Nucléaire : après la Russie, la France envisage « sérieusement » de construire un site de conversion et d'enrichissement de l'uranium de retraitement

Par latribune.fr  |   |  954  mots
L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a mis en évidence pour la France et d'autres pays comme les Etats-Unis la nécessité de moins dépendre du mastodonte russe Rosatom. (Crédits : Reuters)
Le gouvernement examine « sérieusement » l'option de construire « en France » un site de conversion et d'enrichissement de l'uranium de retraitement alors que jusqu'ici la Russie est le seul pays au monde à disposer d'une usine pour convertir cet uranium de recyclage destiné à être intégré dans des centrales nucléaires.

Les sanctions contre la Russie font bouger les lignes dans la filière du nucléaire. Le gouvernement français examine ainsi « sérieusement » l'option de construire « en France » un site de conversion et d'enrichissement de l'uranium de retraitement alors que jusqu'ici la Russie est le seul pays au monde à disposer d'une usine pour convertir cet uranium de recyclage destiné à être intégré dans des centrales nucléaires.

« L'option de réalisation d'un projet industriel de conversion de l'uranium de retraitement (ou recyclé, NDLR) en France est examinée sérieusement, sous l'égide du conseil de politique nucléaire », a indiqué jeudi soir à l'AFP le ministère délégué à l'Industrie et l'Energie.

Le ministère confirmait des déclarations au journal Le Monde dans un article consacré au commerce de la France avec l'industrie nucléaire russe, un secteur qui, contrairement au pétrole, échappe encore aux sanctions internationales prononcées après l'invasion de l'Ukraine. « Les conditions associées sont encore à l'étude », a précisé le ministère.

Moins dépendre du mastodonde russe Rosatom

L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a mis en évidence pour la France et d'autres pays comme les Etats-Unis la nécessité de moins dépendre du mastodonte russe Rosatom pour le cycle du combustible des centrales nucléaires. En l'occurrence, pour convertir son uranium de retraitement (URT), la France n'a pas d'autres possibilités que de réaliser cette étape en Russie, seul pays à disposer, via son opérateur public Rosatom, d'une usine de conversion pour cet URT. L'étape suivante d'enrichissement pouvant être réalisée en Russie ou aux Pays-Bas.

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L'ONG environnementale Greenpeace a dénoncé ces derniers mois la poursuite des livraisons d'uranium entre la Russie et la France, notamment au profit des centrales d'EDF, malgré la guerre. EDF est en effet lié à un contrat de 600 millions d'euros conclu en 2018 avec Tenex, filiale de Rosatom, pour recycler et enrichir de l'uranium issu du retraitement des combustibles usés du groupe français.

EDF a toujours fait valoir qu'il respectait ses « engagements contractuels » avec Tenex tout en appliquant « strictement toutes les sanctions internationales » et les restrictions commerciales vis-à-vis de la Russie. Interrogé sur ce contrat, lors d'un congrès de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN), jeudi, Jean-Michel Quilichini, directeur de la division combustible nucléaire chez EDF, a expliqué au Monde qu'EDF continuerait à « honorer le contrat ». Contacté par l'AFP, le groupe souligne qu'il « maximise la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs », sans toutefois préciser la part de ses approvisionnements en URT enrichi venus de Russie.

L'option de construire un site d'enrichissement et de conversion pour l'uranium recyclé avait déjà été mentionnée par le gouvernement en novembre dans son document de la « stratégie française pour l'énergie et le climat » (SFEC), dans lequel il évoquait la mise en œuvre « d'une filière industrielle européenne ». De son côté, EDF affirme à l'AFP discuter « avec plusieurs partenaires pour construire une usine de conversion d'uranium de retraitement en Europe de l'Ouest à l'horizon 2030 ».

Issu du traitement des combustibles, l'URT peut être réutilisé pour produire du combustible nouveau après avoir été converti puis ré-enrichi. Le 5 février 2024, pour la première fois depuis une dizaine d'années, un réacteur de la centrale de Cruas (Ardèche) a été redémarré avec « la première recharge d'uranium totalement recyclée », a annoncé EDF sur le réseau social LinkedIn.

Vinci Construction remporte le marché de génie civil de l'extension de l'usine d'enrichissement d'uranium d'Orano

De son côté, Vinci Construction a annoncé jeudi avoir remporté le marché de génie civil de l'extension de l'usine d'enrichissement d'uranium d'Orano (ex-Areva) qui doit permettre d'augmenter ses capacités de 30% pour aider les clients électriciens dans le monde à moins dépendre du combustible de la Russie.

Le spécialiste français du cycle du combustible Orano « a attribué au groupement composé de Dodin Campenon Bernard (mandataire) et Campenon Bernard Centre-Est, filiales de VIinci Construction, le lot de génie civil et de gros œuvre du marché d'extension de l'usine d'enrichissement d'uranium Georges Besse 2 Nord, sur le site du Tricastin (Drôme) », a annoncé le groupe de BTP dans un communiqué.

Ces travaux de génie civil et de gros œuvre pour un montant de « plusieurs dizaines de millions d'euros » ajouteront « deux nouvelles tranches (...) aux trois tranches existantes déjà réalisées par Vinci Construction il y a une dizaine d'années » a précisé le groupe.

« Les travaux, qui mobiliseront plus de 170 personnes au pic de l'activité, débuteront à l'été 2024 pour 32 mois, dont 25 mois d'opérations de génie civil avec la mise en oeuvre de 35 000 m3 de béton, 4 500 t d'armatures et 500 plots antisismiques », a détaillé Vinci Construction.

D'un montant d'investissement de 1,7 milliard d'euros, l'extension de l'usine Georges-Besse II inaugurée en 2011 sur le complexe nucléaire du Tricastin, est un projet crucial pour Orano. Objectif: augmenter de 30% ses capacités d'uranium enrichi, dans un contexte où selon Orano des exploitants nucléaires recherchent une plus grande indépendance vis-à-vis de la Russie. « Avec cette extension de capacité, l'uranium produit sur le site Orano Tricastin permettra d'alimenter l'équivalent de 120 millions de foyers par an en énergie bas carbone », expliquait en octobre Orano qui vise une première production de l'extension en 2028.

Le marché de l'uranium compte actuellement seulement quatre acteurs « enrichisseurs  » dans le monde: le russe Rosatom (43%), premier exportateur, le groupement européen Urenco (31%), le chinois CNNC qui sert son marché domestique, et Orano (12%).

(Avec AFP)