"Il était incohérent d'arrimer le franc suisse à l'euro"

Par Propos recueillis par Nabil Bourassi  |   |  497  mots
Nathalie Janson est professeur
Au lendemain de la décision soudaine de la Banque centrale suisse de changer sa politique monétaire, Nathalie Janson, professeur associé en économie à Neoma Business School, analyse les conséquences de cette décision. La politique de cours plancher du franc suisse menée depuis trois ans, n'était pas cohérente avec le statut de valeur refuge de la devise suisse, estime cet économiste

Comment analysez-vous la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d'en finir avec sa politique de cours plancher du franc suisse?

Cette politique de plancher du franc suisse n'était pas compatible avec le statut de monnaie de réserve de cette devise. Lorsque vous arrimez votre monnaie à une autre, puisque c'était bien de cela dont il s'agissait jusqu'hier, votre politique monétaire devient tributaire des  fluctuations monétaires que vous ne maîtrisez pas. En l'occurrence, la BNS avait décidé d'arrimer sa devise à l'euro, et devait donc intervenir régulièrement pour des raisons qui ne concernaient pas l'économie suisse, cela manquait de cohérence. En trois ans, cet interventionnisme monétaire a coûté plus de 200 milliards d'euros à la BNS si bien que son bilan atteint aujourd'hui 90% du PIB suisse. Pour comparer, le bilan de la Banque centrale européenne ou de la Réserve fédérale américaine ne dépassent pas 50% du PIB de la zone économique dont ils ont la charge.

La décision de la BNS pouvait donc être anticipée ?

Cela fait quelques temps que la presse s'interroge sur la pérennité de cette politique. Moi-même, j'ai été surprise que la BNS poursuive cette politique au moment du krach du rouble en décembre. A cette époque, elle avait dû vendre pour 21 milliards d'euros pour compenser l'afflux d'investisseurs sur le franc suisse. C'était d'ailleurs un autre indice: la diminution des réserves de changes n'était pas tenable. Mais, il faut dire que la BNS n'a jamais donné d'indications permettant d'anticiper sa décision.

La BNS a-t-elle, elle-même, anticipé les effets de sa politique monétaire?

La BNS s'est elle-même mise dans cette situation dont la fin était prévisible. Il y avait quelque chose d'incohérent à arrimer sa monnaie à une monnaie en pleine crise, pour un pays réputé pour sa stabilité et son conservatisme.

Quelles conséquences macroéconomiques peut-on craindre pour l'économie suisse ?

Dans un premier temps, il va y avoir une période de flottement surtout pour les entreprises qui n'ont pas couvert leurs positions. Mais cela ne remet pas en cause la compétitivité de l'économie suisse. D'ailleurs, les pays à monnaie faible ne sont pas les champions de l'exportation.

La Suisse est menacée par une inflation très faible, est-ce que cette décision ne fait pas courir un risque déflationniste au pays?

Je suis assez réservée sur la situation des prix en Suisse, ou en tous cas pour parler de très faible inflation au sens réel du terme. Le ralentissement de la hausse des prix effectivement constaté en Suisse est davantage le fait d'un phénomène d'assainissement de l'économie consécutif à la crise financière de 2007. D'ailleurs, une des préoccupations de la BNS qui a peut-être aussi motivé sa décision, c'était de circonscrire la bulle immobilière qui s'est formée.