Nouvelle feuille de route énergétique de la France : la loi enterrée, le grand public appelé à définir « les chemins » possibles

La nouvelle stratégie énergétique de la France ne fera pas l'objet d'un débat parlementaire, comme initialement envisagé. Après de longs mois de flottement, le gouvernement a annoncé ce jeudi vouloir adopter sa feuille de route énergétique par décret d'ici la fin de l'année, après avoir consulté les Français.
Juliette Raynal
Les grandes orientations de la PPE ne seront donc pas gravées dans la loi, comme l'exige pourtant le Code de l'énergie (Photo d'illustration).
Les grandes orientations de la PPE ne seront donc pas gravées dans la loi, comme l'exige pourtant le Code de l'énergie (Photo d'illustration). (Crédits : DR)

« Ce n'est pas une surprise, mais cela reste une déception », réagit Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Après des mois de tergiversation et de reports, le gouvernement a enfin fait le choix qu'il n'osait assumer publiquement : opter pour la voie réglementaire, afin de définir la feuille de route énergétique de la France pour les horizons 2030 et 2035, à travers la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Et ce, afin d'éviter un débat parlementaire trop risqué dans le cadre d'une majorité relative à l'Assemblée nationale, où la droite et la gauche s'écharpent sur le développement des énergies renouvelables et celui du nucléaire.

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Les grandes orientations de la PPE ne seront donc pas gravées dans la loi, comme l'exige pourtant le Code de l'énergie. Pour des enjeux de « rapidité et de visibilité », la voie réglementaire nous semble « être le meilleur levier », s'est contenté de justifier à plusieurs reprises à la presse l'entourage du ministre de l'Energie, Roland Lescure. Lequel table sur une publication du décret d'application de la PPE avant la fin de l'année.

« Un prochain gouvernement pourra d'une simple signature modifier complètement les engagements climatiques et énergétiques de la France, créant une instabilité totale à l'opposé de l'esprit de planification », déplore Nicolas Nace, chargé de campagne Transition énergétique au sein de l'ONG anti-nucléaire Greenpeace France.

Une consultation de deux mois prévue en mai...

Le débat parlementaire abandonné laissera place à un débat grand public, comme l'avait annoncé le Premier ministre, Gabriel Attal. La Commission nationale du débat public (CNDP) sera ainsi saisie par le gouvernement « d'ici la fin de la semaine » pour lancer une consultation publique sur la PPE.

L'objectif est d'engager « la consultation en mai pour deux mois », avec des résultats attendus « à la fin de l'été », détaille le cabinet de Roland Lescure. Cette consultation se déroulera à la fois en ligne et de manière physique, explique l'entourage du ministre, sans donner davantage de détails sur sa mise en œuvre.

Concrètement, la nouvelle PPE consiste à définir la répartition des différentes sources d'énergie nécessaires pour répondre à la demande future. Autrement dit, il s'agit de fixer des objectifs, de puissances et de volumes de production, jusqu'en 2035 pour le développement de chaque filière (photovoltaïque, éolien, nucléaire, biomasse, etc.). Et ce, dans l'objectif de réduire considérablement la part des énergies fossiles dans la consommation des Français.

La consultation auprès du grand public ne partira pas de zéro. Elle reprendra le travail de la Stratégie française énergie-climat (SFEC), un document gouvernemental publié à l'automne dernier et fruit des concertations menées entre les acteurs des filières concernées et des élus, sous l'égide de l'ex-ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

... pour définir « les moyens et les chemins »

Les Français ne seront donc pas appelés à débattre des objectifs pour chaque filière, déjà fixés dans la SFEC, mais « des moyens et des chemins » pour y parvenir.

« Prenons l'exemple du solaire. L'objectif est de multiplier par cinq la capacité installée d'ici à 2035 pour atteindre 100 gigawatts (GW). Il y a plusieurs manières d'y arriver : avec plus de panneaux sur les toits, plus sur les abords des autoroutes, plus dans les champs », expose le cabinet du ministre de l'Energie.

Les Français pourront aussi se prononcer sur les leviers à mettre en œuvre pour maintenir le rythme de déploiement de l'éolien terrestre : augmenter la taille des mâts ou multiplier leur nombre ? « Ce sont des discussions qui relèvent de choix de société qui concernent de très près les citoyens », estime l'entourage de Roland Lescure.

Mais l'intérêt de cet énième débat, après la tenue de nombreuses consultations en 2023, est remis en question par de nombreux acteurs. « A quoi cela va servir. Quelle valeur ajoutée au regard du temps écoulé ? », pointe Jules Nyssen, pour qui une vaste campagne de communication gouvernementale sur les enjeux de la transition énergétique aurait été bien plus pertinente. Le président du SER demeure convaincu qu'il reste encore possible de « trouver un chemin de passage à l'Assemblée », contrairement à ce « que pense le gouvernement ». Il appelle les parlementaires à s'emparer du sujet via une proposition de loi, à l'image de l'initiative menée par la députée Julie Laernoes (EELV).

« Une énième consultation publique (...) ne peut en aucun cas remplacer la légitimité démocratique du Parlement, ni répondre au besoin d'implication et de débat au sein de la population sur les enjeux liés à  la transition énergétique », estime, pour sa part, Greenpeace dans un communiqué.

Plusieurs zones d'ombre

Si les annonces du gouvernement ont le mérite d'arrêter, enfin, un calendrier sur la programmation énergétique de la France, l'enterrement de la loi de programmation énergie climat, rebaptisée par la suite loi relative à la souveraineté énergétique, laisse une zone d'ombre. Car, au-delà, du volet programmation, celle-ci comprenait aussi des dispositions relatives à la protection des consommateurs, aux concessions hydrauliques, et au cadre régulatoire de la production nucléaire.

Les deux premiers volets feront l'objet de nouveaux textes législatifs, a confirmé le cabinet de Roland Lescure. Par ailleurs, une mission parlementaire relative au régime juridique des barrages hydrauliques, au cœur d'un contentieux avec Bruxelles depuis de nombreuses années, devrait être lancée très prochainement. Et ce, afin que les « parlementaires nous apportent leur éclairage et leurs pistes de solutions », indique-t-on au ministère de l'Energie. En revanche, le gouvernement est resté muet sur une possible traduction législative de l'accord entre EDF et l'État, qui doit permettre de prendre la suite du dispositif de l'Accès régulé à l'énergie nucléaire historique, ou Arenh, qui s'arrêtera le 31 décembre 2025.

Le gouvernement est resté également très évasif sur la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), censée fixer les trajectoires d'émissions de CO2 du pays, secteur par secteur, d'ici à 2050. Elle fera l'objet d'une autre consultation spécifique, mais son calendrier n'est pas encore arrêté.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 13/04/2024 à 10:15
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Un des goulets d'étranglement de la mise en œuvre de la politique de transition énergétique est le (manque de) savoir-faire des entreprises sollicitées. En 2010, lorsque j'ai fait refaire ma toiture (pour vice systémique de fabrication!), j'ai demand...

à écrit le 12/04/2024 à 16:07
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Il faut revoir les taxes attachées au factures d'électricité, la facture devrait comprendre la consommation de l'électricité dont son acheminement payable une seule fois.

à écrit le 12/04/2024 à 11:01
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"Il y a plusieurs manières d'y arriver : avec plus de panneaux sur les toits, plus sur les abords des autoroutes, plus dans les champs »" les trois à la fois, pourquoi 'arbitrer' ? Des mâts plus grands pour les éoliennes, bien sûr mais pas près de ch...

à écrit le 11/04/2024 à 22:02
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Demandez aux français qui n’ ont pas pour la plupart les compétences techniques et réagissent à l émotion plus que la réflexion … pas très c…..u ce gouvernement…c est un peu demander : »Mme Michu aimez vous la pluie? «  et puis on sait par expérien...

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