son bon mot, la manifestation avait commencé à virer à la tragédie.

Parti de la Bastille, le cortège syndical remontait le boulevard Saint-Germain vers l'Assemblée nationale quand il avait été attaqué par des bandes venues des quais de Seine. Des centaines de milliers de personnes avaient refoulé vers le boulevard Raspail. Là, la foule des manifestants était tombée sur les barrages de CRS qui protégeait le quadrilatère des ministères entre rue du Bac, rue Saint-Dominique, boulevard des Invalides et rue de Sèvres.

Des manifestants, passablement éméchés, s'étaient réfugiés dans les murs du Bon Marché où ils avaient commencé à prendre à partie un groupe de clients chinois en leur criant «RENTREZ CHEZ VOUS, BACK HOME !».

La direction paniquée avait fait évacuer le magasin côté rue de Sèvres et abaissé les grilles. Quand des rumeurs de tabassage du côté de l'église Saint-Germain avaient commencé à circuler, la foule avait été prise de panique. Il était trop tard pour disperser la manifestation dans l'ordre. Au lieu de rompre le barrage de CRS pour laisser s'évacuer le flot des manifestations rue de Babylone, Matignon avait cru bon de les renforcer. La fille d'une institutrice bretonne avait fini écrasée contre les grilles du grand magasin de luxe de Bernard Arnault.

Des images de désolation et de vitrines cassées avaient tourné en boucle sur les chaînes d'infos toute la soirée. La petite Jodie était devenue une sorte de martyr national. Marine Le Pen était partout, dénonçant «les forces du désordre».

«Quand l'État se retourne contre ses propres enfants, la barbarie menace», disait-elle.

L'Intérieur soupçonnait une connexion entre les fauteurs de trouble et les services d'ordre du parti frontiste, sans pouvoir l'établir. Les CRS avaient été tenus pour responsables. Il avait fallu se défaire du fidèle Jean-Marc Falcone, le patron de la police nationale.

Rappelé d'urgence d'un déplacement en Corse, Patrick Calvar, dont la haute silhouette avait jadis eu le don d'apaiser le président, s'était montré tout sauf rassurant. Il y aurait d'autres manifestations. Les alertes à la bombe se multipliaient. Marseille, Lille, Brest étaient les principaux foyers à risque, lui avait dit le patron de la sécurité intérieure.

Situation d'urgence

Le Premier ministre était arrivé dans la soirée au Château après une éprouvante réunion de crise... et avec une nouvelle lettre de démission dans la poche. Le président était résolu à la repousser autant que la première. Et qui d'autre ? Dans l'après-midi, avec son acolyte Jean-Pierre, l'un des rares dont il savait qu'il ne nourrissait pas d'ambitions personnelles, ils avaient passé en revue quelques options.

«Fabius ?». «On en a déjà parlé. Il m'a dit : "Il y a des choses qu'on ne refait pas."»

«Sapin ?». «J'ai besoin de lui là où il est.»

«Le Drian ?» «Idem.»

«Najat ?» «Trop verte. Tu la vois présider un conseil des ministres ? Tous ces machos vont la massacrer.»

«Ségolène ?» Un ange était passé. Puis il avait lâché : «Elle ne me fera pas ce cadeau.»

Le secrétaire général regrettait d'avoir posé la question. Comment détendre l'atmosphère ? «Taubira ?», lâcha-t-il soudainement inspiré. Il avait mis dans le mille : le président éclata de rire.

Valls arriva sur ces entrefaites, blême. C'était un battant, mais les événements de l'après-midi l'avaient bouleversé.

«Martine ne demande que cela», avait-il insisté.

Pour qu'il en soit à proposer la maire de Lille pour lui succéder, celle qu'il accusait sept ans plus tôt de fraude électorale, « Mme 35heures », cette passion française qu'il avait échoué à déverrouiller, il fallait que la situation fût grave.

De toute façon, le président n'avait aucune intention de sortir de son chapeau une «anti-Valls» pour Matignon comme il avait nommé un «anti-Montebourg» à Bercy. Il était trop tard.

Au PS, tout le monde se préparait pour une primaire en 2016. La bataille de la présidentielle avait commencé deux ans plus tôt quand la présidente du Front National avait commencé à caracoler en tête des sondages et à le menacer de «se soumettre ou se démettre». L'air de rien, tout le monde s'était calé sur cette perspective. La loi des anticipations autoréalisatrices, dont on connaissait les effets dévastateurs dans la finance, s'apprêtait à faire exploser le marché politique.

«Manuel, tu dois rester», avait conclu le président. Et Valls avait repassé la Seine sans broncher.

La visite dominicale

Et pour couronner le tout, ce dimanche matin, il avait fallu sacrifier au rituel de la visite à Berlin pour préparer le sommet qui devait se tenir jeudi à Bruxelles. Quand il vivait avec Ségolène, il aurait fait n'importe quoi pour se soustraire aux rituels dominicaux. Mais à ce moment précis, il en était presque venu à les regretter.

La chancelière l'avait une fois de plus honoré de sa « liste de courses », cette manière si particulière qu'elle avait d'énumérer des demandes minuscules sans jamais tout à fait abattre ses cartes. Elle ne céderait rien sur les réformes. Ou pas grand-chose. Elle le lui avait fait comprendre lors d'une longue promenade à pied dans un Tiergarten enneigé, bouclé pour l'occasion.

«Que se passe-t-il chez toi ?», lui avait-elle demandé très directement.

«Les Français ont peur», avait-il répondu. Puis, elle : «Et toi, tu as peur de leur peur ? »

Peur de leur peur ? Il n'avait pas répondu.

Angela restait inexorablement hermétique à la logique de Ve République. Elle comptait sur lui pour reconstituer sa majorité. Il le savait désormais impossible. Le suffrage des Français l'avait investi d'un immense pouvoir, un pouvoir plus grand qu'elle n'en aurait jamais. Comme ses prédécesseurs, il s'était surpris à bénir ces institutions taillées sur mesure pour celui qui avait été l'homme à abattre de la gauche pendant tant d'années. Me voilà gaulliste, pensa-t-il avec amusement.

À son tour, il prendrait le pays à témoin.

Sur le chemin du retour vers l'aéroport, en plein Mitte, ce quartier où s'effaçaient lentement les traces du Mur, sous l'assaut des promotions immobilières, la voiture avait longé les hauts murs du nouveau siège du BND, les services de renseignement extérieurs allemands. Ce n'était pas un immeuble, c'était tout un pâté de maisons, sorti de terre en quelques années. Il lui était alors revenu à l'esprit cet entretien qu'il avait eu quelques semaines plus tôt avec le patron de la DGSE.

Bernard Bajolet était venu demander des crédits, qu'il n'avait pas, pour moderniser la caserne de l'avenue Mortier. Il s'était justifié en évoquant les investissements de ses confrères allemands. L'Allemagne avait visiblement des ambitions. Et elle était prête - mais avait-elle le choix ? - à jouer le jeu européen.

Devant elle, il avait évoqué la relance de l'Europe de la défense. Créer un vrai pôle européen au sein de l'Otan et des Nations unies. Le moment était venu d'abattre son joker, de mettre sur la table la puissance de son pays. La puissance, contre du temps, contre les moyens de terminer le virage qu'il avait commencé à imprimer à l'été précédent. Il lui manquait, à elle et à ce Bundestag « aussi provincial que puissant », comme l'avait qualifié jadis un ambassadeur, tout à la fois la mémoire et la culture de l'intervention.

L'Allemagne était riche d'une universalité culturelle, pas politique. Il lui offrait de la partager. Il était renvoyé à cette question embarrassante : entrerait-il dans l'Histoire comme le président sous lequel son cher pays avait perdu le privilège d'avoir été rangé parmi les puissances victorieuses en 1945 ?

Montebourg en sauveur ?

Le même jour, Montebourg était l'invité de Jean-Jacques Bourdin. « On est en pleine mascarade », avait-il dit sur BFM. « Ce n'est plus une présidence c'est une régence ! Anne d'Autriche gouverne depuis Berlin, Mazarin dicte ses conditions à Francfort », visant Angela Merkel et Mario Draghi. Puis de conclure, fier de son bon mot : « Et à Paris, le souverain attend dans son château que l'on décide pour lui. »

«Monsieur Montebourg, en juin dernier, je vous demandais si vous aviez votre lettre de démission dans votre poche. Maintenant que vous avez quitté le gouvernement, les Français aimeraient savoir si vos amis préparent une motion de censure.»

«Je n'ai plus de mandat, mais je suis du côté du peuple», avait été sa seule réponse.

À midi, l'enfant terrible du PS laissait un message sur son portable pour offrir ses services à Matignon. Se poser en Grand Condé à 8 heures, sur les ondes... et se vendre comme le nouveau Mazarin une heure plus tard ! Il ne doutait de rien. Le manque du pouvoir lui faisait perdre le sens des réalités. Montebourg à Matignon, c'était franchir un pas supplémentaire vers l'abîme. Le dégoût et la raison dictaient au président une même réponse : le silence.

Sauver son quinquennat

La politique avait toujours été pétrie d'un mélange de vanité et d'ambition. Et il se connaissait assez pour savoir qu'il n'était pas une exception. Mais depuis qu'il avait fêté ses 60 ans, il se sentait de plus en plus en décalage avec cette génération de jeunes quinquas aux dents longues que rien ne pouvait arrêter. Peut-être était-il responsable, avec ceux de sa génération, de cette dérive. Peut-être avait-il lui aussi trop calculé, trop tergiversé, trop aimé le pouvoir. À présent, il lui restait à imprimer sa marque sur l'Histoire, ce bain chimique où les événements et les hommes versaient tour à tour d'inégales doses de grandeur et de petitesse... et à sauver son quinquennat.

Une neige mouillée s'était remise à tomber sur le parc du Château. Il prit la direction de la terrasse qu'inondait la lumière jaune des lustres en cristal. Michel Sapin l'attendait à l'intérieur. Il éprouva le réconfort de se sentir entouré. Le pouvoir avait fait de lui un homme seul. Mais il ne l'avait pas changé : il ne serait jamais un solitaire.

« Alors, Riga ? », demanda-t-il à son ministre qui rentrait d'un conseil informel dans la capitale lettone. « Comme d'habitude. Schäuble m'a gratifié d'un regard désolé que je ne lui connaissais pas. Quant à Pierre, je ne l'ai pas trouvé très en forme. Il m'a parlé longuement du tintement sinistre des cloches du Dôme, du calvinisme et de je-ne-sais-quoi. » Bruxelles avait rendu Moscovici mélancolique.

«Tu sais que Marie-Charline l'accompagne dans ses déplacements, le week-end ? C'était la condition sine qua non pour qu'elle lui suive à Bruxelles. Il m'a dit qu'elle n'arrêtait pas de se plaindre du froid...», avait continué le ministre.

«Tu as vu les conclusions du conseil ? »

Dans le mail du directeur du Trésor reçu la veille figuraient en gras les ajouts apportés au projet de conclusions du Conseil Ecofin pendant la séance de travail :

«Le Conseil a bien pris note de la dégradation de la notation française et ne s'attend pas à ce qu'elle ait un impact sur son coût de financement. Conformément à l'article 126 (7) du traité, il demande par ailleurs aux autorités françaises d'apporter à la Commission des précisions sur les mesures additionnelles qu'il entend prendre pour tenir ses engagements de consolidation budgétaire tout en veillant aux conséquences sociales et aux éventuels effets récessifs de telles mesures.»

Elles étaient précédées de cette remarque de Bruno Bézard : « Le ministre s'est bien battu. »

«Ils sont prêts à attendre 2016. Mais on n'échappera pas à un "pacte de responsabilité 2.0". En revanche, Wolfgang a donné son feu vert pour déduire un tiers des dépenses de défense du déficit. Une grosse dizaine de milliards. En y ajoutant deux points de TVA sociale, ce sont 26milliards de déficit qui pourraient s'évaporer. Un gros 30%.»

De quoi épargner à tout le monde le désagrément de perdre la face. Sur ce, Jean-Pierre Jouyet arriva, presque souriant. Ils étaient heureux de se retrouver tous les trois. Que de chemin parcouru depuis l'époque de la promotion Voltaire et de Coëtquidan ! Le secrétaire général de l'Élysée rentrait de sa mission à Sablé-sur-Sarthe.

Leur plan avait commencé à prendre forme au terme d'une réunion de crise qui avait viré au conciliabule nocturne. Le patron du contre-espionnage était formel. En 2017, « les conditions sont réunies pour : petit un la guerre sociale, petit deux une redistribution sans précédent de la carte électorale », avait expliqué le fils de gendarme.

Il fallait agir vite, avant que les comités de gauche aient le temps de s'organiser et tant que Sarkozy, poursuivi par les affaires, en était réduit à annoncer son retour... sans pouvoir le faire. L'alliance Juppé-Raffarin-Fillon, nouée au moment de l'affaire Bygmalion, avait fait long feu. Le premier s'était installé à la tête du parti gaulliste, ou de ce qu'il en restait. Le FN se préparait pour les législatives, mais il lui fallait encore douze mois au bas mot, assurait la DGSI. Si le trio Cambadélis-Désir-Guigou réussissait sa campagne, le PS s'en sortirait avec 150 sièges. L'UMP pouvait en espérer tout juste autant...

«Il est partant ? », demanda Hollande. «Je crois que tu l'as convaincu», répondit l'ancien ministre de François Fillon. Le président n'aurait jamais pensé que l'escapade sarkozienne de Jean-Pierre, qui l'avait privé pendant des années d'une précieuse amitié, lui fournirait un jour la clé de sa survie.

«Mais il a posé une condition. Il veut choisir lui-même les ministres UMP. Il m'a dit : "Je ne veux pas d'un gouvernement d'ouverture, mais d'une grande coalition." À l'allemande», avait ajouté Jouyet. Fillon, après s'en être arrangé avec le nouveau président du parti, Nicolas Sarkozy, empêtré dans ses « affaires », leur avait promis d'apporter les députés UMP à un gouvernement d'union nationale, contre Matignon.

Le reste de l'Assemblée allait être dispersé comme jamais entre Front national et extrême gauche. Et on pouvait toujours compter sur les Verts pour s'auto-dissoudre. D'ailleurs la jeune garde laissait savoir qu'elle était prête à rallier une majorité bicolore contre les nationalistes de droite et la gauche souverainiste.

«Je les entends déjà», avait dit Jean-Pierre. Ils vont dire : «Il se prend pour Chirac.» «Ou pour Louis XIV», s'amusa Hollande.

Et le secrétaire général dLezs e l'Élysée de poursuivre :

« Schröder a dit un jour qu'il rentrerait dans l'Histoire pour deux choses : ses réformes du marché du travail et le "non" à George W. Bush au moment de la guerre en Irak. Toi ce sera pour avoir provoqué un changement de régime.»

Il était tard. Les trois amis se quittèrent de bonne humeur, légèrement grisés par ce secret qu'ils partageraient encore quelques heures. Le président retourna à son bureau, prit une feuille blanche et déboucha un stylo.

« Mes chers compatriotes, après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l'Assemblée nationale, j'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale...»

Il aurait bien le temps de les avertir le lendemain... Sur son bureau, il avait conservé le message de vœu du patron du renseignement : ad augusta per angusta.

 Epilogue. Dimanche 7 mai 2017

Les réunions de rédaction du quotidien Le Monde n'avaient jamais été une promenade de santé. Mais les deux années qui venaient de s'écouler s'étaient avérées particulièrement éprouvantes. Le journal reproduisait en son sein la lutte entre la social-démocratie et la gauche historique. Le choix hollandais divisait.

Plus d'une fois l'éditorialiste avait apporté son soutien au tandem Hollande-Fillon... et les rédacteurs aux adversaires des réformes. Cela avait été le cas au moment de créer le contrat de travail unique qui rétablissait un peu d'équité sur le marché du travail, ou quand il s'était agi de faire converger les régimes de retraite publics et privés, tout en relevant l'âge de départ à 65 ans. Le sujet le moins controversé n'avait pas été le lancement en 2016 de la négociation sur le traité sur la communauté européenne de défense.

L'idée de mettre le siège français au conseil de sécurité des Nations unies dans la corbeille avait déclenché une guerre sainte. Le retournement avait eu lieu fin 2015. Le krach obligataire annoncé par Macron, qu'il avait maintenu à Bercy, n'avait pas eu lieu.

Les Chinois s'étaient contentés de placer Zhu Min à la tête du Fonds monétaire international quand sa directrice générale avait finalement jeté l'éponge. Pendant l'été 2015, les investisseurs étaient revenus sur le marché de la dette française et les carnets de commandes des champions nationaux avaient commencé à enfler grâce au plan d'investissement géant lancé depuis Bruxelles par Jean-Claude Juncker. La gauche du parti avait sombré dans des querelles de personnes, comme le président l'avait prévu. Au point que Cambadélis avait renoncé à organiser une primaire.

Et désormais, le peuple avait parlé. La réélection du président contre Marine Le Pen à 54 % mettait finalement tout le monde d'accord. En une de l'édition spéciale élection du journal du soir, l'éditorial était sobrement intitulé : « Le Phénix. »

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