Nucléaire : Jimmy, cette startup française qui se lance bille en tête dans la course aux mini-réacteurs (SMR)

Arriver la première sur le marché naissant et très concurrentiel des petits réacteurs nucléaires modulaires ou SMR. C'est bien l'ambition de la startup parisienne Jimmy, qui vient de déposer sa demande d'autorisation de création auprès du gouvernement. Une première. Reste que les défis à venir sont nombreux pour la jeune pousse, dont les futures chaudières nucléaires nécessiteront un combustible très particulier.
Juliette Raynal
Vue imaginée de la chaudière nucléaire de la start-up Jimmy.
Vue imaginée de la chaudière nucléaire de la start-up Jimmy. (Crédits : Jimmy)

C'est une étape clé qui vient d'être franchie pour la startup Jimmy. La jeune pousse, qui planche sur le développement de micro réacteurs nucléaires destinés à la production de chaleur pour les sites industriels, vient de déposer sa demande d'autorisation de création (DAC) auprès du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires .

Alors qu'une dizaine de projets œuvrant au développement de petits réacteurs nucléaires modulaires (ou SMR pour Small modular reactors en anglais) sur le territoire français ont éclos au cours des derniers mois, Jimmy est le premier de ces nouveaux acteurs à passer ce cap, lequel ouvre la phase d'instruction de son dossier par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du secteur. Les projets Nuward, emmenés par EDF, et Calogena, piloté par l'entreprise familiale Gorgé, dont le niveau de maturité technologique est pourtant plus élevé, ne visent cette étape qu'à l'horizon 2026.

Lire aussiNucléaire : après 12 ans de retard, EDF va enfin mettre en service l'EPR de Flamanville

Vers une première chaudière nucléaire dans la Marne

Si cette phase d'instruction aboutit, ainsi que les études environnementales et consultations publiques obligatoires, un mini réacteur d'une puissance de 10 mégawatts (MW) pourrait être installé sur le site industriel du groupe sucrier Cristal Union de Bazancourt (Marne), qui se présente comme l'un des plus gros producteurs européens de sucre et d'alcool.

Fondée en 2020 par Antoine Guyot et Mathilde Grivet, Jimmy développe une petite chaudière nucléaire destinée à remplacer les brûleurs à gaz pour produire de la chaleur. Elle vise essentiellement les industriels des marchés de la chimie, de l'agroalimentaire et les papeteries, tous grands consommateurs de vapeur, en quête de décarbonation.

La startup, qui a levé près de 20 millions d'euros et décroché une aide d'Etat de 32 millions d'euros dans le cadre du plan France 2030, a d'ores et déjà annoncé vouloir investir 100 millions d'euros pour bâtir une plateforme industrielle au Creusot (Saône-et-Loire), dédiée à la construction et à l'assemblage de ses futurs générateurs thermiques.

Lire aussiDécarbonation de l'industrie : la startup parisienne Jimmy s'implante au Creusot

Sauter une étape, malgré les recommandations de l'ASN

Depuis sa création, Jimmy affiche un calendrier particulièrement ambitieux avec une mise en service d'un premier démonstrateur industriel programmée dès 2026. Motivés par l'envie d'arriver les premiers sur le marché, ses fondateurs ont même choisi de sauter l'étape, non obligatoire mais néanmoins fortement conseillée par l'ASN, de pré-instruction du dossier, destinée à « dé-risquer » le développement du réacteur. Or le projet de Jimmy repose sur la technologie des réacteurs à haute température (HTR), dont le degré de maturité n'est pas le plus élevé et dont la grande particularité a trait à la nature très spécifique des combustibles nécessaires.

En effet, ce type de réacteur ne fonctionne pas avec le même « carburant » qu'utilisent actuellement les centrales nucléaires en exploitation en France. Les réacteurs HTR doivent être alimentés par des combustibles dits « TRISO », dont le grand avantage est d'assurer un puissant confinement de la matière. « 80% de la démonstration de sûreté va reposer sur la qualité des combustibles », précisait ainsi Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants au sein de l'ASN, lors d'un point presse en février dernier.

Dans le détail, ces combustibles s'apparentent à des microbilles dans lesquelles se trouve un cœur en uranium enveloppé de plusieurs couches de carbure de silicium. Ces dernières « résistent à de très hautes températures », assure Philippe Dupuy.« Ainsi le combustible ne fond pas et la couche de carbure de silicium assure une barrière de confinement quasiment indestructible. Même en cas d'accident, les produits de fission resteront piégés dans ces microbilles », poursuit-il.

Lire aussiNucléaire : le gouvernement veut construire « un hub » de recyclage du combustible à La Hague

La disponibilité des combustibles en question

Seul hic, aujourd'hui, « il n'existe pas de capacités industrielles et de procédé complètement industrialisé » pour fabriquer ce type de combustible, indique-t-on à l'ASN. Pour l'heure, ce combustible n'est, en effet, produit que de manière artisanale afin d'alimenter des réacteurs expérimentaux.

« Les Américains ont mis sur la table plusieurs milliards de dollars pour développer des capacités industrielles, (...) et l'Union européenne se pose aussi la question afin d'acquérir une autonomie pour produire ce type de combustibles », glisse toutefois Philippe Dupuy.

Ce n'est pas tout. Pour atteindre une rentabilité économique correcte, ce combustible doit utiliser de l'uranium enrichi à 20%, contre 5% pour les combustibles utilisés dans le parc atomique tricolore. Or, « aujourd'hui, il n'existe aucune capacité industrielle civile pour fabriquer de l'uranium à ce taux d'enrichissement, pointe Philippe Dupuy. Il existe toutefois des stocks aux Etats-Unis et en Russie qui découlent du recyclage des armes militaires ».

Des investissements colossaux à prévoir

Alors la startup Jimmy est-elle dans une impasse malgré les grandes ambitions affichées ? Selon le gendarme du nucléaire, la jeune pousse devrait faire fonctionner son premier démonstrateur industriel sans chercher une rentabilité économique immédiate. Le réacteur tournerait ainsi à partir de combustibles comportant de l'uranium enrichi « seulement » à 9%. Ce que les Etats-Unis peuvent fournir. La startup indique d'ailleurs avoir déjà sécurisé cet approvisionnement auprès d'un acteur américain, sans en dévoiler l'identité.

Lire aussiNucléaire : la France s'attaque au sujet brûlant des financements internationaux

Mais quid du moyen et du long terme ? Il n'y a « pas de verrou technologique », assure le gendarme du nucléaire, « la question c'est : est-ce qu'on veut développer une ligne de production » dédiée ? La réponse est loin d'être évidente, car il existe aujourd'hui moins d'une dizaine d'usines d'enrichissement dans le monde et développer une ligne de production ad hoc nécessiterait des investissements colossaux, qui se compteraient en milliards d'euros.

Juliette Raynal

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 15
à écrit le 08/05/2024 à 12:49
Signaler
Ça tombe à pic, on démantèle actuellement des sous marins ils vont pouvoirs récupérer au minimum des turbine vapeur pas trop cher.

à écrit le 02/05/2024 à 17:31
Signaler
contrairement aux EPR les SMR peuvent faire de la cogénération c'est à dire exploiter totalement la chaleur de la réaction au lieu d'en dissiper 70% dans l'eau ou dans l'atmosphère mais même comme cela le système est beaucoup trop complexe pour être ...

le 08/05/2024 à 12:50
Signaler
Donc, que proposez-vous?

à écrit le 01/05/2024 à 11:56
Signaler
C'est une idée toute pourrie ces mini centrales éparpillées un peu partout . Combien de temps pour dépolluer déjà de l'uranium ? De souvenir les bombes A sont constituées d'uranium 235 comme ces petits réacteurs de plus de 500 tonnes. Donc on les fab...

le 02/05/2024 à 12:36
Signaler
Sans avoir perdu du temps à lire tout le texte, il faut tout de même rectifier un point : un réacteur ne peut pas se transformer en bombe nucléaire.

à écrit le 01/05/2024 à 11:34
Signaler
ça sent la bulle a plein nez, comme il doit y avoir un financement monstrueux du public (EDF, CDC, BPi, etc.) il faut aller vite quitte à ignorer la sécurité. Et puis la sécurité dans le secteur privé... s'il n'y avait pas de lois pour l'assurer, ce ...

le 02/05/2024 à 12:33
Signaler
Tous les poncifs de l'écologie au ras des pâquerettes, mais le problème ne se situe pas vraiment là car les mêmes règles de sûreté s'appliquant à toutes les installations nucléaires, grandes ou petites.

à écrit le 01/05/2024 à 9:43
Signaler
Le Nucléaire doit rester sous contrôle stricte des pouvoirs publics. En outre pourquoi se lancer dans ces mini-réacteurs..

à écrit le 30/04/2024 à 17:23
Signaler
j'ai un tres gros souci, la!!! ce genre d'industrie est intensive en capital, ( vous savez, le capital capitaliste qui exploite les creves la faim de la cgt a 6.000 euros par mois, et qui a ete degage de france depuis 1981) et intensive en normes not...

le 30/04/2024 à 23:49
Signaler
Effectivement, les fondateurs de cette startup n'ont aucune expérience dans le domaine, contrairement à ceux de la plupart des autres startups françaises ou étrangères, en général issus du milieu. C'est certainement ce qui explique leur démarche impr...

à écrit le 30/04/2024 à 17:02
Signaler
Privatisation de l'énergie à tout va, autant des ENR que des centrales nucléaires après la destruction des organismes contrôleurs, écologie de croissance vous dîtes ? En cas d'accident ou d'attentats, pensez vous que la start up va faire face ?

le 30/04/2024 à 17:39
Signaler
L’alternative c’est, en restant bien au chaud dans ses pantoufles, attendre que les Chinois arrivent…….

à écrit le 30/04/2024 à 16:58
Signaler
Les SMR, ca existe déjà et ca produit de l'énergie depuis des années 1976 !! Allez voir sur le site de Technicatome. Le K15 produit 150 MW. Le K22 produit 220 MW. C'est réutilisé une techno validé (et de qualité militaire) sur c'est moins sexy pou...

à écrit le 30/04/2024 à 15:02
Signaler
Les SMR: une folie.

le 30/04/2024 à 23:44
Signaler
De quelle façon réutiliser une technologie maîtrisée depuis 50 ans dans le domaine militaire pour des applications civiles serait une folie ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.