Pourquoi les DRH doivent se réinventer

Par Pierre Manière  |   |  852  mots
D'après cette enquête, seuls 11% des répondants jugent que les DRH sont "au service des collaborateurs".
D'après une étude du cabinet de conseil The Boson Project et de SAP SuccessFactors, les responsables des ressources humaines ne sont bien souvent plus en phase avec le monde du travail. Face à la montée de la génération Y, plus individualiste et n'hésitant pas à changer d'employeur au gré des opportunités, la profession doit, d'après cette enquête, amorcer sa mutation sans tarder.

Pas facile, aujourd'hui, d'être DRH. D'après une enquête réalisée par le cabinet de conseil The Boson Project et SAP SuccessFactors, la profession essuie une véritable défiance dans le monde de l'entreprise. Publiée ce jeudi, ce sondage a été réalisé sur Internet auprès de 1.300 personnes, dont 40% de cadres des ressources humaines et 60% de personnes extérieures. Aux dires des répondants, le DRH d'aujourd'hui se serait largement éloigné de son coeur de métier: la gestion du capital humain. Pour 64% d'entre eux, il ne serait qu'un haut cadre "au service de la direction générale". Seuls 11% jugent que le DRH est vraiment "au service des collaborateurs". Un comble ! D'où le titre de l'étude : "Le magicien de l'humain : turbulences et renaissances de la fonction RH" - voir ci-dessous).

Pourquoi ? Parce qu'alors que le marché du travail est en plein bouleversement, notamment à cause de la révolution numérique, cette profession n'est souvent plus en phase avec les désirs et les revendications des employés. D'après Marianne Urmès et Emmanuelle Duez, du Boson Project, c'est particulièrement vrai pour la "génération Y" (née entre 1980 et 1995). Contrairement à leurs aînés, ils ne misent plus sur un CDI à vie au sein d'un même groupe. Plus mobiles, plus indépendants, ils pestent, selon de nombreuses études, contre les vieilles structures hiérarchiques et le management à l'ancienne, perçus comme un frein à leur épanouissement. Or ces changements, profonds, n'ont pas été suffisamment intégrés dans les politiques actuelles de ressources humaines. En gros, il y a trop de "R" et pas assez de "H"...

D'après l'enquête de The Boson Project, les DRH de demain sont ainsi confrontés à trois grands enjeux. Le premier concerne l'obsolescence des compétences, qui va crescendo avec l'essor des nouvelles technologies. "En 2030, beaucoup de métiers totalement nouveau verront le jour", souligne Emmanuelle Duez. Elle précise que si jusqu'alors, on recrute encore beaucoup sur compétences, on embauchera davantage à l'avenir sur la capacité d'un individu à en acquérir de nouvelles rapidement.

Le second enjeu pour les DRH, d'après le cabinet de conseil, sera de conserver un vrai lien entre des collaborateurs. Lesquels, encore une fois, sont de plus en plus mobiles, en plus de rester moins longtemps dans une même entreprise. Toute la difficulté, pour un DRH, sera ainsi de maintenir un collectif stable avec des équipes sans cesse en train d'évoluer et de se renouveler.

"Confiance" et "bienveillance"

Enfin, un bon DRH devra savoir insuffler une culture de la "bienveillance" et de la "confiance" à ses ouailles, affirme The Boson Project. Par opposition à la culture entrepreneuriale traditionnelle, où les employés ne font qu'obéir aux ordres de leurs N+1.

DRH de OnePoint, un groupe de 2.000 collaborateurs spécialisé dans le management des systèmes d'information, Matthieu Fouquet abonde en ce sens. Il constate que depuis quelques années, "les conflits entre les générations s'accélèrent". "Avant, le modèle était clair: on offrait son travail contre une sécurité côté emploi. Mais ce système n'a pas bien marché, en témoigne l'arrivée du chômage de masse." D'après lui, c'est ce qui explique aujourd'hui une certaine défiance envers le système. D'où la nécessité pour les organisation de se montrer "plus souples, moins délégatrices et plus responsabilisantes" pour fidéliser ses forces vives.

Le DRH se mue en coach

Pour Valérie Vezinhet, DRH de SAP France, le numérique a fait voler en éclat les frontières traditionnelles de l'entreprise, ce qui a beaucoup impacté la façon de recruter. "On ne peut plus recruter comme avant. Et pour cause: l'image de l'entreprise dépend désormais de ce qu'en disent les collaborateurs actuels, mais aussi ceux qui y sont passés, ainsi que tous les acteurs qui collaborent de près ou de loin avec elle", constate-t-elle. En outre, le DRH doit, à l'en croire, se muer davantage en coach, à l'heure où changer de compétences en cours de carrière devient monnaie courante.

Enfin pour Laurent Choain, DRH de Mazars, l'important est de changer le logiciel traditionnel de la profession, encore trop basé sur la rétention des talents. "Je préfère un bon qui part à un mauvais qui reste. Si un collaborateur, même talentueux, doit partir, ce n'est absolument pas un drame!", lance-t-il, en songeant notamment à cette génération Y qui aspire à plus de mobilité professionnelle. Globalement, il estime que les cadors actuels des RH sont trop peu connectés, et leurs réseaux trop restreints. Pour lui, le DRH doit au contraire savoir se détacher des hautes sphères de l'entreprise pour parler à sa base. Et en particulier à ses "créatifs", notamment parmi les plus jeunes, pour faire émerger de bonnes pratiques et détecter ses futurs leaders.