C'est une étape clé qui vient d'être franchie pour la startup Jimmy. La jeune pousse, qui planche sur le développement de micro réacteurs nucléaires destinés à la production de chaleur pour les sites industriels, vient de déposer sa demande d'autorisation de création (DAC) auprès du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires .
Alors qu'une dizaine de projets œuvrant au développement de petits réacteurs nucléaires modulaires (ou SMR pour Small modular reactors en anglais) sur le territoire français ont éclos au cours des derniers mois, Jimmy est le premier de ces nouveaux acteurs à passer ce cap, lequel ouvre la phase d'instruction de son dossier par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du secteur. Les projets Nuward, emmenés par EDF, et Calogena, piloté par l'entreprise familiale Gorgé, dont le niveau de maturité technologique est pourtant plus élevé, ne visent cette étape qu'à l'horizon 2026.
Vers une première chaudière nucléaire dans la Marne
Si cette phase d'instruction aboutit, ainsi que les études environnementales et consultations publiques obligatoires, un mini réacteur d'une puissance de 10 mégawatts (MW) pourrait être installé sur le site industriel du groupe sucrier Cristal Union de Bazancourt (Marne), qui se présente comme l'un des plus gros producteurs européens de sucre et d'alcool.
Fondée en 2020 par Antoine Guyot et Mathilde Grivet, Jimmy développe une petite chaudière nucléaire destinée à remplacer les brûleurs à gaz pour produire de la chaleur. Elle vise essentiellement les industriels des marchés de la chimie, de l'agroalimentaire et les papeteries, tous grands consommateurs de vapeur, en quête de décarbonation.
La startup, qui a levé près de 20 millions d'euros et décroché une aide d'Etat de 32 millions d'euros dans le cadre du plan France 2030, a d'ores et déjà annoncé vouloir investir 100 millions d'euros pour bâtir une plateforme industrielle au Creusot (Saône-et-Loire), dédiée à la construction et à l'assemblage de ses futurs générateurs thermiques.
Sauter une étape, malgré les recommandations de l'ASN
Depuis sa création, Jimmy affiche un calendrier particulièrement ambitieux avec une mise en service d'un premier démonstrateur industriel programmée dès 2026. Motivés par l'envie d'arriver les premiers sur le marché, ses fondateurs ont même choisi de sauter l'étape, non obligatoire mais néanmoins fortement conseillée par l'ASN, de pré-instruction du dossier, destinée à « dé-risquer » le développement du réacteur. Or le projet de Jimmy repose sur la technologie des réacteurs à haute température (HTR), dont le degré de maturité n'est pas le plus élevé et dont la grande particularité a trait à la nature très spécifique des combustibles nécessaires.
En effet, ce type de réacteur ne fonctionne pas avec le même « carburant » qu'utilisent actuellement les centrales nucléaires en exploitation en France. Les réacteurs HTR doivent être alimentés par des combustibles dits « TRISO », dont le grand avantage est d'assurer un puissant confinement de la matière. « 80% de la démonstration de sûreté va reposer sur la qualité des combustibles », précisait ainsi Philippe Dupuy, chef de la mission réacteurs innovants au sein de l'ASN, lors d'un point presse en février dernier.
Dans le détail, ces combustibles s'apparentent à des microbilles dans lesquelles se trouve un cœur en uranium enveloppé de plusieurs couches de carbure de silicium. Ces dernières « résistent à de très hautes températures », assure Philippe Dupuy.« Ainsi le combustible ne fond pas et la couche de carbure de silicium assure une barrière de confinement quasiment indestructible. Même en cas d'accident, les produits de fission resteront piégés dans ces microbilles », poursuit-il.
La disponibilité des combustibles en question
Seul hic, aujourd'hui, « il n'existe pas de capacités industrielles et de procédé complètement industrialisé » pour fabriquer ce type de combustible, indique-t-on à l'ASN. Pour l'heure, ce combustible n'est, en effet, produit que de manière artisanale afin d'alimenter des réacteurs expérimentaux.
« Les Américains ont mis sur la table plusieurs milliards de dollars pour développer des capacités industrielles, (...) et l'Union européenne se pose aussi la question afin d'acquérir une autonomie pour produire ce type de combustibles », glisse toutefois Philippe Dupuy.
Ce n'est pas tout. Pour atteindre une rentabilité économique correcte, ce combustible doit utiliser de l'uranium enrichi à 20%, contre 5% pour les combustibles utilisés dans le parc atomique tricolore. Or, « aujourd'hui, il n'existe aucune capacité industrielle civile pour fabriquer de l'uranium à ce taux d'enrichissement, pointe Philippe Dupuy. Il existe toutefois des stocks aux Etats-Unis et en Russie qui découlent du recyclage des armes militaires ».
Des investissements colossaux à prévoir
Alors la startup Jimmy est-elle dans une impasse malgré les grandes ambitions affichées ? Selon le gendarme du nucléaire, la jeune pousse devrait faire fonctionner son premier démonstrateur industriel sans chercher une rentabilité économique immédiate. Le réacteur tournerait ainsi à partir de combustibles comportant de l'uranium enrichi « seulement » à 9%. Ce que les Etats-Unis peuvent fournir. La startup indique d'ailleurs avoir déjà sécurisé cet approvisionnement auprès d'un acteur américain, sans en dévoiler l'identité.
Mais quid du moyen et du long terme ? Il n'y a « pas de verrou technologique », assure le gendarme du nucléaire, « la question c'est : est-ce qu'on veut développer une ligne de production » dédiée ? La réponse est loin d'être évidente, car il existe aujourd'hui moins d'une dizaine d'usines d'enrichissement dans le monde et développer une ligne de production ad hoc nécessiterait des investissements colossaux, qui se compteraient en milliards d'euros.
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