Le rapport Mueller fournit des munitions à des démocrates divisés

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Le rapport mueller seme le doute sans incriminer trump[reuters.com]
(Crédits : Carlos Barria)

par Sarah N. Lynch et Andy Sullivan

WASHINGTON (Reuters) - Le rapport du procureur spécial Robert Mueller sur le rôle de la Russie dans l'élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis fournit d'amples détails sur les efforts déployés par Donald Trump pour tenter d'entraver son enquête fédérale, autant de munitions politiques au Parti démocrate qui se divise sur la manière de les employer.

Le rapport de 448 pages, dont une version expurgée a été rendue publique jeudi, dépeint clairement les moyens employés par le président républicain pour tenter de freiner ou de faire obstacle à l'enquête russe du procureur spécial.

Si le texte ne conclut pas que Trump a commis un crime d'obstruction au cours de la justice, il ne l'en exonère pas davantage. Et Mueller note que le Congrès a l'autorité nécessaire pour étudier si Trump a ou non violé la loi.

En toile de fond, les démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants mais minoritaires au Sénat, ont la possibilité d'initier une procédure d'"impeachment" contre l'occupant de la Maison blanche.

Mais à dix-huit mois de l'élection présidentielle de 2020, les dirigeants du Parti démocrate ne semblent guère enclins à utiliser cette arme.

"Sur la base de ce que nous avons vu pour l'instant, progresser vers un 'impeachment' n'en vaut pas la peine à ce stade. Très franchement, une élection arrive dans 18 mois et le peuple américain jugera", a commenté sur CNN Steny Hoyer, le chef du groupe démocrate à la Chambre.

En déplacement vendredi à Belfast, en Irlande du Nord, la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, a refusé de s'exprimer sur ce sujet, estimant qu'il n'était pas approprié de commenter l'actualité nationale en voyage à l'étranger.

"Quels que soient la question et le défi auxquels nous faisons face, le Congrès des Etats-Unis honorera le serment l'engageant à protéger et défendre la Constitution des Etats-Unis et à protéger notre démocratie", a-t-elle simplement déclaré à la presse. "Le pouvoir législatif a une responsabilité de supervision de notre démocratie, et nous l'exercerons."

LES DÉMOCRATES RÉCLAMENT LA VERSION INTÉGRALE DU RAPPORT

La tonalité n'est pas la même sur la gauche du parti.

"Comme beaucoup le savent, je ne prends aucun plaisir dans ces débats autour de l'impeachment. Je n'ai pas fait campagne dessus et j'en ai rarement parlé spontanément. Mais ce rapport pose clairement cette question devant notre porte", a estimé sur Twitter Alexandria Ocasio-Cortez, élue de New York à la Chambre des représentants et figure du nouveau Congrès issu des élections de novembre dernier.

Le président démocrate de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jerrold Nadler, a de son côté réclamé vendredi par voie d'assignation la version intégrale du rapport, estimant qu'il y avait trop de passages "caviardés" dans la version transmise par le département de la Justice.

Il demande aussi à ce que le procureur Mueller témoigne devant sa commission d'ici au 23 mai.

Un paragraphe du rapport est au coeur du débat. Mueller y écrit: "La conclusion selon laquelle le Congrès pourrait appliquer les lois sur l'obstruction à un exercice corrompu du pouvoir par le président s'accorde avec notre système constitutionnel de contre-pouvoirs et avec le principe voulant que nul n'est au-dessus de la loi."

Dans le camp républicain, Doug Collins, principal représentant de son parti à la commission judiciaire de la Chambre, a jugé que les démocrates se livraient à une interprétation erronée de ce paragraphe afin de l'adapter à leur programme anti-Trump.

"Ce n'est pas une question d'interprétation juridique, ça relève de la compréhension de lecture. Le rapport ne dit pas que le Congrès doit désormais enquêter sur une obstruction à la justice. Il dit que le Congrès peut établir des lois sur l'obstruction en vertu des pouvoirs que lui attribue l'article 1", a-t-il dit sur Twitter.

Invité de Fox News, Hogan Gidley, porte-parole de la Maison blanche, a déclaré que l'administration présidentielle ne redoutait nullement les initiatives que les démocrates pourraient prendre. "Nous n'avons aucune inquiétude, aucun souci d'aucune sorte parce que nous savons déjà comment le livre se termine: pas de collusion", a-t-il dit.

"CRAZY MUELLER REPORT"

Après la publication du rapport Mueller, synthétisant 22 mois d'une enquête qu'il a systématiquement qualifiée de "chasse aux sorcières", Donald Trump semblait d'humeur joyeuse. Jeudi soir en Floride, il a ainsi lancé à des partisans: "La partie est terminée les amis, maintenant, on se remet au travail."

Deux tweets publiés vendredi semblent marquer une inflexion de son état d'esprit.

"Des déclarations sont faites à mon sujet par certaines personnes dans le rapport fou de Mueller (Crazy Mueller Report), écrit en soi par 18 démocrates en colère et trumpophobes, qui sont inventées et totalement fausses", écrit le président. "Méfiez-vous des gens qui prennent des prétendues 'notes', quand ces notes n'ont jamais existé tant qu'on n'en avait pas besoin."

Ces "notes", il en est question dans le rapport Mueller. Un passage notamment qui décrit le moment où Trump a appris, le 17 mai 2017, la nomination du procureur spécial.

"Lorsque (l'ancien Attorney General/ministre fédéral de la Justice Jeff) Sessions a informé le président qu'un procureur spécial avait été désigné, le président s'est affaissé sur son fauteuil et a dit 'Oh mon Dieu. C'est terrible. C'est la fin de ma présidence. Je suis foutu.'", peut-on lire dans ce récit s'appuyant sur le témoignage de Sessions et les notes prises par Jody Hunt, à l'époque chef de cabinet de l'Attorney General.

Le rapport recense par ailleurs une dizaine de cas où Trump a tenté de faire pression sur l'enquête. Ainsi, en juin 2017, quand il décroche son téléphone pour demander à Don McGahn, alors conseiller juridique de la Maison blanche, d'obtenir la révocation de Mueller en invoquant des "conflits d'intérêt".

"Les tentatives du président pour influencer cette investigation ont échoué pour la plupart, mais largement parce que les personnes qui entouraient le président ont refusé d'exécuter des ordres ou d'accéder à ses requêtes", indique le rapport.

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(avec Steve Holland, Eric Beech et David Morgan à Washington et Amanda Ferguson à Belfast; Henri-Pierre André pour le service français)