Aéro : Les futurs programmes révolutionneront la "supply chain"

reuters.com  |   |  652  mots

par Cyril Altmeyer

PARIS (Reuters) - Les prochains programmes aéronautiques seront conçus de façon à ce que les avionneurs reprennent aux équipementiers une part importante des revenus liés à l'entretien et à la maintenance, un segment promis à une bien plus forte croissance que la construction des appareils eux-mêmes, estiment des analystes et des industriels.

La rupture, susceptible d'entraîner un bras de fer entre avionneurs et équipementiers, pourrait intervenir dès 2019 avec la possible annonce par Boeing d'un avion de "milieu de marché" pour remplacer les 747 et 767 à partir de 2025, soulignent les analystes.

Le futur avion doit occuper le segment des 200-270 places, soit entre les monocouloirs et les plus gros porteurs actuels.

"Je suis persuadé qu'il y a une 'disruption' bien plus forte qu'un positionnement sur le marché", estime Jérôme Bouchard, partenaire au sein du cabinet Oliver Wyman.

"Et on pourrait tout à fait imaginer dans la prochaine génération de programmes après 2020 que les cartes soient un peu plus rebattues, que 'by design' l'avionneur essaye de se préserver la part du lion", ajoute-t-il.

En réaction au rachat de Rockwell Collins par United Technologies et à celui de Zodiac Aerospace par Safran, les avionneurs vont batailler pour maîtriser l'équipement des avions en première monte en composants à haute technicité et donc à terme remplaçables plus que réparables, estiment les analystes.

Ces deux fusions ont fait naître des équipementiers fournissant un très large éventail de produits, des moteurs aux trains d'atterrissage, en passant par la cabine et l'avionique (l'électronique à bord), souligne Pascal Fabre, directeur général chez AlixPartners.

"Les avionneurs essaient donc de changer la frontière vis-à-vis des fournisseurs, soit en changeant les modèles d'entreprise de leurs fournisseurs, soit en faisant émerger de nouveaux acteurs", explique-t-il.

DES PLATES-FORMES COLLABORATIVES EN DÉVELOPPEMENT

Airbus a annoncé mercredi au salon de Farnborough, près de Londres, l'extension de sa plate-forme collaborative Skywise à des fournisseurs sélectionnés pour créer un véritable écosystème d'échanges de big data via du cloud, incluant des services améliorés de maintenance prédictive aux compagnies aériennes.

Boeing réunit de son côté les données de ses "data scientists" et de ses mathématiciens dans sa plate-forme, AnalytX.

Au cours de la prochaine décennie, l'avionneur assurera plus de tâches en interne et les principaux équipementiers intégreront des productions jusque-là dévolues à leurs propres sous-traitants, observe Yannick Assouad, directrice générale de Latécoère, fournisseur phare d'Airbus et Boeing.

Le secteur des aérostructures (éléments de fuselage des avions), encore très fragmenté des deux côtés de l'Atlantique, est mûr pour une nouvelle phase de consolidation face à la pression grandissante des donneurs d'ordres, estiment les analystes.

"La majorité n'a pas les cash flows suffisants pour être des partenaires en 'risk sharing' des avionneurs. Ceux-ci seront naturellement exclus du marché à cause de cela", explique Yannick Assouad.

Les motoristes, qui signent des contrats distincts avec les acheteurs d'avions, restent encore à l'écart de ce mouvement, constituant pour l'instant un monde inaccessible pour les avionneurs, estime de son côté Pascal Fabre, d'AlixPartners.

"Le seul scénario permettant aux avionneurs d'être réellement présents sur ce segment serait le rachat d'un motoriste, ce qui changerait le paysage de l'aéronautique civile telle qu'on la connaît aujourd'hui", souligne-t-il.

Les avionneurs pourraient cependant trouver un moyen grâce à l'hybridation et l'électrification des moteurs, à l'image de la coentreprise annoncée début juin entre Boeing et le motoriste Safran sur les groupes auxiliaires de puissance (APU), utilisés essentiellement lorsque l'avion est encore au sol.

"Si vous savez développer des APU, vous ré-acquerrez ce savoir et demain, vous vous placez pour fabriquer un réacteur", estime Jérôme Bouchard, d'Oliver Wyman.

(Cyril Altmeyer, édité par Jean-Michel Bélot)