"Le dernier recours pour la Russie serait le contrôle des changes", Anne-Sophie Fèvre (Coface)

Par Propos recueillis par Nabil Bourassi  |   |  602  mots
Anne-Sophie Fèvre (Économiste à la direction de la recherche économique de Coface ).
Face à la chute libre du rouble, la Banque Centrale russe a encore et fortement augmenté ses taux d'intérêt dans la nuit de lundi à mardi. Si ces actions ne suffisent pas à enrayer la chute de la monnaie, Anne-Sophie Fèvre, économiste à la direction de la recherche économique de la Coface, craint que le gouvernement russe soit contraint d'imposer un contrôle des changes à ses frontières.

La Tribune. Le rouble a franchi de nouveaux seuils à la baisse ce lundi, à des niveaux historiques. La devise est-elle victime de spéculations, ou y a-t-il des raisons objectives à cette baisse?

Anne-Sophie Fèvre. Les raisons objectives existent. D'ailleurs, la baisse du rouble avait commencé en 2013 lorsque la croissance de l'économie russe ralentissait, et que les investisseurs s'inquiétaient des perspectives macroéconomiques. La crise ukrainienne et les sanctions internationales ont accéléré les pressions à la baisse. Mais l'élément déterminant aujourd'hui qui précipite la chute de la devise russe c'est la baisse des cours du pétrole. Il y a une forte corrélation entre prix du  pétrole et l'évolution de la devise russe. Le pétrole c'est 50% des recettes de l'Etat russe, et les hydrocarbures représentent les deux tiers des recettes d'exportations.

Que peut encore faire la Banque Centrale russe pour enrayer la chute du rouble?

La banque centrale est déjà massivement intervenue sur les marchés. Depuis janvier, elle a injecté 82 milliards de dollars. Mais depuis novembre, elle limite ses interventions afin de préserver ses réserves de change. Son discours est désormais d'intervenir uniquement lorsque la stabilité financière est en situation de risque. Elle a anticipé le passage du rouble à un cours flottant, initialement prévu au 1er janvier 2015. Son objectif est surtout de limiter l'inflation car la chute du rouble renchérit le coût des importations. Son arme principale est aujourd'hui la politique de taux d'intérêt. Dans la nuit d'hier, elle a relevé drastiquement ses taux directeurs de 650 points de base, ce qui est un geste très fort (le taux directeur est passé de 5,5% en début d'année à 10,5% la semaine dernière, NDLR).

On a le sentiment que les interventions des autorités russes que ce soit la Banque Centrale ou le gouvernement, n'ont pas suffi à enrayer la chute du rouble. Est-ce qu'aujourd'hui la dégringolade du rouble est hors de contrôle?

On est aujourd'hui en présence d'une véritable crise de change. La Banque Centrale dispose certes encore de réserves de changes suffisantes pour intervenir sur les marchés. Même si elle doit préserver ces réserves, celles-ci s'élèvent à 420 milliards de dollars, réserves d'or comprises. La problématique pour l'économie russe c'est non seulement l'ampleur de la baisse du rouble, mais également sa durée. C'est un problème pour les entreprises qui voient leur service de la dette s'alourdir considérablement. Entreprises et banques ont 130 milliards de dollars à payer d'ici la fin 2015.

Les investisseurs ne semblent pas du tout convaincus. Le pétrole s'est stabilisé aujourd'hui, tandis que le rouble a poursuivi sa chute. Est-ce que le rouble est entré dans une spirale spéculative à la baisse nourrie par ces inquiétudes?

La Banque centrale russe avait alerté sur le sujet de la spéculation. Sa politique d'intervention et de contrôle des marges de fluctuations de change incitait à la spéculation. Les marchés testaient alors jusqu'où la Banque Centrale agirait. C'est tout le sens de sa décision d'avancer le passage au flottement de la devise. Le véritable problème est le cumul de chocs sur l'économie russe qui entretiennent la défiance : crise géopolitique, sanctions, ralentissement économique et baisse des cours du brut. Si la hausse drastique des taux d'intérêt ne marche pas, le gouvernement pourrait alors être tenté d'imposer un contrôle des changes. Ce serait le dernier recours et cela aurait un effet négatif pour l'économie russe.