Bourse : en pleine crise, le courtage en ligne bat des records historiques

Par Juliette Raynal  |   |  995  mots
(Crédits : Charles Platiau)
Alors que le CAC 40 a perdu plus de 30% de sa valeur au cours des dernières semaines, Boursorama et ING, qui proposent des services de courtage en ligne, ont vu leur nombre d'ouvertures de comptes-titres et PEA bondir en mars. Certains particuliers attirés par les marchés boursiers semblent s'être décidés à sauter le pas pour accéder à des actions à des montants fortement décotés.

"C'est le moment de faire de bonnes affaires en Bourse". La petite phrase lâchée par la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher, interviewée le 10 mars dernier sur Cnews au lendemain d'un lundi noir sur les marchés, n'était pas passée inaperçue et avait fait l'objet de vives critiques sur les réseaux sociaux. Les internautes jugeant ces propos déplacés, opportunistes, voire cyniques à l'heure où l'épidémie du coronavirus avait déjà fait plusieurs milliers de victimes dans le monde et menaçait les économies.

Pourtant, quelques semaines plus tard, force est de constater que de nombreuses personnes ont eu le même raisonnement que la secrétaire d'Etat. "Nous avons enregistré un record du nombre d'ouvertures de comptes titre, PEA et PEA-PME. Plus de 20.000 ont été ouverts au cours du seul mois de mars. C'est vraiment beaucoup plus que ce que nous observons habituellement", relève Benoît Grisoni, le directeur général de Boursorama, qui propose une offre de courtage en ligne à ses clients.

Records de transactions et d'ouvertures de comptes

Même constat chez son concurrent ING Banque.

"Nous sommes sur des records historiques, avec des niveaux quotidiens de transactions sur les marchés 3,5 à 4 fois supérieurs à la moyenne observée au cours des 15 derniers mois. Concernant les ouvertures de comptes titres et PEA, elles sont sur le mois de mars six fois supérieures sans aucune proactivité commerciale de notre part. Côté investissements, nous sommes à des niveaux 20 fois supérieurs", témoigne Julien Schahl, responsable de l'activité d'épargne et des produits d'investissement pour la banque de détail ING. Selon lui, tous les acteurs de la place enregistrent un boom similaire.

Comment expliquer un tel engouement alors que la très forte volatilité des marchés pourrait, au contraire, être dissuasive ?

Un certain nombre de nos clients semblent estimer que la période représente un point d'entrée intéressant", répond Julien Schahl. "Le niveau des marchés n'a jamais été aussi bas depuis des années. Certaines actions ont perdu 30%, voire 50 % de leur valeur".

Certains particuliers attirés par les marchés boursiers depuis quelques mois, se seraient donc décidés à sauter le pas voyant l'opportunité d'accéder à des actions à des montants fortement décotés. Pour rappel, le CAC 40 est passé en dessous de la barre des 4.000 points le 16 mars dernier, contre 6.000 points fin 2019. Il évolue aujourd'hui à un peu plus de 4.200 points.

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"Un titre qui chute sur ses plus bas historiques n'est pas une opportunité d'achat. C'est un dossier épineux dont le marché ne veut pas", met toutefois en garde sur Twitter Nicolas Chéron, responsable de la recherche marché pour le courtier en ligne Binck.fr racheté par Saxo Banque.

Une tendance de fond

"70% des ordres au mois de mars étaient des achats", constate, pour sa part, Benoît Grisoni. Selon lui, plusieurs stratégies ont pu guider les investisseurs particuliers. "Certains investisseurs ont racheté des titres qu'ils avaient déjà en portefeuille pour faire baisser leur moyenne d'achat. Ils sont convaincus que ces valeurs vont rebondir à un moment donné. D'autres ont acheté des titres pour la première fois car ils ont consulté des conseils techniques ou des fondamentaux et se sont intéressés à l'économie", expose-t-il.

Toutefois, selon le dirigeant de la banque en ligne du groupe Société Générale, cet intérêt grandissant des Français pour la Bourse ne date pas du mois de mars.

"Il s'agit d'une tendance de fond. Notre précédent record historique a été enregistré en novembre dernier, lors de l'introduction en Bourse de la Française des Jeux (FDJ). Pendant de nombreuses années, avec les fonds en euros [proposés dans le cadre d'un contrat d'assurance vie, ndlr] , les particuliers pouvaient bénéficier de produits très intéressants, combinant bon rendement, liquidité et sécurité. Ces trois conditions ne peuvent désormais plus être réunies simultanément dans un contexte de taux durablement bas, voire négatifs. C'est un changement de paradigme. Et on assiste petit à petit à une prise de conscience des épargnants qui s'orientent vers d'autres produits proposant de meilleurs rendements, comme les supports en unités de compte pour l'assurance vie ou les comptes-titres et PEA", expose-t-il.

La forte baisse des marchés, rendant ces produits financiers plus accessibles, aurait donc agi comme un déclencheur. Résultats, les Français sont aussi très nombreux à consulter des contenus pédagogiques ou à assister à des conférences en ligne pour se former à ces sujets. L'émission quotidienne de Boursorama baptisée Ecorama enregistre des records d'audience. "Certaines des vidéos ont été consultées plus de 600.000 fois sur le mois de mars", fait valoir Benoît Grisoni. Et des milliers d'internautes s'inscrivent à des webinars faisant intervenir des spécialistes de la gestion d'actifs.

Attention aux arnaques

Outre cette recherche de gains à un moment jugé opportun, le contexte de confinement semble aussi pousser certains particuliers au boursicotage.

"En discutant avec des lecteurs, je me rends compte qu'ils sont nombreux à passer des ordres par envie de trader, par manque de patience, par ennui. Investir a pour but de gagner de l'argent, pas de jouer, ni de satisfaire votre égo, ni à avoir raison. Apprenez à ne rien faire", tance sur Twitter Nicolas Chéron.

Alors que de nombreux investisseurs novices s'essaient à la Bourse pour la première fois, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a récemment appelé le public à la plus grande vigilance face au risque d'escroqueries dans le contexte de l'épidémie et de repli des marchés financiers. Le gendarme de la Bourse met aussi régulièrement à jour une liste des sites internet proposant d'investir dans des biens divers sans disposer des autorisations nécessaires.

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