Iran-Israël : les cours du pétrole baissent malgré le risque d'escalade

Par Marine Godelier, avec Maxime Heuze  |   |  1297  mots
En effet, le marché n'anticipe pas d'escalade du conflit, s'accordent à dire les spécialistes du sujet. (Crédits : Reuters)
Alors que le cours du baril de Brent avait atteint 92,18 dollars la semaine dernière à la suite de craintes d'une montée des tensions entre Israël et l'Iran, ce dernier est repassé sous les 90 dollars ce lundi, au lendemain des attaques de Téhéran. Nombre d'analystes anticipent, en effet, un apaisement des tensions au Moyen-Orient, même si l'incertitude demeure.

Article publié le 15 avril à 13h58 et mis à jour à 18h40

Après l'attaque de Téhéran vendredi, qui a tiré plusieurs centaines de drones et missiles contre Israël, les marchés de l'énergie devraient, a priori, s'affoler. Et pour cause, la perspective d'un conflit plus large au Moyen-Orient a tendance à doper les cours des hydrocarbures, puisque la région concentre presque la moitié des réserves prouvées de pétrole. D'autant que l'Iran contrôle le détroit d'Ormuz, un passage maritime critique où transitent environ 20 à 30% des stocks mondiaux d'or noir ainsi que d'importantes quantités de gaz naturel liquéfié provenant du Qatar.

Et pourtant, c'est l'inverse qui semble se produire : vers 17h à Paris ce lundi, le prix du baril de Brent de mer du Nord pour livraison en juin perdait près de 0,5% à 89,29 dollars (84 euros) après avoir même reculé de 1%, dans la matinée. Son équivalent américain, le baril de West Texas Intermediate (WTI), pour livraison en mai, baissait lui de près de 0,6%, jusqu'à atteindre 84,06 dollars au plus bas. Le gaz, lui, restait stable, avec un mégawattheure à 30,9 euros sur la bourse d'échange de référence en Europe TTF, contre 30,7 euros vendredi.

En effet, le marché n'anticipe pas d'escalade du conflit, s'accordent à dire les spécialistes du sujet. Le mois dernier, la tendance semblait opposée : en quelques jours, les prix du pétrole avaient augmenté de 10% à mesure que les tensions s'intensifiaient, jusqu'à un pic de 92,18 dollars le baril la semaine dernière. Soit le niveau le plus élevé depuis le mois d'octobre.

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Une attaque sans précédent de l'Iran, mais surtout symbolique

Mais voilà : dimanche, l'Iran a appelé Israël à ne pas réagir militairement à son attaque inédite lancée dans la nuit, qu'il a présentée comme une riposte justifiée à la frappe ayant détruit son consulat à Damas le 1er avril dernier. « Avec l'attaque du consulat iranien en Syrie, que les Iraniens avaient attribuée à Israël, le marché avait intégré une prime de risque. Ce qui avait conduit à une hausse des prix du pétrole, puisqu'Israël s'attendait à ce que l'Iran riposte, avec une possible contagion. Mais cet appel à l'apaisement de la part de l'Iran fait baisser la pression », commente Ahmed Ben Salem, analyste Oil&Gas chez Oddo BHF.

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A cela s'ajoute le fait que les frappes de Téhéran n'ont fait que relativement peu de dégâts. « Celles-ci n'ont tué personne, et quelque 300 missiles balistiques ont été perdus ou détruits », souligne à La Tribune Francis Perrin, directeur de recherche, professeur à l'IRIS et spécialiste des questions énergétiques dans le monde arabe. Selon le contre-amiral des forces de défense israéliennes Daniel Hagaru, seuls quelques missiles balistiques sont entrés dans l'espace aérien israélien et ont « touché légèrement » une base militaire, qui reste en activité.

Des conséquences mineures qui laissent présager que la situation ne devrait pas s'embraser au Moyen-Orient dans un futur proche... et emporter le cours du pétrole avec lui. « L'affaire peut être considérée comme close », a d'ailleurs annoncé la mission iranienne à l'ONU dans un message posté trois heures après le début de son opération. « Les marchés anticipent maintenant le meilleur, et se focalisent sur d'autres choses, comme les résultats meilleurs que prévu de Goldman Sachs et des indicateurs économiques rassurants aux Etats-Unis, qui confirment une vigueur économique outre-Atlantique », estime John Plassard, directeur chez la banque Mirabaud, spécialiste en macroéconomie.

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La réaction d'Israël, un facteur déterminant

Mais si les analystes sont optimistes, l'incertitude demeure. D'autant que les prix restent élevés.

« Le prix du baril de pétrole suit une tendance constante à la hausse depuis décembre dernier. Le WTI est tout de même passé de 70 dollars le baril en décembre dernier à près de 85 aujourd'hui ! », souligne John Plassard.

Surtout, seule la réponse d'Israël déterminera si l'escalade prend effectivement fin ou se poursuit. A cet égard, deux scénarios semblent se dessiner, selon Francis Perrin : soit le dossier s'avère bel et bien clos, auquel cas « il n'y a pas de raison pour que les prix du pétrole et du gaz augmentent ». Soit Israël en décide autrement et s'apprête à frapper l'Iran.

« La question, c'est donc de savoir s'il y aura une réplique, et surtout de quelle ampleur. Si elle est importante, cela entraînera des représailles de l'Iran, générant un engrenage et une escalade du conflit au Moyen-Orient », ajoute-t-il.

La mission iranienne à l'ONU a d'ailleurs prévenu que « si le régime israélien commettait une nouvelle erreur, la réponse de l'Iran serait considérablement plus sévère ». Dans cette hypothèse, une hausse à 100 dollars du baril serait « possible », car les prix seraient « affectés par une prime de risque géopolitique », analyse Francis Perrin.

Vers un possible blocage du détroit d'Ormuz ?

Pour rappel, la République islamique était le septième producteur mondial de brut en 2022, et possède les troisièmes plus grandes réserves prouvées de pétrole derrière le Venezuela et l'Arabie saoudite, selon l'Administration américaine d'information sur l'énergie. Téhéran dispose par ailleurs d'une panoplie de moyens pour perturber les marchés, en interrompant par exemple le trafic maritime dans le détroit d'Ormuz ou en faisant pression sur des pays comme l'Irak pour qu'ils réduisent leurs approvisionnements.

Cependant, même en cas de riposte d'Israël, il semble peu probable que l'Iran opère un blocage du détroit d'Ormuz, selon Francis Perrin.

« Le régime de la République islamique n'étudierait cette option que s'il se sentait profondément menacé. En l'état, il n'y a pas intérêt puisque cela entraînerait une guerre, et pas seulement avec Israël mais également avec les Etats-Unis. Par ailleurs, cela bloquerait ses propres exportations de pétrole », explique le professeur.

Les Etats-Unis veulent calmer le jeu

Les Etats-Unis suivent d'ailleurs le dossier de très près. De fait, une nouvelle flambée des cours du pétrole constituerait une bien mauvaise nouvelle pour l'administration Biden, à quelques mois de l'élection présidentielle et alors que l'inflation s'est établie à 3,5% en mars dans le pays. D'autant qu'outre qu'outre-Atlantique, l'essence reste peu taxée, si bien qu'une augmentation du prix du brut aurait un impact direct sur les prix à la pompe.

Dans ce contexte, Washington souhaite apaiser les tensions. Un haut responsable américain, qui a requis l'anonymat, a d'ailleurs affirmé ce lundi, que l'Etat hébreu ne « cherche pas » une escalade avec l'Iran. En cas de riposte israélienne, les Etats-Unis ne participeront pas, a-t-il ajouté. « Nous ne ferons partie d'aucune réponse qu'ils entendent mener », a affirmé ce responsable à la presse. « Nous ne nous voyons pas participer à un tel acte », a-t-il insisté. Plus tôt dans la journée, Joe Biden a tenu le même discours au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.

Les cartes semblent donc à présent dans les mains d'Israël. « Comme n'importe quelle hypothèse, celle du marché qui mise sur un apaisement peut s'avérer complètement fausse. Si la situation change, il ne manquera pas de corriger ses anticipations », conclut Francis Perrin.

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